DU ROLE DR LA MÉTHODE MÉTAPHYSIQUE DANS LES CONNAISSANCES HUMAINES; ... v/ PAH PAUL DUP U Y CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. On a donné de la métaphysique des définitions diverses, telles que les suivantes : science des premiers principes, science de la raison des choses, science de l’absolu, de l’infini dans toutes les catégories de la pensée. A ces défi- nitions, qui attribuent à la métaphysique une haute portée spéculative, on pourrait opposer celle-ci, qui est beau- coup plus en harmonie avec le courant actuel de la pensée moderne : on doit entendre par métaphysique la science de l’incompréhensible et de l’inconnaissable (*). Je ne rappelle que pour mémoire la définition de Voltaire. La véritable nature d’une science tellement controver- sée doit se trouver dans son objet et dans sa méthode. Quels sont donc et l’objet et la méthode? (') Se proposer un lieu inaccessible, où l'on chercher,a, est tonie l’histoire de la métaphysique. (Préface de M. Littré au Cours de l'hilo- sophie positive d'A. Comte, p. XXVIII.) Objet de la métaphysique. — Les annales de la pensée réfléchie assignent un triple but aux recherches métaphy- siques, savoir : les questions de substance, de cause et de finalité. A. Le point de départ empirique de la notion de substance ou de sujet n’est point contestable. Nous avons la cons- cience de phénomènes divers qui se passent en nous, de phénomènes très multiples qui existent hors de nous, sans doute, mais qui ne nous sont connus que par les modifications de notre sensibilité. D’autre part, il est manifeste qu’en vertu d’une disposition psychologique particulière, tenue pour négligeable par certaine philoso- phie, nous croyons posséder le sentiment de nous-même ou de notre moi, qui devient ainsi le sujet dont nos actes expriment les attributs. Cela posé, la conception de substance ou de sujet appliquée au monde extérieur ne saurait être autre chose qu’une induction du moi ou non- moi. Or, toute induction ayant un caractère hypothétique, il s’ensuit que l’extension de l’idée de substance et son application au monde extérieur est une hypothèse au premier chef. La notion de substance n’aurait qu’une valeur res- treinte, comme objet de la métaphysique, si le concept du parfait ou l’idéal n’avait été rattaché à cette notion, à titre de détermination possible, c’est-à-dire à titre d’attri- but. L’esprit ne s’élève à l’idéal que par une généralisation de forme abstraite, et que couronne, pour ainsi parler, une synthèse à priori de notre intelligence, affirmant le concret, lorsqu’elle croit entrevoir la réalité objective de l’idéal. Ceci revient à dire que nous sommes de nouveau en présence d’une hypothèse. La notion de substance posée, on ne saurait la sou- mettre à une analyse quelconque, car si elle est autre 2 3 chose qu’une conception purement imaginaire, elle cons- titue un élément irréductible, principe de tous les phéno- mènes dérivés. En effet, associer l’idéal comme qualité inhérente à une substance déterminée, c’est-à-dire admet- tre l’existence objective d’une perfection suprême, n’est-ce point procéder par voie de synthèse à priori? D’autre part, dans l’affirmation de la substance individuelle, qui est notre point de départ exclusif, nous ne saisissons qu’un caractère empirique immédiat, celui d’activité pro- ductrice. En disant que la substance est cause, nous faisons aussi une synthèse, mais une synthèse à poste- riori. Donc, l’analyse ne nous apprend rien et ne peut rien nous apprendre sur l’idée de substance qui, originai- rement, ne signifie que sujet et cause. B. La notion de cause, prise dans l’acception de pou- voir ou puissance, comme le prétendent les psychologues, ou de succession, comme l’interprète l’école sensualiste, procède évidemment de l’expérience. M’arrêtant au pre- mier point de vue, j’ajoute que le dire des psychologues repose sur un fait d’observation, qualifié d’illusoire, sans doute, par leurs adversaires, mais qui n’en répond pas moins à un état mental déterminé. Ce fait supposé exact, dans le domaine de la psychologie pure, est ensuite géné- ralisé, appliqué par induction, par hypothèse, aux êtres qui nous entourent. Si la notion de cause individuelle est à posteriori, le principe de causalité est, sans conteste, un à priori. C. La notion de finalité se présente à nous comme une sorte de complément logique de l’idée de cause; mais cette notion possède, en réalité, une origine exclusive- ment empirique. Nous constatons, en effet, par l’observa- tion intérieure, que le moi ou sujet que nous croyons être prépare scs actes en vue de telle ou telle fin dé ter- 4 minée. De meme, dans bon nombre de cas, il nous paraît manifeste qu’il existe, dans le non-moi, une appropriation de moyens à une fin conçue d’avance. Ce n’est là qu’une première extension inductive, bientôt suivie d’une géné- ralisation nouvelle, lorsque nous affirmons que l’ensem- ble harmonieux des mondes n’est que la réalisation du plan préconçu par une suprême intelligence. Nous avons conclu denous-môme au milieu; nous avons induit; nous sommes en pleine hypothèse. Donc, la généralisation des trois idées de sujet ou substance, de cause et de finalité, ne présente nullement les caractères, soit d’une vérité évidente par elle-même, soit d’une démonstration rigoureuse. Bien que notre point de départ soit essentiellement empirique, nous ne sommes parvenus qu’à trois inférences conjecturales. Méthode métaphysique. — Je n’ai pu traiter la question de l’objet de la métaphysique sans aborder celle de la méthode propre à cette science. D’après la série d’exem- ples que je viens de donner précédemment, il est, à mon avis, de pleine évidence que la méthode méta- physique consiste à franchir d’emblée les limites de l’ob- servation, à concevoir un à priori quelconque à l'occa- sion d’une expérience insuffisante pour conclure avec une certitude absolue. Peu importe, d’ailleurs, à la méthode que l’à priori conçu soit ou non vérifiable par l’obser- vation ultérieure. La vérification elle-même est en rap- port exclusif avec la nature de l’objet soumis à notre étude. Pour un certain nombre do faits, sans nul doute, il est facile de chercher dans l’expérience la con- firmation des hypothèses et des conséquences déduites des hypothèses; mais lorsque cette confirmation est impossible, la marche suivie par l’esprit pour concevoir l’à priori n’en est nullement modifiée. Toute tentative 5 de vérification nous fait entrer dans une voie nouvelle, suivre une méthode absolument différente, car au lieu de dépasser l’observation comme dans l’hypothèse, nous y revenons, la prenant pour critérium absolu. Les philosophes ont aussi bien des fois employé, d’une manière directe, la déduction; mais alors même ce pro- cédé logique n’a de valeur que par les prémisses qu’il emprunte, soit à là posteriori, soit à là priori. La déduction est donc toujours subordonnée à l’observation et à l’hypothèse. Sciences physiques. Objet et méthode. — Les sciences naturelles ont leur point de départ dans l’observation extérieure, qui leur fournit l’ensemble des matériaux auxquels elles s’appliquent. Après l’examen préalable des phénomènes sensibles, elles cherchent à s’élever, par voie hypothétique, aux causes prochaines de ces derniers, à leur mode de production et aux lois qui les régis- sent (1). C’est ainsi que l’état particulier de l’éther, cause prochaine de la chaleur et d; u lumière, n’est qu’une hypothèse, et que la loi de gravitation universelle, décou- verte par Newton, n’est encore et ne sera toujours qu’une hypothèse. Dans les deux cas, il y a un à priori dépas- sant toutemxpérience possible, et il en est ainsi de chaque cause physique et de chaque loi physique. D’autre part, les sciences naturelles trouvent, dans l’emploi du procédé déductif, des avantages très importants. Ainsi, après (‘J Comte admet seulement comme légitimes les hypothèses qui portent exclusivement sur les lois des phénomènes. Quant à celles qui sont relatives aux modes de production de ces phénomènes, il les déclare essentiellement chimériques. C’est ainsi qu’il a été conduit à blâmer sévèrement toute tentative de ramener la chaleur et la lumière à des modes du mouvement. (Philosophie positive, t. II, p. 298 et suiv. — Théorie fondamentale des hypothèses. Voir môme tome, p. 445 et suiv.) 6 avoir constaté la confirmation des conséquences d'une hypothèse, dans un cas donné, ce qui est déjà faire appel à la déduction, on en conclut, par voie également déduc- tive, que l’hypothèse sera également exacte, dans tel autre cas, paraissant appartenir au même ordre que le premier. Vient ensuite le contrôle souverain de l’expé- rience. Tels étant l’objet et la méthode des sciences de la nature, il s’ensuit qu’elles se distinguent essentiellement de la métaphysique à deux points de vue : 1° les sciences physiques ont circonscrit leur champ de travail aux phé- nomènes extérieurs; 2° elles ont négligé la notion du sujet ou substance pour s’attacher à l’idée de cause conçue comme force (ce qui leur a permis d’aborder le problème des origines), et à l’idée de finalité. Les causes motrices et leurs lois constituent la partie dogmatique de l’astronomie, de la physique et de la chimie, tandis que la biologie comprend à la fois les notions de force et de fin. C’est ainsi que M. Cl. Bernard a été conduit à dire : « Le physicien et le chimiste peuvent repousser toute idée de causes finales dans les faits qu’ils obser- vent, qu’ils étudient isolément. Le physiologiste, au con- traire, est porté à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé, dont toutes les actions partielles sont solidaires et génératrices les unes des autres (1). » D’où l’on voit que si la métaphysique a un objet plus étendu, ou plus compréhensif dans sa généralité, l’obser- vation n’en est pas moins beaucoup plus restreinte, puis- qu’elle est limitée au domaine de la psychologie. Toute- (') Du Progrès dans les sciences physiques. (Revue des Deux-Mondes, l'“r août 1865.) 7 fois, qu’il s’agisse de la nature extérieure ou de philoso- phie proprement dite, la méthode suivie est identique. En premier lieu, l’étude directe des faits, et, ensuite, l’induction qui renferme toujours un à priori, c’est-à-dire une hypothèse (1). Youdrait-on, pour éviter tout à priori, suivant la prétention du positivisme, ramener la science à la rigoureuse observation des phénomènes et aux lois qui les régissent, indépendamment d’idées préconçues touchant les origines, la force motrice et la finalité (2), qu’on aurait témoigné seulement d’une parfaite inintelli- gence de la conception des lois naturelles? En effet, si l’on doit en croire M. Littré : « La notion de cause se ramène à ceci que, expérimentalement, à posteriori, nous avons constaté que tel antécédent est toujours suivi de tel conséquent. N’ayant point trouvé d’exception jusqu’à (') Par suite de l’invasion de l’esprit géométrique en philosophie, l’observation a été non pas.omise, dans cette science, mais restreinte à un nombre de données singulièrement incomplet. Il fallait avoir une sorte d’axiome ou principe général d’où sorlît tout le reste par voie déductive. Mais ce principe n’était lui-même qu’un fait empiri- que, car il exprimait, ainsique l’observe avec juste raison M. Berthelot {La Science idéale et la Science positive, — Revue des Deux-Mondes, 15 novembre 1865), l’état de la science positive au moment où cha- que philosophe écrivait. L’à priori avait son point de départ dans l’à posteriori. t*) « L’esprit humain devrait s’habituer à ne plus construire ces édi- fices, éminemment fragiles et périssables, qu’on appelle des hypothèses. » Toutes les hypothèses, quelles qu’elles soient, sont contraires à l'esprit scientifique, parce qu’elles n'expriment que des présomptions et des probabilités, et que la science ne peut s’alimenter que de convicLions et de certitudes. » Les hypothèses où se jettent 'es savants à corps perdu sont la manifestation la plus éclatante de la méthode à priori. Par exemple : les hypothèses cosmogoniques de l’unité des forces, de l’unité de la matière, de l’existence de l’éther, tout cela n’est qu’un tissu d’ingé- nieuses fictions. » (Wyrouboff, La Philosophie positive : hypothèse de l’éther en optique.) 8 présent, nous avons, par induction, changé le fait en loi; et cette loi n’a ni plus ni moins de valeur que toutes les autres ainsi formées, c’est-à-dire une expérience non démentie (1). » Par conséquent, les lois physiques relè- vent de l’induction, laquelle implique toujours un à priori, une hypothèse. Donc, si la science devait bannir toute hypothèse, il faudrait la ramener à l’empirisme le plus vulgaire, conclusion qui n’était nullement dans la pen- sée d’Aug. Comte. On voit, par ce qui précède, qu’entre les savants et les positivistes il y a plus que le simple malentendu dont se plaignent ces derniers (2). Il y a toute une question de méthode livrée à son libre essor par les uns, mise sur le lit de Procuste par les autres. La philosophie, après avoir observé, procède à priori, déduit, puis vérifie, s’il y a lieu. La science, ne suivant pas une autre méthode se trouve ainsi prise en flagrant délit de forfaiture métaphy- sique, c’est-à-dire d’hypothèse. La différence porte tout entière sur l’objet et non sur les principes généraux ser- vant de guide à l’esprit humain. Ils sont les mêmes et doivent être les mêmes partout. DE L’A PRIORI DANS LES SCIENCES EXACTES ET NATURELLES. Observer n’est pas suffisant pour la constitution de l’ordre scientifique. C’est ainsi qu’Aug. Comte, malgré ses tendances empiriques, a si bien compris le caractère abstrait de la science proprement dite qu’il a cru, dans son procès évolutif de l’esprit humain où il marche du (*) Du libre arbitre. (Revue de Philosophie positive, 18G8.) (*) Le célèbre naturaliste Huxley a montré récemment que ce mal- entendu est une scission déclarée. (Voir la Revue des Cours scientifi- ques, n<> du 30 octobre 1809.) 9 simple au composé, devoir placer les mathématiques avant la physique et l’astronomie, bien qu’une observation quel- conque des phénomènes naturels ait nécessairement pré- cédé toute tentative d’abstraction. La quantité telle est, dans son système, la donnée primitive, malgré son carac- tère médiat. Les mathématiques ont leur point de départ dans les axiomes et les définitions que Stuart Mill qualifie de généra- lisations de l’expérience. On ne saurait méconnaître, à mon avis, que l’observation est à la base de toutes les notions de cet ordre. L’unité et la pluralité, les quantités parais- sant égales ou inégales entre elles, le tout et les parties, les lignes, les surfaces et les solides n'auraient jamais été conçues sans les images correspondantes que l’esprit doit aux sens extérieurs. Mais si, indépendamment de la fiction gratuite des unités égales entre elles, que dément toute l’expérience connue, les axiomes et les définitions ne sont autre chose que de simples généralisations des faits obser- vés, comme il y a une hypothèse inhérente à toute géné- ralisation qui ne part de Y à posteriori que pour le dépasser, il s’ensuit que la science mathématique ayant, d’une part, pour condition essentielle, une fiction pure, repose, d’autre part, sur des principes renfermant tous un à priori, une hypothèse de notre intelligence (1). Ainsi, d’après Stuart Mill, les axiomes et les définitions, comme toute idée générale, procèdent de l’expérience. Ce sont des produits de l’induction s’exerçant sur une série de faits observés. Mais, en regard de cette interprétation, il y en a une très différente, et d’après laquelle nous pou- vons nous rendre compte d’une vérité générale par un acte intuitif, par la simple considération d’un cas particu- ') Stuart Mill, Système de Loyique. 10 lier. C’est ainsi qu’une proposition démontrée d’une figure géométrique est vraie d’une manière absolue, indépen- damment de toute comparaison avec des figures sembla- bles (1). Il suffît alors d’une intuition externe unique pour mettre en jeu ce qu’on appelle l’intuition rationnelle, et conclure à tous les cas possibles. La marche suivie n’est- elle point à priori, et, au point de vue expérimental, n’offre-t-elle point les allures de l’hypothèse, portée à sa plus haute puissance? En astronomie, on fait sans doute une part très large à l’observation, mais celle-ci ne jouit point, toutefois, d’un empire exclusif. Quand elle est muette, les astronomes ne se taisent point toujours. L’hypothèse de Laplace tran- che pour notre système, au moins d’une manière relative, la question des origines. Or, 11’est-ce point là une applica- tion particulière de la méthode métaphysique? De plus, l’attraction, dans le sens propre du mot, existe-t-elle entre les masses sidérales, ou bien celles-ci obéissent-elles sim- plement à des pressions exercées par un fluide subtil et universellement répandu? L’attraction, enfin, exprime- t-elle une loi vraie pour tous les mondes possibles? Ce sont là des questions qui dépassent le domaine de l’expérience et de l’expérimentation, aussi ne peut-on les résoudre que par un à priori quelconque. En physique, nous retrouvons la théorie de l’éther qui dépasse également toute observation directe, ce qui nous induit en métaphysique dans l’explication des phénomènes naturels. Et cette métaphysique supprime résolument la pesanteur du nombre des propriétés génériques des corps, bien que tous les corps accessibles à l'observation jouis- sent de cette propriété. A la question de l’éther se rattache, f) H. Smilii, Revue des Cours scientifiques, p. 190, ann. 1870. 11 par des liens étroits, celle de l’inertie de la matière envi- sagée par les uns comme absolue, ce qui est une hypo- thèse, et par les autres comme relative, ce qui est encore une hypothèse (1). Nous trouvons enfin, en physique, la théorie magistrale du XIXe siècle sur l’unité, ou l’équiva- lence des forces naturelles. Y a-t-il métamorphose ou simple corrélation dynamique? Dans les deux cas, en supposant l’hypothèse vérifiée pour tous les faits suscepti- bles d’une interprétation exacte, il resterait toujours son application à la question des poudres fulminantes qu’on a dû réserver. L’affirmation dépasse donc l’observation lorsqu’ici nous concluons, à priori, du particulier au général, du connu à l’inconnu. C’est un nouvel appel adressé à la faculté spéculative. En chimie, terrain que je n’aborde qu’avec une défé- rence respectueuse, les théories rivales des atomistes et des dynamistes, relativement à lu texture la plus intime des corps et à la nature de la matière ramenée à une association de forces, dépassent toute observation imagi- nable et ne sont pas autre chose que les fruits de l’inva- sion de l’esprit métaphysique. La première théorie n’en est pas moins fort en honneur de nos jours, et la doctrine générale de la science paraît en avoir tiré de très heureux résultats. Or, comme le fait remarquer M. Cournot : « Quoi qu’on en puisse dire dans les écoles scientifiques modernes, où l’on craint surtout de paraître faire de la métaphysique, l’atomisme mitigé, aussi bien que l’ato- misme pur, implique la prétention de saisir par quelque bout l’essence des choses et leur nature intime (2). » il, en chimie, conserver la notion d’attraction, l’expliquer (‘) La matière sensible étant supposée inerte, ses mouvements ont été'expliqués par des actions variées du fluide éthéré. (*) Traité de l’enchaînement des idées fondamentales, t. Ier, p. -64. 12 par des actions extérieures aux ou la sup- primer absolument comme le fait M. Sainte-Claire De- ville (2)? Rappelant l’idée dominante des chercheurs de la pierre philosophale, faut-il admettre que la matière est essentiellement une, bien que multiple dans ses expres- sions? Aucune des questions que je viens de poser ne peut être résolue que par une hypothèse. En géologie, l’eau et le feu jouent un rôle considérable au point de vue de la formation primitive des terrains. Peut-on assigner à l’un des deux une part exclusive, en se tenant à la limite rigoureuse des faits observés? L’école des révolutions soudaines, comme cause des modifica- tions profondes survenues à certaines époques dans l’écorce du globe, et l’école des causes actuelles ne for- mulent-elles point, l’une et l’autre, des conclusions qui débordent les prémisses? L’histoire naturelle est devenue, de nos jours, la proie de la métaphysique la plus hardie. La question des ori- gines, c’est-à-dire ce qu’il y a de moins accessible à l’ob- servation directe, est, depuis quelques années, la grande préoccupation scientifique. La vie est-elle, à son début, le produit pur et simple des forces physiques ou chimiques? un cas particulier de la gravitation par exemple? Puis cette vie, d’abord élémentaire et contenue dans une cellule primitive, saisie ensuite par Invariabilité indéfinie due, soit au milieu, soit à des conditions intrinsèques déterminant la sélection naturelle, s’est-eRe lentement élaborée de l’humble rudiment organique à l’homme lui- même, qui n’est qu’une étape dans la série progressive des êtres? Ou bien, au contraire, les espèces sont-elles primitivement et absolument distinctes, suivant la théorie (*) Pression de l’éther, par exemple. (s) Revue des Cours scientifiques, 16 mars 1867. 13 ancienne? Ne seraient-elles pas douées, plutôt, d’une variabilité seulement relative, d’où la formation des races? On ne saurait faire à la plupart de ces questions une réponse radicale et péremptoire, et il faut voir dans les hypothèses corrélatives des produits parfaitement auth n- tiques et légitimes de la faculté spéculative. En physiologie, le bilan des conceptions à priori grossit encore. Toute cellule provient-elle nécessairement d’une cellule, ou, dans la plup’art des cas, d’un blastème spon- tanément organisable? La cellule jouit-elle d’une auto- nomie complète, si bien que, dans toute la série zoologi- que, l’individu ne doive être considéré que comme une simple association d’éléments cellulaires, une république confédérée où, grâce à un merveilleux artifice, le lien de la fédération fait défaut puisqu’il n’y a point de pouvoir central? La vie de l’ensemble n’est-elle qu’une simple résultante des vies particulières? Ou bien y a-t-il une vie supérieure qui domine et régit les vies inférieures, c’est- à-dire cellulaires? Enfin, la vie, dans son sens le plus caché et le plus profond, doit-elle être entendue comme un simple problème de mécanique infinitésimale (*)? La nature d’Hippocrate, les archées de Yan-Ilclmont, (') En supposant, sous bénéfice d'inventaire, que la loi de la méta- morphose dynamique ait été vérifiée pour le système musculaire, il est très manifeste qu’une semblable vérification est encore à faire pour les phénomènes de sensibilité, d'intelligence, de volonté. Néan- moins, je pourrais citer tel ouvrage, couronné par une Faculté fran- çaise, où on explique ces divers phénomènes par des transformations de la chaleur envisagée comme le principe de toute activité. L’ouvrage se termine par un éloge accentué du positivisme, et par le coup de pied de certain personnage de la fable à l’adresse de cette pauvre métaphysique qui, après de si belles pérégrinations dans le domaine de la conjecture, devait s’attendre à plus d’égards. N’est pas positi- viste qui Veut ou suppose l'être, et il ne suffit point de se proclamer tel pour l’ètre en réalité. 14 l'âme de Stahl, le principe vital de Barthez sont des hypo- thèses. L’idée créatrice de M. CL Bernard procède du platonisme dont la physionomie métaphysique n’est pas contestable. Dans le domaine médical proprement dit, les concep- tions à priori se sont donné ample et libre carrière. Toutes les maladies sont-elles dues à des altérations por- tant sur les liquides? sur les solides? La lésion primitive siége-t-elle dans les nerfs, dans les vaisseaux ou dans les cellules? Ou bien n’exprimerait-elle qu’une perturbation purement dynamique? Puis, quel que soit le point de départ de la maladie, ne doit-on y voir qu’un fait d’exci- tation ou de dépression? qu’un produit complexe qualifié de phlegmasie? qu’un résultat d’altérations nutritives im- possibles à définir? qu’un cas particulier, enfin, de l’his- toire générale du parasitisme? Dans les sciences que je viens de passer en revue, il y a deux parts à faire : celle des faits d’observation, et celle des conceptions rationnelles ou spéculatives entrant de toute nécessité dans une construction dogmatique. Il y a donc des éléments positifs et un élément idéal ou méta- physique, unis et combinés entre eux de la manière la plus étroite, dans la synthèse de chaque science particu- lière. Au dessus de l’empirisme s’élève la loi naturelle, qui est le premier pas fait dans la voie inductive, puis vient le couronnement de l'édifice dans des hypothèses plus étendues. Du certain on passe au probable et au pos- sible. DE l’a PRIORI DANS LES SCIENCES MORALES. L’histoire ne se compose pas seulement des faits si divers qui ont marqué la vie du genre humain, mais encore des notions rationnelles qui cherchent à ramener ces faits 15 sous l’empire de lois particulières. L’antiquité grecque, malgré sa conception mythologique d’abord, philosophi- que ensuite, d’un fatalisme dominant toute activité indi- viduelle, n’a vu cependant que l’homme sur la scène de ce monde, lorsque les premiers historiens ont recueilli les annales du passé. Les Latins ont suivi les mêmes errements, qui se sont perpétués jusqu’au XVIIe siècle. À cette époque, Bossuet donne un aperçu magistral de la doctrine chrétienne appliquée à la conduite générale des évènements. Le plan de Dieu réalisé par les volontés par- ticulières n’a d’autre objectif que l’œuvre de Jésus-Christ et le triomphe de son Église. L’homme s’agite et Dieu le mène, telle est la vraie formule du système. Au XVIIIe siècle, avec Vico et Montesquieu, la notion de loi vient se substituer et à la volonté directe de la Providence et à toute spontanéité exclusivement indivi- duelle. La race, la situation géographique, le climat, le régime, les traditions morales et religieuses sont invo- quées, tour à tour, comme explication du procès histori- que de chaque peuple. La célèbre doctrine du détermi- nisme de Leibniz est là tout entière. Les lois de l’histoire sont des faits généraux, c’est-à- dire des produits de la faculté inductive qui conçoit un à priori, c’est-à-dire une hypothèse, à l’occasion de l’expé- rience. De plus, faire dépendre les événements, soit de causes absolument fortuites, soit du jeu exclusif de la liberté humaine, soit de Faction unique de la Providence, soit de lois invariables, comme la fatalité antique, n’est- ce point procéder à priori et commettre des hypothèses? La morale et l’esthétique se présentent dans des condi- tions analogues, en apparence, et cependant les lois qui leur sont propres ont un tout autre caractère. TJans les sciences de la nature et dans l’histoire, les lois ne sont 16 que des inductions empiriques, des généralisations de l’expérience. Mais, ici, l’expérience généralisée nous don- nerait tout le contraire de la morale et de l’esthétique. La règle, variable et progressive, n’est que la réalisation particulière d’un idéal ou objectif conçu par l’esprit. De môme qu’en mathématiques la raison saisit la vérité d’une manière définitive, à l’aide d’une seule construction géo- métrique, de même les notions de bien et de beau, une fois conçues, le sont pour toujours. Néanmoins, nous trouvons ici une différence essentielle, car la vérité mathé- matique demeure immuable, tandis que les types du bien et du beau sont, par nature, au moins relativement pro- gressifs. Les actions bonnes ou mauvaises, les œuvres des grands artistes et celles qui sont marquées à un tout autre coin, voilà l’élément positif en morale et en esthétique. La notion de type idéal, d’à priori rationnel, tel est l’élément métaphysique. La science sociale s’offre à nous également avec des faits et des hypothèses. Celles-ci très variées, dans leurs expressions, se rattachent néanmoins à deux principes fondamentaux : l'un qui consiste à placer l’individu au centre et la société à la circonférence, l’autre faisant de l’individu le satellite de la société, dont la formule est l’Etat. Les essais d’éclectisme, pour concilier ces deux principes, ont réussi, tout au plus, à pallier une contra- diction radicale. Aussi, en dehors du self government et du droit absolu, monarchique ou socialiste, acceptés exclusivement comme point de départ, les peuples sont- ils condamnés à une éternelle politique de bascule. Le self government, tout en reposant sur un fait empi- rique incontestable : l’autonomie de la personne humaine, ne s’offre, toutefois, qu’à titre d’hypothèse plus ou moins 17 probable, et dont il nous faut chercher la vérification expérimentale. Ce caractère hypothétique est si manifeste que l’évènement seul peut nous apprendre si un peuple est mûr pour un pareil système. Il y a ici des conditions de développement intellectuel généralisé, et surtout d’é- nergie morale, de virilité dans le caractère qui ne se rencontrent certainement pas en tout pays, et qui peut- être ne sauraient être acquises par toutes les races d’hommes. En pareille matière le doute est permis, et, néanmoins, le droit absolu d’une autorité politique n’est qu’une hypothèse gratuite, comme son principe, qui est souvent de faire d’un peuple le patrimoine d’un homme et de sa postérité, et toujours d’annihiler l’individu au profit de l’Etat. C’est au dernier point de vue que se rattachent les diverses tentatives d’organiser la félicité de tous au nom d’un principe théocratique, monarchique ou démocratique, en tenant plus de compte, d’ordinaire, de la souveraineté du but que de la légitimité des moyens. De là une machine savante et compliquée de restrictions sans nombre, de règlementations s’appliquant à tous les actes de la vie, et faisant bon marché de l’individu au nom d’intérêts reli- gieux, de la raison d’État ou de la raison sociale. N’y a-t-il pas eu des sociétés organisées comme des couvents, d’autres comme des casernes? D’autres sociétés n’ont été que rêvées par les utopistes prenant pour point de départ un certain idéal d’égalité absolue, qu’ils ont imaginé malgré les protestations de l’expérience. Certains songe- creux, enfin, se basant sur le principe de la liberté abso- lue, arrivent à conclure, pratiquement, par la révolution en permanence, chacun s’arrogeant le droit de régir tout le monde... s’il est le plus fort. D’où l’on voit que la méthode métaphysique se rencon- 18 tre partout dans l’ordre politique et social, s’y plaçant même au niveau de toutes les intelligences, si humbles soient-elles. L’utopie relative ou absolue, et qu’elle qu’en soit l’origine : théocratique, monarchique ou populaire, n’est qu’un fruit de la méthode à priori. Si maintenant je laisse à l’écart l’organisation du corps social, d’après telle ou telle conception particulière, pour m’attacher à la question de la source primitive du droit civil et politique, je serais conduit à établir une distinc- tion nécessaire entre le droit naturel et le droit conven- tionnel. Celui-ci est fondé sur le fait, les usages, les cou- tumes, d’où son passage dans une loi écrite; celui-là n’est que l’objectif, l’idéal vers lequel doit tendre tout droit positif qui se présente à nous, de prime abord, comme une généralisation de l’expérience. Or, la tendance incon- testable de l’esprit humain est de ramener et de subor- donner ce droit positif au droit naturel, à un idéal, à une notion spéculative. C’est ainsi qu’au nom de certains prin- cipes de liberté et de justice, par une revanche de l'indi- vidu sur la discipline sociale, l’étreignant jadis au point de l’étouffer, nous avons vu des races privilégiées arriver, de nos jours, à la pratique du self government. De l’examen comparatif qui précède, il résulte que l’esprit humain n’a jamais pu s’abstenir, même lorsqu’il s’est agi de sciences exactes, d’associer Y à priori à l’à posteriori, obéissant ainsi à une véritable nécessité de nature. Cela posé, on ne saurait lui faire un crime d’avoir agi exactement de même pour la philosophie proprement dite. Par philosophie on entend, d’une part, l’étude et la recherche de la raison des choses, des formes de la pensée, des lois et des procédés généraux de l’esprit humain, et, d’autre part, l’étude positive des phénomènes 19 psychologiques, dans toutes les questions afférentes au vrai, au bien et au beau. Le terrain de l’observation se trouve circonscrit, sans doute, mais on ne saurait nier son existence, à une exception près, celle d’Aug. Comte(1). Puis arrive l’intervention de la méthode métaphysique, c’est-à-dire de l’hypothèse qui se donne un essor d’autant plus libre que la vérification expérimentale est devenue plus difficile et plus rare. Donc, malgré le caractère si fréquemment conjectural de Y à priori philosophique, nous n’en retrouvons pas moins, ici, les éléments essentiels et fondamentaux de toutes les connaissances humaines. Donc, enfin, la science philosophique est à la fois positive et idéale; elle vit de faits et d’hypothèses. Du certain, nous y passons au probable et au possible. CONCLUSIONS GÉNÉRALES. La méthode à priori n’en est plus à faire ses preuves pour le progrès et la constitution des sciences de la nature. Elle n’en est pas moins comme à l’état de sus- picion permanente de la part des savants qui semblent généralement disposés à définir l'hypothèse une erreur pouvant être profitable. Pour être juste, il faut conve- nir qu’une pareille appréciation se trouve légitimée, au moins en partie, par le grand nombre d’hypothèses que la science a successivement délaissées. Mais, dans l’espèce, les savants font une induction, commettent un à priori, et lors même que toute conception de l’esprit eut été reconnue fausse jusqu’à ce jour, lorsqu’on est arrivé à la vérification expérimentale, il ne s’ensuivrait (1) Son disciple M. Littré lui inflige, à cet égard, un blâme formel. (Voir A. Comte et la Philosophie positive.) 20 nullement qu’il dût en être toujours ainsi à l’avenir. La conclusion déborde les prémisses, aussi ne puis-je accep- ter que l’hypothèse scientifique soit, par nécessité de nature, une erreur constante. Je ne vois nullement pour- quoi l’esprit humain n’arriverait point à des théories définitives, et que l’expérience des siècles à venir ne ferait que confirmer. Je citerai comme exemples probables, pour le moins, l’attraction dite universelle de Newton ; l’indestructibilité de la matière que supposa un jour Lavoisier; l’indestructibilitédu mouvement ou de l’énergie que proclament tous les modernes. En philosophie, tout ce qui est d’observation, tout ce qui est vérifiable par l’expérience, constitue la partie positive de la science. Sensations diverses, sentiments, instincts, imagination, mémoire, concepts rationnels, l’idéal de la morale et de l’esthétique, voûtions, tel est l’ensemble des données empiriques où les notions à priori tiennent une place importante (1). D’où l’on voit que c’est la psychologie elle-même qui nous ouvre un jour sur la métaphysique, considérée, non plus comme méthode, mais dans son objet. Alors se posent les questions de la portée de nos facultés, dans leur application à la théorie générale de la connaissance; de la légitimité du passage du sujet à l’objet; le problème de notre origine et de nos destinées, en connexion intime avec celui de notre nature; le problème de la cause ou des causes qui ont produit l’univers et y entretiennent l’ordre et l’harmonie. Sur tous ces points, nos connaissances ont un carac- tère plus ou moins conjectural, puisqu’elles échappent à toute vérification empirique, ce qui n’implique nullement fj Un concept rationnel est empirique en ce sens que l’observation permet d’en constater la présence en nous à titre d’élément psycho- logique. 21 pour moi qu’elles sont nécessairement fautives. Notre intelligence ne saurait y voir que des interprétations doctrinales ou systématiques dont le bien fondé, pour être vraisemblable, ne repose, néanmoins, sur aucune certitude démonstrative. Nous sommes dans le domaine de la probabilité, qui règle d’ordinaire notre conduite dans la vie et très souvent avec avantage. Tous les argu- ments empruntés à une adhésion absolue de l’esprit à telle croyance religieuse, ou non religieuse, sont dépour- vus de rigueur logiquement communicative. Ce qui est fondé sur la foi, quel qu’en soit l’objet, constitue pour le sentiment une certitude particulière et qui peut ne le céder en rien, comme influence sur notre esprit et sur nos actes, à la certitude démonstrative; mais celle-ci fait évidemment défaut. Les théologiens en tirent la consé- quence que le sentiment religieux, par nécessité de nature, vient accepter ici la suppléance de la raison, dont le rôle positif expire en présence de l’absolu. Pour ne laisser planer aucun doute sur ma pensée, je vais prendre un exemple : celui de la vie future. Presque toutes et peut-être toutes les races de la grande famille humaine possèdent cette croyance, même les peuplades assez inférieures, pour n’avoir, dit-on, aucune idée de la divinité : tels seraient les Australiens. Croire à la vie future se présente donc comme un fait universel, même en dehors des préoccupations philosophiques et religieu- ses. C’est là un élan tout spontané de la nature humaine qui mérite le nom d'instinct à l’égal de tel autre qu’il me serait facile de désigner. Or, nous savons que tous les autres instincts, à nous connus, ont leur objet dans la nature; d’où nous concluons par induction, c’est-à-dire par un à priori, basé sur l’a posteriori, que la vie future est une réalité. 22 Mais l’induction n’a qu’une valeur probable, môme lorsqu’elle est susceptible de vérification, car cette vérifi- cation est nécessairement restreinte à un certain nombre de cas. Dans l’espèce, nous savons que tous les autres instincts ont un o.bjet déterminé; mais quant à celui-ci, nous n’en possédons aucune preuve expérimentale accep- tée par la science. Donc, notre à priori n’est point vérifié, ce qui laisse une part incontestable au doute. Si, néan- moins, nous parvenons à jouir, à cet égard, d’une certi- tude entière, c’est qu’alors la certitude relève d’une autre faculté que la raison, qui ne saurait donner, ici, qu’une probabilité, suivant les uns, une possibilité, suivant les autres ; mais point cette évidence démonstrative qui con- fond et annule tout témoignage contraire. C’est la voix du sentiment intérieur qui se fait entendre avec une autorité sans partage et entraîne ainsi la conviction. Un philosophe croyant à l’immortalité de l’ûme admet un à priori qu’il ne saurait vérifier dans la vie présente, sauf recours au spiritisme. La certitude, pour être rationnelle, basée sur la foi que nous devons avoir dans le légitime usage de nos facultés, n’est point d’évidence majeure ou logiquement communicative. Elle est empruntée au sen- timent, à la foi dans un élan spontané de notre nature. Quant à l’homme religieux, tantôt il accepte la doctrine de la survivance, parce qu’elle lui a été enseignée par une autorité qui lui paraît suffisante; tantôt, et plus rare- ment, il considère une révélation donnée comme l’appoint nécessaire à notre esprit pour admettre une croyance que la raison seule est impuissante à démontrer. De cette vue d’ensemble, il résulte, à mon avis, que les errements de l’esprit humain n’ont jamais varié dans l’étude des sciences quelles qu’elles soient ; car les scien- ces présentent toutes, y compris celles de l’esprit, deux 23 éléments : l’un positif et basé sur l’observation, l’autre idéal ou hypothétique, et qui est ou non susceptible de vérification par l’expérience. Aucune science ne saurait se passer de ce dernier, ou, en d’autres termes, de la métaphysique, pour son progrès et son organisation inté- rieure, puisqu’aucune n’a pu s’en passer jusqu’à ce jour. Par une induction qui me paraît légitime, malgré son caractère à priori, je conclus qu’il en sera toujours de même à l’avenir. Les considérations qui précèdent, en nous montrant la place occupée par la méthode métaphysique ou l’hypothèse dans les connaissances humaines, nous montrent par cela même à quoi elle sert et son rôle dans l’économie des choses. Elle est partout et elle sert à tout, à moins d’ad- mettre, comme le positivisme, qu’elle ne soit partout et ne serve à rien (1). (*) J’avais, je l’avoue, complètement perdu de vue le très remar- quable article de M. Berthelot sur la science positive et la science idéale lorsque j’ai écrit cette dissertation. Ce n’est qu’après la rédac- tion définitive de mon travail, à une note près, qu’une citation de M. Lévêque (Nouvelle philosophie de la nature, — Revue des Deux- Mondes, Ier juin 1869) m’a fait relire l’article de M. Berthelot. Pour la partie philosophique, j’ai constaté avec plaisir une véritable ana- logie dans nos conclusions; mais nous différons sensiblement pour la question de la science proprement dite, où je ne vois de positif que l’observation, et où les lois et les hypothèses me’paraissent [avoir, comme en philosophie, bien qu’à un moindre degré, J un caractère conjectural. 18 mai 1870. (Extrait des Actes de l’Académie impériale des Sciences, Üclles-Leltres et Arts de Boni eaux.) Cordeaux.-lmp. G. Goisouiuiof, rue Guiraude, H.