*^ fvl f*< SURGEON GENERAL'S OFFICE LIBRARY. Section, M. L±fim U*<^ i> %v£ •t n ) lt*\ \à. t xs MOYENS DECONSERVER LA SANTÉ DES •' À HABITANS DES CAMPAGNES, :i!) '.]. . - '...! 0:.'.'. 0/ï) trouve à la même adresse les Ouvrages suivans,. de Mde> Gacon-Dufour. Manuel de la Ménagère à la Ville et à la Campagne, et de la {Femme de Basse-Cour: Ouvrage dans lequel sont indiqués des Remèdes éprouvés pour la guérison des Bestiaux et des / Animaux utiles, i vol. in-12., de.5oo pages, avec le portrait de l'Auteur, et uue planche gravée en taille-douce. Prix, 5 fr., brochés. Recueil-Pratique (FEconçmie rurale et domestique. 5e. édi- tion : avec une planche gravée en taille-douce. 1 vol. in-12. Prix, 2 fr. 5o c. De la Nécessité de VJnstruftiev, pour les Femmes. 1 vol. in-Api. Prix , 2 fr. 5o c. %es Dangers de la Prévention, Roman aaecdotique, 2 roi. DE L'IMPRIMERIE DE JEUNEHO^ME, rue de Soxbonne, n°. 4. MOYENS DE CONSERVER LA SANTÉ DES ***' HABITANS DES CAMPAGNES, Et de les préserver de Maladies dans leurs Maisons et dans les Champs ; Par M"e. J^ACON-DUFOUR, Auteur de divers Ouvrages d'Economie rurale (et domestique, et Membre de plusieurs Société* savantes et d'Agriculture. ■ / A PARIS, £bez Buisson, Libraire, rue Hautefeuille, n°. a5, 1806, W7F QlMm l?oe> On trouve à la même Adresse : Bibliothèque Physico-Economique , instructive et amU" santé, à l'usage des Villes et des Campagnes, publiée par Cahiers , le premier de chaque mois, à commencer du premier Brumaire an XI ( 23 Octobre 1802), par une So^ ciété de Savans, d'Artistes et d'Agronomes; rédigée par C. S. Sonnini , Membre de la Société d'Agriculture de Paris-, et de plusieurs Sociétés savantes, Nationales et Etrangères, Editeur et Continuateur de Buffon. Pre- mière, Seconde et Troisième Années de Souscription, formant chacune 2 vol. zn-12, avec 12 -.?ndes planches; prix , 10 fr. chaque Année. La Quatrième Année de Sous^ ^ription se publie comme les trois premières. Cet Ouvrage, v dont le prix de l'abonnement est Ûe ïo fr. pour les douze Cahiers, qu'on publie mois par mois, est la re- prise et la suite de l'ancienne Bibliothèque Physico-Eco- nomique. Chaque Cahier m-12 de 72 pages, de la nouvelle BMiothèque-Econonfique, contient toujours une plan- che graté* en taille-douce, et renfermant plusieurs figures, PRÉFACE, Lorsque j'ai entrepris cet Ouvrage, je n'ai eu d'autre but que de donner des Conseils aux Habitans de la Cam- pagne, afin cle les préserver des Mala- dies qu'ils n'ont souvent que par une suite de leur imprévoyance. J'ai cher- ché à les éclairer sur les causes qui les leur occasionnoient, et à leur indiquer les moyens de prévenir ces causes -, mais je n'ai point prétendu faire un Ouvrage de Médecine. Loin de m'éle- ver à cette Science, j'ai toujours ren- voyé (lorsque les Préservatifs m'ont paru insuffisans) aux gens estimables qui consacrent leurs veilles à étudier cet Art difficile, pour parvenir à sou- lager l'Humanité souffrante. Mes goûts et le long séjour que je fais à la Campagne, m'ayant mise a ij Préface. à portée àe voir de près ses Habitans, ( cette partie intéressante de la Société ) je les ai examinés sortant de leurs travaux, étant en sueur, et, pour se reposer, allant se mettre dans des en- droits froids et humides. J'ai donc dû tâcher de leur démontrer la nécessité de prendre des précautions, pour évi- ter les maladies qu'une pareille con- duite leur attireroit. J'ai remarqué le peu de soins qu'ils avoient de leurs Enfans, non par dé- faut de tendresse, mais faute de savoir comment ils dévoient s'y prendre, et suivant tout uniment la routine de leurs grand'mères, et j'ai du les aver- tir de ce tort, Cette routine, me dira-Non, les a élevés et conservés depuis des siècles : ils ont donné des soldats à l'Etat, des ouvriers pour tous les travaux , et ils ont été à peu près heureux* Oui, à peu près : c'est donc un, devoir de Préface, iij tâcher de rendre leur position plus douce, et sur-tout de s'appliquer à leur démontrer qu'avec des précau- tions , ils pourront suivre les travaux auxquels le sort les a condamnés, sans être forcés de les interrompre poui se soigner, et consommer en maladie le gain que ces mêmes travaux leur ont procuré, gain qui doit être em- ployé à nourrir toute leur Famille. L'on ne sauroit trop calculer com- bien la santé et la vie d'un Père et d'une Mère de Famille sont précieuses; et c'est un devoir de les prémunir contre les maux qui les entourent, afin qu'on s'évite la douleur de les voir mendier, après qu'ils ont con- sacré leurs beaux jours à pourvoir à l'existence de ceux que le sort a mieux traités. J'ai souvent gémi de voir les dan- gers qui les entouroient, et de ce que pas un être ne s'occupoit de les en a z ii> Préface. éloigner, et de leur indiquer les moyens de s'en garantir. Je n'ai pu résister au désir de venir à leur secours. J'ai considéré les Paysans dans leurs demeures, aux champs, dans le cours de leurs travaux, et même lorsqu'ils sont livrés à des travaux nécessaires, mais dangereux. J'ai traité d'abord des1 causes qui ren- dent peu saines leurs Habitations; et, par des raisonnemens simples et à leur portée , j'ai tâché de leur inspirer , en servant leur intérêt pécuniaire , dé remédier à ce mal, qui est en partie cause de toutes leurs incom- modités. Ces moyens ne les dérangent point de leurs travaux, leur donnent plus de commodité , n'augmentent point leur dépense, et peuvent la dimi- nuer; je dis, peuvent la diminuer, et cela est incontestable; car, en ren-» dant leur Habitation plus saine, ils Préface, v seront mieux portons , et ne seront point, forcés, pour réparer leur santé, de donner le produit de leurs tra- .vaiix aux Chirurgiens. ,, Eans les Villes, même pour les Ou- vriers , il e*t beaucoup moins dange- reux d'avoir recours à la Médecine, parce quje l'Art y «st poussé presqu'à la perfection ; mais dans la plupart des Villages , ce sont des gens qui se sont faits eux-mêmes Chirurgiens, qui ont appris à lire, et qui ( non dans de bons Auteurs où ils auroient puisé 4'excellens principes ) ont recueilli par hasard quelques remèdes qui ont été salutaires pour une maladie , et qu'alors ils emploient pour toutes. Le plus souvent, j'ai mis mes soins à dissuader les Paysans d'avoir recours aux Charlatans qui abusent de leur crédulité; et j'ai été assez heureuse pour réussir, avec quelques rafraî- cfrissemens et un peu de meilleure V) Préface. nourriture, à leur rendre la santé. Le nombre de Paysans qui ont eu recours aux Médecins, dits Médecins des Urines, et qui ont péri dou- loureusement, est incalculable. Si les Charlatans se contentoient d'indiquer qu'ils aperçoivent dans les urines telle ou telle maladie, et s'ils ne vendoient point des tisannes ou autres drogues, qu'ils ne connoissent pas davantage que les maladies qu'ils ont décrites, cela seroit moins dangereux ; mais leur intérêt les porte à vendre leurs drogues, et la crédulité des Habi- tans des Campagnes les conduit à la mort. Ce sont ces gens-là sur-tout que je me suis appliquée à désigner comme funestes pour la santé. J'ai traité de l'Air sain et de l'Air malfaisant, du Repos nécessaire après le travail, des différentes espèces d'A- limens, et du temps des Repas. Loin de dissuader de changer la manière Préface* vij qu'ont les Paysans de se nourrir de végétaux, j'ai, à l'appui de mon ob- servation , cité des exemples de gens qui ont parcouru une longue carrière exempte d'infirmités , en se nourris- sant en grande partie de végétaux. J'ai tâché de démontrer la nécessité de ne donner aux Vieillards et aux En- fans que des Alimens doux et de facile digestion , qu'ils puissent mâcher sans difficulté; les uns, parce qu'ils n'ont plus de dents, et les autres , payce qu'ils n'en ont point encore^ et je leur ai expliqué de mon mieux combien il importoit à la digestion de bien mâ- cher les Alimens, cela étant absolu- ment essentiel, sur-tout pour les Ha- bitans des Campagnes , qui souvent ne se donnent pas le temps de manger, et qui ont même l'imprudence de man- ger en travaillant; ils croient gagner du temps, et ils s'exposent à en perdre, puisqu'ils peuvent s'occasionner une viij Préface. forte indigestion, et être forcés d'in- terrompre leurs travaux. J'ai observé le temps nécessaire au sommeil : je leur ai fait sentir les in- convéniens d'un exercice forcé , et, après cet exercice, de s'exposer à sup- primer la transpiration insensible , cette suppression étant cause de pres- que toutes les maladies. J'ai mis en fait (et je crois ne m'être pas trompée) que l'exercice habituel def Gens de la Campagne contribuoit à les conserver en santé ; mais qu'aussi un exercice immodéré pouvoit les rendre malades ; et, dans ce cas , je leur ai conseillé des Alimens sains, lé- gers et rafraîchissans, pour réparer la trop grande déperdition qu'ils au- roient pu faire. Je leur ai fait entrevoir le danger auquel ils s'exposoient en se livrant à l'excès du Vin, danger dont les ré- sultats sont aussi nuisibles à la santé Préface, ix qu'au bonheur; et, dans les conseils que je leur ai donnés , j'ai toujours fait entrer leur intérêt pécuniaire 9 qui est ce qui touche davantage le Paysan, et persuadée qu'avec ce moyen on paryient plus aisément à le con- vaincre. Quoiqu'habitant la Campagne, et pouvant sans cesse respirer un air pur,, le Paysan est toujours, cependant, ex- posé à des odeurs méphitiques, qu'a- vec un peu de soin il pourront éviter» L'air et l'exercice sont pour l'homme les choses les plus essentielles. La pri- vation de l'air sajubrelui cause des ma- ladies pestilentielles. J'ai dû entrer dans des détails, et lui présenter l'incon- vénient de se priver de ces deux choses,, comme étant pernicieux à sa santé ; mais j'ai dû en même temps me servir > d'expressions simples et à sa portée; j'ai dû aussi nommer les choses avec lesquelles ses travaux le forcent de stz a * # Préface. familiariser, et lui indiquer les moyens, tout en se livrant à ces travaux, de se garantir des maux qui pourroient l'atteindre. Je me suis un peu étendue sur les soins à prendre des Enfans, dès l'ins- tant de leur naissance, parce que je suis convaincre qu'au physique et au ,moral, les premiers temps de notre vie influent sur le reste. Je me suis récriée sur l'usage du Maillot, et j'ai démontré que , même une Paysanne , qui n'a point à ses ordres une berceuse, gagnera du temps à ne point emmaillotter son Enfant ; qu'il s'en trouvera mieux ; que sa santé n'en sera point altérée , et qu'elle- même po urra vaquer à ses occupations. Les soins, lors de l'allaitement, sont sans contredit très-nécessaires-; mais ceux qu'on doit prendre lorsqu'on sèvre les Enfans, sont pour le moins aussi importans : j'ai tâché, tout en Préface, xj les détaillant, de les rendre faciles aux Femmes de la Campagne, et de leur prouver que loin d'y employer un temps nécessaire à leurs travaux, elles pourront au contraire l'économiser. J'ai combattu, autant qu'il a été en mon pouvoir , des usages dont les suites sont pernicieuses pour les En- fans, et je n'ai pas craint d'en montrer le danger aux Mères pour être utile aux Enfans. Une chose que l'on a pu remarquer, à la Campagne, c'est que presque tous les Paysans ont les dents gâtées : l'on attribue tantôt à l'eau, tantôt à l'air, cette difformité, qui en est réellement une, qui de plus est un mal véritable, et parles douleurs qu'ellefait éprouver, et par le travail qu'elle cause â l'esto- mac, qui ne peut pas broyer les Ali- mens faute de mjyens pour les tritu- rer. Pour moi, je suis plus franche5 xi) Préface. j'attribue la perte des dents à la négli- gence de se laver la bouche. L'on doit penser que je n'ai pas in- diqué les opîats, les poudres, pour conserver les dents; mais j'ai conseillé une très-grande propreté; j'ai recom- mandé qu'on se lavât tous les jours la bouche avec de l'eau pure ; qu'on frottât légèrement les gencives ; et que, quand bien même, par suite du frotte- ment , elles viendraient à saigner , loin de causer un mai, ce seroit un bien, puisque cela les dégorgerait et redon-* neroit de la vie aux dents; car on ne peut se dissimuler que les dents se nourrissent et sont sensibles. Il est nombre de maladies qui n'ont ^'autres principes que des maux de dents. J'ai vu des Personnes conserver pendant des années, des maux de tête à devenir folles ; d'au||£s, avoir des mi- graines, éprouver des mélancolies, des pesanteurs de tête que rien ne pouvoit Préface. xiij diminuer, et ne devoir ces incommo- dités qu'à une dent gâtée, parce que ce qui fait la substance de la dent ré- pondant à d'autres nerfs, causoit tout ce ravage ; mais aussi, la dent arrachée, les douleurs ont cessé tout à coup. Les maux de dents sont presque toujours la suite de la négligence qu'on met à les conserver; il en résulte quel- quefois des ulcères aux gencives; heu- reux encore si ces ulcères sont exté- rieurs et à la portée des remèdes \ Sou- vent aussi l'on est privé du sommeil, du sommeil qui est le baume le plus sa- lutaire pour se conserver en santé, sur- tout pour l'Habitant des Campagnes, livré, par sa condition, à des travaux pénibles. Je me suis aussi très-étendue sur la nécessité de maintenir la transpiration insensible; et même toutes les fois que j'ai eu occasion d'en parler , je l'ai saisie, aimant mieux qu'on m'accusât W Préface, de me répéter , que de négliger de faire entrevoir, les inconvéniens qui en résultent. Rien n'est aussi aisé que de suppri- mer cette transpiration : c'est une hu- meur si subtile, si déliée, enfin, c'est une vapeur qui s'évapore si facilement, que c'est la chose à laquelle il faut faire lq plus d'attention, parce que son ab- sence cause tous les maux. Plusieurs expériences peuvent dé- montrer que cette transpiration existe même quand on croit que toutes les parties du Corps sont sèches. L'on n'a qu'à mettre son doigt sur la surface d'un miroir ou d'un autre corps bien poli, on y laissera la trace de l'humidité. Le Chapitre où j'ai traité desécueils qui entourent l'homme adulte, peut être pris en considération par les Habi- tans des Villes, comme par ceux des Campagnes. J'ai tâché d'éloigner les premiers du Préface. xq luxe de la table, et les autres de l'excès des boissons. Je leur ai fait entrevoir le danger qu'ils couraient à se laisser entraîner à cette nonchalance et à cette inaction où tombent les jeunes gens qui entrent dans l'âge de puberté ; je leur ai conseillé de se livrer à un exercice modéré qui les tirerait de cet état de langueur. J'ai fait de mon mieux pour leur peindre les dangers auxquels ils s'ex- posent en suivant la fougue qui les en- traîne. Il est un écueil qu'un jeune hom- me doit éviter ; mais comment l'en écarter quand la Nature elle-même semble être sa complice? Cependant beaucoup d'hommes ayant à peine atteint l'âge de trente ans, sont déjà dans la caducité, parce qu'ils se sont énervés dans leur jeunesse. Si, au contraire, ils sont tempérans, ils jouissent de toutes leurs facultés; leur esprit est libre, propre à tous les xrj Préface. travaux; leur corps est robuste et sain ; une force mâle se trace sur leur visage et remplace les grâces de la jeunesse; ils parviennent à une longue carrière, sans infirmités, et, vieux,ils semblent encore jeunes. Les Paysans ont une habitude bien dangereuse, que j'ai voulu tâcher de détruire ; c'est celle de dormir dans les Champs. Ten ai vu prendre des fièvres chau- des, après avoir dormi exposés aux rayons ardens du Soleil; d'autres, gagner de fièvres putrides pour avoir pompé, en dormant aupivs des marais, les va- peurs méphitiques qui s'en exhalent dans les chaleurs de l'été; et d'autres , être long-temps dans un état d'as- phixie pour s'être endormi dans un champ de trèfle. J'ai tâché aussi de prémunir les Fem- mes contre les dangers quirésulteut de l'usage des chaufferettes.. Préface. xvij Cette manière de se réchauffer est attrayante, mais pernicieuse, et j'ai eu un peu de hardiesse, j'en conviens, de tenter de les en corriger; mais je n'en ai pas moins entrepris de les persua- der, en leur prouvant que la position que prend la Femme lorsqu'elle s'assied au dessus de la chaufferette, peut lui occasionner les plus grands maux ; la chaleur factice qui s'élève insensible- ment dans le vide des habillemens, ne chauffant que les parties intérieures. L'on sait que la trop grande chaleur ouvre les pores et fait perdre à la peau son élasticité naturelle ; qu'elle produit une transpiration trop abondante, et occasionne des pesanteurs de jambes qui sont très-communes aux personnes habituées à se servir de chaufferettes; lorsqu'on s'y est habitué, l'on éprouve alternativement du chaud, du froid, et cela peut occasionner des engelures. Des Gens de mérite ont été de mon xçiij Préface. avis, ou plutôt c'est d'après le leur que j'ai conseillé de s'abstenir des chauf- ferettes. J'ai rapporté à ce sujet, l'opi- nion du docteur Jacob Ménéghetti et de M. Jean-Georges Zimmermann. D'ans les Campagnes, chaque Habi- tant cuit son pain, et j'ai vu arriver souvent, sur-tout l'hiver, des accidens occasionnés par la braise du four; j'en ai rapporté quelques-uns , afin d'ef- frayer les Femmes qui en font usage ; j'ai mieux aimé leur causer des ter- reurs, mais aussi les sauver des acci- dens qu'elles ne courent que par ignorance. Tous les Hommes sont exposés aux intempéries des saisons, mais plus par- ticulièrement les Habitans des Cam- pagnes, et les Ouvriers qui sont obli- gés de se livrer à des travaux exté- rieurs. Souvent un Laboureur,un Mois- sonneur, un Maçon, sont surpris par un orage : leurs vêtemens sont mouil- Préface, xix les ; l'eau pénètre jusqu'à leur peau, et l'on ne peut se faire une idée des maux que les pluies froides peuvent occasionner. Trop souvent , hélas ! celui qui reçoit un orage, ne possède que le vêtement qui le couvre ! Il serait beaucoup moins incommo- dé s'il la recevoit sur le corps, à nud; elle lui serait même salutaire, l'homme étant au physique comparable aux ani- maux, à qui la pluie, lorsque la saison est tempérée, est très-nécessaire ; mais les vêtemens se chargeant de trop d'hu- mide, cet humide pénètre dans leur corps , intercepte la transpiration , et cause quelquefois des pleurésies et des fluxions de poitrine. J'ai donc dû les avertir du danger, et leur indiquer des moyens de s'en garantir, sans que ces moyens excé- dassent leurs facultés , et leur em- ployassent un temps qu'ils ne peuvent jamais sacrifier. xx Préface, J'ai aussi conseillé aux Bergers et aux Compagnons f i) , de s'abstenir de rester dans les Jetables et .dans les Ber- geries lorsque leurs vêtemens sont mouillés; quelquefois même ils s'y en- dorment, et cette imprudence leur est très-pernicieuse , sur-tout dans beau- coup d'endroits où, encore à présent, les Bergeries n'ont aucune ouverture pour procurer un courant d'air ; alors , les toisons des Moutons imprégnées d'eau, répandent une humidité chaude qui est très-malfaisante; et le méphi- tisme des fumiers joint à celui de l'haleine des troupeaux , peuvent à l'instant asphixier. Un bon Berger est un être précieux pour un Cultivateur, et Von ne sau- rait trop les préserver des dangers trop ïmminens en pareille circonstance. J'ai conseillé, d'après Franklin, aux Habitans de la Campagne , de faire (1) Ceux qui gardent les Vaches. Préface. xxj usage des bains d'air. Cette manière de se rafraîchir est commode, et ne gêne point celui qui en fait usage; je l'ai employé avec succès dans les gran- des chaleurs» Voici comment s'exprime Franklin : « Vons savez que depuis long-temps » les bains froids sont employés ici » comme un tonique; mais le saisisse- » ment que produit en général l'eau » froide, m'a toujours paru trop vio- » lent; et j'ai trouvé plus analogue à » ma constitution, et plus agréable, » de me baigner dans un autre élé- » ment, c'est-à-dire, dans l'air froid, » Je reste déshabillé une heure ou une » demi-heure, suivant la saison, m'oc- » cupant à lire ou à écrire. » Cet usage n'est nullement pénible, » il est au contraire très-agréable; je » me mets au lit et jouis d'un som- » meil délectable. Je ne crois pas que » cela puisse avoir aucun dangereux xxij Préface. » effet; ma santé du moins n'en est » point altérée, et j'imagine au con- » traire que e'est ce qui m'aide à la » conserver : c'est pourquoi j appelle » ce bain, un bain tonique. » J'ai tâché de détruire un préjugé qu'ont lesFemmesdelaCampagne, qui est d'éviter de se laver les pieds et le reste du corps, lorsqu'elles sont encein- tes. Je leur ai conseillé, au contraire, de se baigner pour se procurer un som- meil tranquille , qui est un des plus grands biens dans l'état de grossesse. Autrefois, on étoit persuadé que les bains étoient contraires aux Femmes enceintes, et on leur défendoit expres- sément d'en user; mais la science mé- dicinale et chirurgicale ayant fait de grands progrès, on s'est don vaincu que, loin que les bains fussent contraires aux Femmes enceintes, ils leur étoient très- salutaires, et qu'ils facilitoient l'accou- chement. Préface, xxiij Comme les Habitantes de la Cam- pagne n'ont pas la possibilité de se pro- curer des baignoires chez elles, je les ai engagées à se baigner, l'été, dans la rivière. J'ai vu des effets si salutaires des bains de rivière, que je ne saurais trop les recommander. J'ai guéri un petit Enfant de quatre ans, d'une maladie connue, même des nourrices, sous le nom de carreau, seulement en le baignant dans la ri- vière; il reprit en très-peu de temps sa force et son appétit; depuis, j'ai in- diqué ce moyen à différentes person- nes qui ont suivi mon avis, et s'en sont très-bien trouvées. Je pense même que des enfans qu'on baigne souvent ne sont point atteints de cette mala- die , qui en fait périr beaucoup, et que cela" les entretient dans une pro- preté nécessaire à la santé. Rien n'est plus vrai que la maxime , qui dit : xxiv Préface. Si vous voulez vivre en santé, ne souffrez aucune mal-propreté sur votre corps, sur vos habits, et dans votre maison. Ilestdespréservatifsnécessairespour certains travaux, dont il n'est pas pos- sible que lesmanouvriers fassent usage, cela diminueroit le produit de leurs journées, et un père de famille à be- soin de tout ce qu'il gagne; j'aidûleur faire entrevoir les dangers auxquels ils s^exposoient; mais j'ai dû intéresser la sensibilité des entrepreneurs de ces tra- vaux, pour qu'ils prissent des moyens de ne pas compromettre la santé et la vie de ceux qui, pour une légère ré- tribution, font très-souvent des ou- vrages qu'aucun de nous ne voudroit entreprendre. Les ouvriers broyeurs de couleurs, sont encore plus exposés que beaucoup d'autres. M. Boulard proposa, il y a environ i5ans, un moyen de les o-a_ rantir Préface, xxtf rantir des émanations dangereuses qui s'exhalent des substances qui entrent dans la fabrication des couleurs ; mais ce moyen simple, ingénieux ne peut être, ainsi que je viens de le dire, employé par des gens travaillant à la journée, et qui ont quelquefois une nombreuse famille à soutenir : il leur est impossible de soustraire un sou de leur foible gain. J'ai donc dû donner de nouveau aux entrepreneurs , le . moyen de M» Boulard^, qui ne saurait être trop connu , puisqu'il peut garantir une classe d'hommes courant sans cesse de grands périls. Hélas! malheureusement nous nous occupons plus de nos intérêts que de la conservation des hommes qui les ser- vent ; cependant, si nous ne trouvions point d'ouvriers pour remuer les fu- miers, currer les mares, vider les fos- ses ^ broyer et piler les couleurs ( toute b xxvj Préface. espèce de travaux qui peuvent en une minute faire périr l'homme qui s'y livre), il faudrait bien que nous nous y exposassions nous-mêmes, et que nous courussions les mêmes dangers. Puisque nous trouvons des gens qui le font volontairement, prenons les pré- cautions Commandées par la raison et l'humanité, pour prévenir leurs maux. Souvent la misère des Habitans de la Campagne les force d'acheter à un prix modique, et pour se procurer une jouissance d'un moment, du mou- ton , du veau , de la vache même, que des accidens imprévus ont fait mourir. Oes accidens arrivent ordinai- rement aux bestiaux, au commence- ment du printemps; et ceux qui man- gent de ces animaux, morts ainsi, doivent en grande partie attribuer les fièvres qui les accablent à cette époque , à la nourriture malfaisante qu'ils ont prise. Préface. xxçij J'ai formé le vœu, que le Gou- vernement enjoignît aux Adminis- trations Municipales de veiller à ce que des animaux , morts par acci- dens , fussent enterrés, et qu'il fût défendu, sous peine d'amende , aux propriétaires de ces bestiaux , de les vendre. Depuis , l'on m'a dit qu'il existoit des Lois de police, qui dé- fendoient de pareils abus. Je forme le vœu aujourd'hui qu'on les fasse exécuter; car j'ai.vu de ces malheu- reux, après avoir mangé de ces vian- des corrompues , éprouver des co- liques et des fièvres pestilentielles; j'en ai vu aussi être couverts de bou- tons scorbutiques ; et je ne fais aucun doute de croire que ces maux étoient occasionnés par la nourriture mal-saine qu'ils avoient prise. L'on me fera peut-être le reproche d'avoir écrit un long Chapitre sur les Affections de l'Ame , et de leur in- xxviij Préface. fluence sur la Santé; mais, comme je l'ai dit dans ce Chapitre même, je n'ose espérer que ceux pour qui j ai entrepris cet Ouvrage, me liront : j ai donc pu le faire, pour que les Pro- priétaires , amis de l'humanité, qui habitent leurs Campagnes, et qui veu- lent jouir du bonheur d'être utiles à leurs semblables, puissent y puiser des préceptes pour ceux qu'ils désireront éclairer, et des conseils pour garantir eux et leurs enfans des dangers des passions. Je n'ai peut-être pas atteint le but que je me proposois, celui d'être utile ; mes vœux les plus sincères y tendent pourtant tous les jours; mais si mes foibles talens n'ont pas secondé mes désirs , j'aurai au moins par- devers moi la consolation de l'avoir entrepris. L'HYGIÈNE L'H Y G I È N E D E L'HOMME DES CHAMPS, V O U MOYENS DE CONSERVER LA SANTÉ •DES HABITANS DES CAMPAGNES. CHAPITRE PREMIER. Aperçu des Causes qui rendent peu saines les Habitations des Gens delà Campagne. Il est des personnes assez amies de l'huma- nité , pour désirer et demander même qu'on s'occupe d'améliorer le sort des habitans de la campagne, et qui, ayant des connoissances en physique, ont souvent la preuve que l'ha- bitation de l'homme des champs n'est point saine, en raison du peu d'air vital qui y règne. Mais dites à un paysan : « Le gaze azote joint » au gaz acide carbonite, rend votre liabita- A (3 ) » tion malfaisante, parce qu'il n'y règne pas » assez d'air vital, » il vous répondra comme ce paysan du Bocage: Qu'eu qu'où dites donc nout' maît'? parlais français, si vous vou~ lais que j'vous comprenions. Le peu d'aisance des villageois les force or- dinairement à loger dans le même réduit, eux, toute leur famille, et quelquefois aussi les bestiaux qu'ils possèdent. La nécessité, «yi contraint toutes les lois, le leur commande impérieusement. De simples claies forment la séparation entre la famille et les bestiaux. Le matin, les hommes et les bestiaux vont aux champs ; la chaumière se trouve fermée, et l'air ne peut s'y renouveler. Comment les ga- rantir des maux que cela leur occasionne? ce n'est pas chose aisée: d'abord, parce que les < moyens d'agrandir leur demeure leur sont quel- quefois interdits; ensuite parce qu'ils sont nés dans leur chaumière, et que leurs pères y onf terminé leur carrière souvent très-avancée. Ils vous répondront -.Nousy sommes accoutu- mé*. Ils ont même en faveur de cette habitude, une chose à dire qui permet peu de réplique : c'estqueles gens aisés qui peuvent se procurer toutes les commodités de la vie, jouissent, pour la plupart, d'une santé foible, traînent ( 3 ) une vie qui leur est à charge, ne peuvent se nourrir que d'alimens choisis et proportion- nés à la foiblesse de leur estomac; tandis que les habitans des campagnes font disparoître en un instant la miche de pain bis et le mor- ceau de lard enfumé qui composent leur nour- riture , sans qu'ils en soient incommodés. Il n'est qu'un moyen qui pourrait les en- gager à apporter quelqu'attention à la distri- bution de leur demeure, c'est l'intérêt: non l'intérêt de leur personne, car en général les paysans sont très-durs pour eux-mêmes; mais l'intérêt pécuniaire, qui les touche beaucoup plus que les maux qui pourroient les atteindre. Pour les persuader que leur habitation est mal-saine, il convient de commencer par leur ttjéifiontrer que leurs bestiaux, étant privés d'air, ne leur produisent point un aussi grand bénéfice ; que le lait des vaches est moins abon- dant, la laine des moutons moins belle; que ces derniers sur-tout sont exposés à des ma- ladies mortelles, s'ils ne respirent point un air pur ; que les fumiers laissés trop long- temps sous eux, leur attaquent le foie, leur donnent la croielle ( 1 ), parce que cela les (1) La crotelle est une maladie qui vient aux mou- tons, lojcqu'ils restent long-temps sur des fumiers A3 (4) échauffe, et relâche leurs excrémens. Ces pbservations les frapperont beaucoup plus que tout ce que vous pourrez leur dire relati- vement à la salubrité de leur habitation , et vous aurez pourtant réussi ; puisqu'en cher- chant à rendre la demeure de leurs bestiaux plus saine, cela influera sur la leur. Ensuite, indique:fcrleur des procédés simples, qui soient à leur portée; abstenez-vous sur-tout de mots scientifiques, qu'ils ne comprennent point. Je ne cesserai de le répéter : si l'homme des champs qui désire s'instruire, tombe sur un livre savant, et qu'il soit obligé d'apprendre )es mots avant d'essayer la chose, il sera re- buté, gardera son ignorance, parce que la science lui paroîtra trop difficile à acquérir. Une chose qu'il est essentiel de démontrer aux habitan.s de la campagne, c'est le tort qu'ils ont de composer leur lit de la manière dont ils le font presque tous. Une très-grosse paillasse,dont ils ne renouvellentla paille que tous les quatre ou cinq ans, et un lit de plumes, composent tout leur coucher. Le lit déplu- mes leur coûte plus cher qu'un matelas, et est pourris. Cela leur échauffe les parties sexuelles re- lâche leurs excrémens qui s'attachent à la laine la diminue deprix,et nuit la santé de l'animal. (*) beaucoup moins sain: ils sont même couclifs moins mollement qu'avec un simple matelas sur une paillasse; parce que la plume ayant plus de jeu dans le coutil que la laine dans la toile du matelas, la plume s'affaisse et s'écarto entre le mari et la femme, et souvent leur petit enfant, et ils se trouvent ainsi tous trois sur la paille qui, renfermée depuis si long- temps dans une paillasse , prend un mauvais goût, répand des vapeurs méphitiques et ma!j gaines, sur-tout ne changeant, comme je l'ai dit, cette paille que tous les quatre ans. J'ai-* merois mieux qu'ils fussent couchés seule- ment sur un lit de menue paille d'avoine, que sur de la plume : cette paille étant bien criblée, se trouve débarrassée de la poussière, et elle a l'avantage d'être presqu'aussi douce que la plume. Souvent des paysans ont des canards, non! pour les vendre ni pour les manger, mais pour les plumer et se composer des lits. Us nese donnent pas la peine de passer cette plume au four : il y reste de petits insectes impercep- tibles, qui s'attachent aux grosses plumes (car ce ne sont pas des lits de duvet), qui les ron- gent et leur donnent une mauvaise édeur, et cela est très-pernicieux pour leur santé. \ 6 ) Pour vous convaincre de ce que j'avance, soyez présent lorsqu'une paysane fait son lit, vous serez presque suffoqué par l'odeur méphitique qui en sort. — Son travail l'ap- pelle hors de sa maison , elle recouvre son lit, renferme cette odeur , et, la nuit, elle la respire. — Les citadins, en se levant , ont un teint blême, dû à la mollesse de leur lit, aux odeurs spiritueuses, à Pair étouffé de leurs alcôves. — Le paysan, en se levant, a le teint échauffé et respire à peine : il a besoin de se mettre à la porte de sa chau- mière, pour renouveler l'air dans ses pou-t nions, et cela parce que sa couche est mal- saine, et qu'il a respiré toute la nuit un air étouffé. Il se met à l'air sans précaution ; l'instinct l'y porte et non la réflexion ; il quitte son lit, souvent en sueur, et en che-^ mise, la tête nue , sans bas , il s'expose au froid et cela lui est très-préjudiciable. Mai> dites à un paysan de faire en sorte de passer d'un air chaud à un air tempéré, il vous ré- pondra encore : je n'ai pas le temps de faire ce calcul ; les besoins de ma famille exigent que je l'emploie à travailler et non à examiner ce qui peut m'être nuisible. — Je mets en fait que sur cent babitans des campagnes, quatre-, ( 7 ) vingt-dix vous feront cette réponse. Il est démontré que cette transition subite du froid au chaud cause des maladies. Dans toutes les saisons de l'année , le pay- san est vêtu de laine: au soleil brûlant comme au froid le plus aigu, ses vêtemens sont les mêmes. Si c'est l'été, lorsqu'il est. arrivé au lieu de ses travaux, il se met en chemise, agit beaucoup et transpire de même. L'heure des repas vient, il quitte l'ouvrage, met sa veste sous son bras, et va tranquillement à sa de- meure passer le temps, sans s'être couvert, et il y reste sans faire de mouvement. Qu'ar- rive t—il ? La transpiration insensible dimi- nue, et H est dérangé sur-le-champ dans ses fonctions animales. Il est rare de voir un paysan qui n'éprouve dans un mois trois ou quatre fois un cours de ventre, qu'on attribue aux alimens dont il se nourrit, ou à l'air méphitique de son ha- bitation , et qui ne provient souvent que du peu de soin qu'il a de conserver la transpira- tion nécessaire à sa digestion. La suppression de la transpiration des principales parties du corps, comme de la tête, de la poitrine et du bas-ventre, cause des maladies très-graves. Vous voyez des paysans avoir mal au* (8) yeux, aux oreilles, et souvent perdre leurs dents. Tous ces maux n'ont encore powr cause que la suppression de la transpiration. Il faudroit que les paysans portassent sur le corps des chemisettes de laine, pour corri- ger la température froide, ou absorber la sueur dans les jours d'été. Mais, je l'ai déjà dit plusieurs fois, il est difficile de persuader l'homme des champs , qui est trop près de la nrture pour calculer le bien ouïe mal qui peut résulter de ses travaux. Les saisons changent '/ «es occupations, mais jamais ses habitudes. Il y auroit un moyen de les instruire de ce qui peut leur être nuisible ou profitable, ce seroit que des propriétaires, habitant leurs domaines, rassemblassent, dans les soirées d'hiver, plusieurs paysans, qu'ils leur fissent part des moyens de donner plus de salubrité à leur demeure, et d'éviter les accidens qui leur causent des maladies. Il faudroit aussi, pour les persuader davantage, leur faire le calcul que le temps qu'ils passent à se guérir, est beaucoup plus long que celui qu'ils em- ploieroient à se garantir de ces maladies ; que conséquemment ils y gagneroient du temps, de rargent,et n'épuiseroient pas leurs forces. Des raisonnemens simples, à la portée de (9) l'homme à qui on les fait, le persuadent fa- cilement, sur tout si l'on y fait entrer son in- térêt personnel, et si la démonstration est exacte. — J'ai corrigé une personne habituée à coucher dans une alcôve, les rideaux her- métiquement fermés , et sa chambre assez petite pour que l'air ne se renouvelât pas fa- cilement, en lui faisant mettre un petit oiseau au dessus de sa tête, et en l'y faisant passer la nuit. Le matin , l'oiseau étoit expirant; quand elle se leva, on le mit au grand air, et petit à petit ii revint. Cette épreuve l'a cor- rigée d'avoir des alcôves. Il faudroit faire la même chose chez un paysan qui a des rideaux de serge épaisse, et que sa femme a grand soin de fermer. Ces hommes que l'on auroit persuadés, de retour chez eux, persuaderoient également leurs femmes, leurs enfans, et le bien s'opé- reroit; mais ee ne sera jamais que par la per- suasion et par les exemples : parce que le paysan lit peu, même point du tout, que la plupart de ceux qui écrivent, accoutumés à un style épuré, mais scientifique, sont peu intelligibles pour eux. Il est des moyens simples de diminuer les maux physiques des habitans des campagnes, A * et de les soulager : je vais les indiquer dans le chapitre suivant. CHAPITRE II. De l'Air; du Repos après le Travail; des différentes espèces d'Alimens , et du Temps des Repas. Il est des choses qu'il est essentiel d'exami- ner, e1 dont l'usage modéré contribue beau- coup à la conservation de la santé et de la vie j ce sont : l'air, les alimens, le travail, le re- pos, le sommeil et la veille. L'air est essentiel à 1 homme; dès qu'il en est privé totalement, il périt. Tout être ani- mé , de quelqu'espece qu'il soit, a besoin de respirer un air pur, car son usage produit sur le corps humain divers effets, selon les qualités ou les exhalaisons dont il est chargé. L'air se glisse imperceptiblement dans tout notre intérieur; c'est lui qui nous apporte la mort ou la vie, et nous devons nous ap- pliquer à le rendre le plus salubre que faire se peut dans nos habitations. Les saisons où il est le plus tempéré, sont ( 11 ) le printemps et l'automne; et les fièvres qui régnent assez communément dans ces tenipa de l'année, ne sont communes que parce qu'on a fait quelques excès dans les autres saisons qui les ont précédés. Le climat de la France est un des plus purs ; cependant les variations de l'air y sont aussi inévitables ; et c'est de ces variations que naissent la plupart des maladies qui accablent l'humanité. On peut se garantir de celles qui ne sont occasionnées que par cette cause. Un homme pourra travailler avec force, tan-> dis que le soleil échauffera l'atmosphère, et il cessera ses travaux, lorsqu'il aura quitté l'horizon, et que la température redeviendra assez froide pour supprimer la transpiration insensible. Il faut qu'il ait la précaution de se vêtir comme dans les plus grands froids, pour entretenir la chaleur extérieure; il faut sur- tout qu'il fasse un repas solide pour réparer la perte occasionnée par les sueurs qui auront été provoquées par la chaleur. La nécest-ité des alimens exige qu'on en conuoisse les espèces et les qualités pour en faire un choix analogue au tempérament. Les alimens les plus simples sont ceux qu'on doit choisir de préférence. 11») Un homme habitué au travail n'a pas be- soin que ses mets soient relevés et épicés pour aiguiser son appétit; mais il doit faire plus de repas dans la journée où il travaillera beau- coup , que dans les jours de repos. Il doit faire plusieurs repas, afin que son estomac ne soit point chargé d'alimens difficiles à digérer ; et quatre repas, à des distances égales, seront plus salutaires que deux, parce que l'estomac fera plus facilement ses fonctions. On distingue plusieurs espèces d'alimens ; les uns solides , et les autres liquides. Les alimens solides.sont les légumes secs, comme pois^ fèves, pommes de terre. Les herbages, les racines , les légumes. verts, renferment une substance farineuse et un suc laiteux qui procurent une nourriture amie du corps humain , propre à faire un bon chyle, à adoucir les humeurs, et à bien 'nourrir (1). (1) « Lorsque nos premiers pères commencèrent »» à peupler la terre, la nature, celte mère tendre, » leur fournit plusieurs sortes d'alimens tirés de son v sein. Les sucs nourrissans, quoique simples, dont j> ils étoient remplis, n'avoient point encore été dé- » couverts par l'art funeste qu'inventa l'intempé- n rancej le luxe et la sensualité n'avoient point ( i5 ) Le pain le plus solide est celui qui convient à un habitant des champs, parce qu'il lui tient mieux dans l'estomac. Heureux ceux qui peuvent se nourrir de pain de froment pur , c'est sans contredit le meilleur, le plus nourrissant et le plus facile à digérer ! Le pain de seigle et d'orge ne convient point à ceux qui font peu d'exercice. Le pain de seigle est très-rafraîchissant, c'est pourquoi je conseillerois qu'on mît au- » encore rendu nos cœurs inhumains et barbares; » l'homme altéré de sang n'avoit point eu la cruauté » de plonger un fer barbare dans le sein des animaux; » on ne l'avoit point encore vu chercher dans leurs » en.railles palpitantes, des mets qui ne peuvent » inspirer que l'horreur etja répugnance ; les doux » herbages, les fruits crus, les simples légumes, celte » foule de végétaux que la terre produisoit sans y » être forcée, faisoient l'ornement et les délices du » repas frugal, qui ne leur manquoit jamais au be- » soin. Si quelquefois les animaux contribuoient à i leur régal, ce n'étoit jamais qu'en leur fournissant » le lait superflu de leurs mamelles, et le fromage » qui se façonnoit sans peine. Ce n'est pas cependant ■» que la nature se comportât comme une injuste » marâtre envers les premiers auteurs de nos jours. » Ce régime frugal, cette nourriture simple et charn- » pêtrc , leur valurent une longue suite d'aunJe» » d'une vie exempte d'infirmités. » tant qu'il seroit possible, dans les au Près un tiers de seigle et deux tiers de froment ; et pour ceux qui n'ont point de terres propres à la culture du froment, et où l'orge et le seigle viennent abondamment, de ne mettre dans leur pain qu'un tiers d'orge, et deux tiers de seigle. Dans les pays où les grains ne sont point communs, on peut mêler avec une partie des farines provenant de seigle, orge ou sarra- sin, des pommes de terre. J'ai donné., dans mon Manuel, le moyen de le faire le plus économiquement possib'e. Il est des pays où le sarrasin se cultive en grand. Il faut que les habitans de ces pays cultivent aussi du seigle , pour le mêler avec le sarrasin , qui est une graine très-échauf- fante, afin que leur pain soit plus savoureux et meilleur à la santé, qui souffre toujours de la privation d'un pain nourrissant. La croûte du pain est la partie la plus nourrissante et la plus aisée à digérer; mais la mie est plus onctueuse. Il faut les mêler ensemble pour qu'ils,ne pèsent pas trop sur l'estomac. Le pain étant la principale nourriture de l'habitant des champs, il doit apporter la plus ( i5 ) scrupuleuse attention à ce qu'il soit sain et d'une digestion facile ; sur-tout, qu'il évite de le manger chaud : les indispositions occa- sionnées par du pain trop tendre, sont quel- quefois mortelles. Les autres substances farineuses, telles que les pois, les fèves, les lentilles, sont aussi très-nourrissantes, mais elles sont venteuses ; elles occasionnent des obstructions à ceux qui ne font pas un fort exercice. Les habitans de la campagne, forcés à des travaux de tous les jours, se garantiront de cette maladie, qui n'a pas de meilleur antidote que l'exer- cice. Le riz, qui est commun dans les pays chauds, est un très-bon restaurant. Ceux qui ne peuvent s'en procurer, doivent y substi- tuer de l'orge mondée, ou du gruau d'avoine. Accommodés au lait ou au bouillon gra3, ces deux grains sont très - utiles , lorsque l'estomac est fatigué et a besoin d'être res- tauré. Il est des fruits qui sont.aussi des fari- neux, tels que les noix, les amandes, les châtaignes : ces fruits renferment beaucoup d'huile, et nourrissent beaucoup. Les esto- macs délicats les digèrent peu, à cause de . ( itf) leur substance. Il faut éviter d'en donner trop aux enfans, leur estomac faisant toujours de pénibles efforts pour les digérer. Les fruits pulpeux ou fruits à noyau ont beaucoup plus d'eau que de solide, c'est pour- quoi ils rafraîchissent, humectent le sang , et en calment le trop grand mouvement ; ils ap- paisent conséquemment la soif, et se digèrent très-facilement. Les cerises (i), les fraises, les groseilles, les abricots (a), les figues, les pêches, les poires ne sont point du tout malfaisans lors- qu'ils sont mûrs, et pris modérément. Ils ont aussi leur désavantage, en ce qu'ils occasion- nent beaucoup de vents; mais lorsqu'ils sont cuits, ils sont sains, agréables, excellens pour fortifier l'estomac des jeunes gens qui atteignent l'âge de puberté, et très-utiles aux vieillards et aux convalescens. Les herbes potagères dont nous faisons un usage habituel, sont bien moins nourrissantes ( i) La cerise est propre à soulager la soif et facilite l'écoulement de la bile. (2) Les abricots et les prunes de l'arrière saison sont spongieux; ils sont faciles à se corrompre, et deviennent, pour l'estomac, la source d'un levain qui est souvent le germe de fièvres opiniâtres. ( 17 ; que les farineux : la laitue, la chicorée , la poirée , l'oseille , le pourpier, le cerfeuil, re- lâchent le ventre et calment le sang. ï/usage en est nécessaire quand on se sent échauffé. On peut en faire alors si l'on veut, de la soupe, pourvu qu'on n'y mette point l'eau dans la- quelle auront cuit des haricots, pois, lentilles, etc., ce qui la rendroit trop nourrissante , humecteroit moins les intestins, et ne pro- duiroit pas l'effet qu'on s'en proposeroit. Le céleri, l'artichaut, le cresson, l'estra- gon, l'asperge , le persil, n'échauffent pas autant qu'on le croit; mais les champignons, l'ail, l'échalotte , le poivre, la moutarde, con- tiennent beaucoup de sels acres, sont un sti- mulant qui échauffe et altère beaucoup ; il faut en éviter l'usage. Les animaux contiennent dans leurs fibres charnues un suc gélatineux. Ce suc forme, par son analogie avec notre sang, une espèce de gelée, propre à nous réparer beaucoup mieux que les végétaux : quoique les ani- maux qui servent à nous restaurer, soient nourris de végétaux; cependant, un usage immodéré de leur chair seroit encore plus mal- faisant que celui des végétaux, pris en même quantité. ( i8) Les fibres des jeunes animaux sont tendres, et fournissent un suc fort doux, mais peu nourrissant. Plus ils approchent de leur ac- croissement, plus ils contiennent de sucs nour- riciers, et propres à réparer les pertes de la nature. Il est donc de l'intérêt personnel et de l'intérêt pécunieux de ne point manger d'animaux trop jeunes. Les animaux qui vivent de bons alimens , qui respirent un air pur, sont tenus propre- ment et font beaucoup d'exercice, ont des sucs plus légers et plus propres à passer dans lé sang; ils sont plus aisés à digérer, et sont conséquemment très-sains. Les chairs blanches procurent un aliment doux et de facile digestion. Les alimens liquides , composés de lait, d'oeufs, de bouillon, de chair ou de poisson, forment un chyle abondant, et n'ont pas besoin de grande préparation dans l'estomac. A la campagne, l'on n'est pas forcé d'avoir recours à des crèmes pour se procurer de bon laitage; il faut pourtant encore choisir celui- ci, car tous les laits ne sont pas également bons j)our la santé. Le meilleur est celui qui est d'une odeur douce et agréable, d'une cou- leur bien blanche, ni trop épais, ni trop ( 19 ) fluide. Le lait abonde en principes onctueux, voilà pourquoi il est nourrissant et adoucis- sant; il produit les meilleurs effets dans beau- coup de maladies ; c'est l'aliment le plus sa- lutaire pour les personnes foibles, pour les estomacs languissans, et pour les enfans. Le lait est composé de trois substances, dont l'une fait le beurre, qui est la butyreuse; l'autre fait les fromages, que l'on nomme casée use; et la troisième, qui est le petit lait, est très - salutaire pour rafraîchir : elle est bonne aussi dans les maladies de peau. Les oeufs frais, et mangés mollets, forment un aliment très-sain et très-doux. Ils con- viennent aux personnes épuisées, et dont il1 faut promptement réparer les forces. Les vieillards doivent en manger souvent, parce que les œufs sont restaurans, et qu'ils ont besoin d'alimens dont la digestion soit fa- cile. Un jaune d'oeuf frais, délayé dans de Feau chaude, avec une cuillerée de miel, est un excellent souper pour un vieillard, et une des meilleures nourritures qu'on puisse lui donner. Il est aussi essentiel de boire que de man- ger. La boisson rafraîchit les parties humides de notre corps, remplace ce que nous avons ( ^o) perdu par les transpirations, et rend la diges- tion plus aisée. Sans la boisson, le chyle passeroit avec peine dans quelques vaisseaux dont la finesse est extrême : la dissipation du fluide du sang, occasionnée par le mouvement et par les sé- crétions, ne se trouveroit pas réparée ; et les sécrétions, si utiles à la santé, ne se feroient pas; elles échaufferoient les intestins,et pro- duiroient des maladies inflammatoires. Quand je recommande de boire en man- geant , ce n'est pas pour engager aux excès. Les liqueurs que l'on boit sont de deux espèces, les simples et les composées. L'eau est la première et la plus salutaire de ces deux espèces, et la plus nécessaire à la vie. La nature nous indique assez qu'elle a voulu que nous en fissions notre boisson •habituelle , par l'attention qu'elle a eue à en prodiguer les sources. La meilleure eau estcelle qui est pure , limpide, légère, sans odeur et sans couleur, qui cuit aisément les légumes, et dissout le savon. L'eau de rivière, qui est échauffée et puri- fiée parle soleil, est la plus saine; après elle vient celle de sources et de pluies ; celles pro- ( 31 ) venant des neiges, des glaces, sont extrê- mement mauvaises. Ceux qui habitent des endroits dont les rivières et les sources sont éloignées, doivent, pour corriger l'eau des puits et des citernes , la faire bouillir légère- ment avant que d'en boire. Le plus grand dissolvant, le plus connu gé- néralement , c'est l'eau ; elle pénètre les ali- mens , sert beaucoup à la digestion, et en pas- sant dans le sang, elle rafraîchit et humecte toutes les parties de notre corps, se charge des sels qu'elle emporte par les urines, et fa- cilite la transpiration si nécessaire à la santé. Aussi, a-ton toujours remarqué que ceux qui ne boivent que de l'eau, digèrent mieux, jouissent d'une meilleure santé, et vivent plus long-temps. De cette boisson, non plus que des autres, il ne faut faire d'excès : si l'on en prenoit une trop grande quantité, ellere- lâcheroit, affoibliroit les solides, etproduiroit des maux incalculables. Les boissons composées, sont le vin et les liqueurs qu'on en extrait, la bière, le cidre, etc. Autant l'usage de l'eau est nécessaire et sa- lutaire , autant l'usage immodéré du vin et des liqueurs spiritueuses est préjudiciable à la santé. -( 22 ) Les jeunes gens devroient toujours s'en abs tenir,et ne les employer que comme remèdes ; alors, en maladie, de l'eau rougie leur ser- viroit de tisane ; la saveur qu'ils y trouve- roient, les engageroit à en boire, et ils se procureroient par ce moyen une prompte guérison, puisque cette boisson laveroit leur sang, et lui rendroit la fluidité nécessaire à la santé. Les maladies des habitans de la campagne ne sont souvent occasionnées que par un grand échauffement ; les remèdes les plus simples les guériroient, s'ils vouloient y avoir recours, et ils ne s'épuiseroient point le tempérament avec des saignées, des apozèmes, etc. Il est des cas où il faut malheureusement y avoir re- cours ; mais avec des soins et quelques précau- tions, l'on peut éloigner de soi les accidens-, et prolonger sa vie en santé. L'excès du vin, comme celui de toutes les autres liqueurs spiritueuses, durcit les fibres, attaque les nerfs, diminue les sécrétions, ôte l'appétit, et cause des maladies mortelles. L'on peut mettre dans la classe des bois- sons factices le thé, le café et le chocolat. Le thé et le'chocojat ne sont pas la boisson habituelle des habitans de la campagne, sur- (23 ) tout en France ; ainsi, leur en défendre l'usage est à peu près inutile. Le café leur est plus familier, mais leurs moyens n'étant pas assez grands pour s'en pro- curer de pur, et les graines composées qui le remplacent ne contenant point cette huile essentielle qui fait la qualité du café vérita- ble , il ne peut faire illusion à ceux qui en au- roientpris quelquefois sans être mêlé de fèves, orge, chicorée , etc. Je préférerois, pour les habitantes de la campagne, qui ont contracté l'habitude de prendre du café au lait le matin, qu'elles le fissent avec du pois-café, parce qu'alors ce- ne seroit point un composé de différentes parties hétérogènes; mieux seroit encore qu'elles n'eussent point contracté cette habitude, parce qu'il est mille circonstances où elles pourroient en être privées et souffrir beaucoup de cette privation. Le choix qu'on doit faire, dans l'usage des alimens, demande un premier examen des individus, de leur âge, des saisons de l'année et du tempérament. On prépare tous les alimens , à l'excep- tion des fruits et des coquillages dont les ri- verains delà mer font un grand usage, etqu'ils mangent crus, tel que la nature les leur offre. ( 24) Si l'abus qu'ils en feroient leur occasionnoit quelques indispositions, il faudroit qu'ils eus- sent recours au lait et qu'ils en bussent assez pour se soulager. Faites l'expérience de mettre une huître dans du lait qu'on vient de tirer du pis, elle se dissoudra entièrement. La préparation des alimens consiste dans la cuisson et l'assaisonnement. C'est, à pro- prement parler, une première digestion qui prépare celle que l'estomac doit faire. Pour cuire les alimens , on les fait bouillir, rôtir, ou frire; l'eau dans laquelle ils cuisent, donne une gelée très-salubre ; ses bouillons sont très-propres à nourrir ceux dont l'esto- mac est paresseux et fait difficilement ses fonc- tions. La viande bouillie, c'est-à-dire celle dont on extrait un bouillon , et qu'on mange sèche après, est moins succulente, parce qu'elle a déposé dans l'eau une grande partie des sucs qu'elle contenoit; celle qui est bouillie avec peu d'eau, à laquelle on ajoute quelques lé- gumes farineux, est très-nourrissante : la rôtie contient des sucs excellens, parce que l'hu- mide qui en enveloppoit les principes s'est entièrement dissipé par le feu. Les viandes ou les poissons qu'on fait frire soit C 25) soit dans l'huile, soit dans le beurre, sont très^ indigestes. Les fritures sont doncconséquem- nient contraires aux enfans, aux vieillards et aux estbinacs foibles. A la campagne, on n'a heureusement pas l'habitude d'ajouter aux alimens des aroma- tes , des épices, du vinaigre, des essences ; cependant il est possible que des femmes de la campagne soient requises* pour aller tra-^ vaitler dans des maisons riches qui font usage de ces ihgrédiens, et que, flattées par le bon goût que cela donne aux viandes, elles veu- lent assaisonner les leurs de la même manière: qu'elles s'en abstiennent, et qu'elles se répè- tent souvent que l'habileté des cuisiniers con- tribue beaucoup à abréger la vie de leurs maîtres. Le moyen de se conserver en santé, est d<3 vivre d'alimens simples et modérément as- saisonnés; de n'en prendre que la quantité convenable à son âge, à son sexe et à son tempérament, aux forces de son estomac, à l'exercice auquel on est habitué, à la dissipa- tion que l'on fait, à la saison où l'on est : car c'est un tort de n'en prendre point assez, et il est dangereux d'en prendre trop. Vous connoîtrez facilement si vous avez B ( 26) pris trop de nourriture, en examinant si, en sortant de. votre repas3 vous, êtes, aussi agjje et aus.sj l^§er qu'avant,de vous mettre à table^ et, si au bout d'une heure l'esprit peut se re- mettre au travail ( 1), vous pouvez être assuré que votre estomac fera facùlemen\, ses fonc- tions. N'oubliez jamais que l'intempérance et Pexcès des alimens, comme ;dans toutes les autres choses de la vie , sont extrêmement pernicieux. ., , ..,...< Les alimens âcrps, ceux qui sont gras, ou qui ont une substance noire, sont tous très- difficiles à digérer, et produisent un chyle de mauvaise qualité. ■ ,, Les gens forts et robustes, qui sont jeunes> livrés p.-un grand exercice, doivent manger plus que d'autres, même des alimens gros- siers , parce que leur estomac digéreroit trop facilement des alimens légers, et que ceux-çj ne les nourriroient pas a^sez; Comme dans la vieillesse qn fait peu de (i) « Les exemples de beaucoup de personnes que » leur frugalilé a fait vivre jusqu'à un âge très- » avance, devroient engager ceux qui aiment la vie » et la santé, à imiter leur régime. C'est un proverbe » qui se trpuve presque toujours vrai , que, qui boit u et mange modérément, n'est jamais malade, y ( 27 ) dissipation , que les sécrétions se font plus lentement, il ne faut donner aux vieillards que des alimens doux, nourrissans, humectans, faciles à digérer, et en petite quantité à la fois, sur-tout le soir. A tout âge, mais plus particulièrement en* core dans la vieillesse, l'usage des viandes sa- lées et fumées est plus propre à durcir les parties internes du corps, qu'à leur fournir de bons sucs ; la digestion en est toujours très- difficile, et il donne un sang acre qui occa- sionne des maladies de peau. Néanmoins, il y auroit peut être du dan- ger à faire changer, à un vieillard, sa ma- nière de vivre. L'habitude , a-t-on dit de tous les temps, est une seconde nature, et l'on a vu des gens conserver une bonne santé en vivant d'alimens mal-sains , de boissons mal- faisantes, et tomber malades lorsqu'ils ont voulu changer leur genre de nourriture. Une exception ne fait pas la règle; cela prouve pourtant le danger de contracter des habi- tudes pour quelque chose que ce soit. L'heure des repas devroit être marquée par la faim ; cependant l'usage et la distribu- tion des travaux nous astreignent à des heures réglées ; il faut faire en sorte de les rappro- B 2 ( 28 ) cher de manière qu'il y ait à peu près la même distance dans les repas. Il faut faire attention à ce que, quand une personne a un mauvais estomac, elle ne mange et ne boive que lorsque la digestion des derniers alimens sera faite, et s'ils lui pèsent un peu trop, de lui faire boire un ou deux verres d'eau pure; cela fera tomber les alimens qui la fatiguent. La quantité d'alimens que l'on prend dans les vingt-quatre heures, ne doit pas excéder la dissipation que l'on fait. Les grandes fatigues épuisent les esprits et affaiblissent les organes. Il est donc pru- dent de se reposer un peu avant de man- ger , lorsqu'on se sera livré à .un exercice forcé. Si vous êtes accablé de tristesse, il ne faut faire usage que d'alimens légers, parce que l'estomac comprimé par la douleur, éprouve des spasmes contraires à la digestion, et qu'il ne pourroit supporter de lourds ali- mens. L'été, l'on fait une grande dissipation d'es- prits et de parties fluides ; la nature a elle- même pourvu au remède, en donnant dans cette saison des fruits et des herbes potagères qui humectent l'intérieur du corps j il faut ( 29) donc employer ces alimens légers et humec- tai! s, pour réparer plus promptement les substances perdues. Dans l'hiver, au contraire, les esprits étan t moins dissipés et les fibres de toutes les par- ties du corps ayant plus de force, il est né- cessaire de prendre des alimens plus solides. Il est très-dangereux d'avaler à la hâte les alimens; la préparation qu'ils reçoivent dans la bouche forme par avance la digestion: il faut mâcher beaucoup, sur-tout si ce sont des choses dures que l'on mange, afin que la salive puisse les pénétrer et les triturer de manière à ce qu'elles ne causent point d'indi- gestion. Pour éviter cet inconvénient avec les vieil- lards et les enfans, avec les uns parce qu'ils n'ont plus de dents, et avec les autres parce qu'ils n'en ont point encore, il ne faut leur rien donner qui soit difficile à mâcher. ( 5o) CHAPITRE III. Du Sommeil; de la nécessité et de l'abus de l'Exercice ; danger de supprimer la Transpiration insensible. Il est impossible de vivre et de se bien por- ter sans dormir ; le sommeil rafraîchit le sang, rétablit les forces abattues, soit par le travail ou un trop grand exercice ; il procure une transpiration salutaire et facilite la digestion. Il faut, autant qu'il est possible, éviter de flormir le jour, à moins que ce ne soit dans les grandes chaleurs , et qu'on ait besoin de réparer une grande dispersion de forces. La nuit, tout est tranquille dans la nature; cela indique suffisamment qu'on doit la choisir pour le temps du repos ; et la vigueur de l'es- prit et du corps se répare beaucoup mieux pendant la nuit que pendant le jour. Examinez-vous vous-mêmes, lorsque dans le jour vous vous êtes laissés entraîner aux charmes irrésistibles du sommeil, et que vous vous réveillez : vos idées sont éteintes, votre corps est engourdi, presque toutes vos fa- ( 3i ) édités sont anéanties, n'eussiez-vous dormi qu'une heure ; au lieu que le matin , après une nuit entière où vous aurez goûté les plai- sirs du repos, votre esprit sera libre, votre corps reposé, et en état de se livrer à de nou- veaux travaux. Le sôftimeihest un état dans lequel les or- ganes des sens^ ne peuvent recevoir l'impres- sion d'aucun objet;l'on n'est affëcté, pendant le sommeil, que par l'effet des alimens qui tendent tous les ressorts de notre corps. Trop d'alimens causent un sommeil fatigant ; et si l'on n'en prend point du tout avant de se inettre au lit, il arrive quelquefois que l'on est privé entièrement dii sommeil , parce que l'estomac ti'ayaht point assez de la subs- tance qu'il communiqué aux autres parties du corps , éprouve un relâchement. Il ne faut pas se dissimuler que la santé et la vie consistent dans l'exercice facile de toutes les parties de notre corps. L'exercice et l'habitude sont deux choses qui doivent régler la durée du sommeil ; ce- pendant ^ il! faut observer que , si l'on dort trop, l'on devient lourd, pesant, et peu propre au travail. ' Il est nécessaire que l'endroit où l'on se livre X ^ ) au sommeil soit /sain, bien aéré, point hu- mide, point échauffé par des :poêles. Il faut prendre garde que rien ne soit autour de soi, que le corps puisse être libre dans tous sesmou- vemens, afin que le sang circule plus facile- ment; et, autant qu'il est possible, être cou- ché uniment, et le corps jtrès-alongé. Le mouvement et le repos ne contribuent pas moins que le sommeil à donnpr 0la santé. Le mouvement procure une transpiration douce, qui donne de l'appétit et aide la dir gestion. Ceux qui. sont accoutumés à se donr ner beaucoup de mouvement, sont ordinaire- ment plus robustes que les autres, et'moins sujets à beaucoup de maladies ; mais 1 excès même, dans l'exercice, est contraire à la santé. L'exercice immodéré affoiblit et épuise à la longue. Si par suite d'une marche forcée vous vous êtes fatigué au point d'en être incommodé, ayez recours à des boissons très-légères et très-coulantes , afin de rendre la circulation à votre sang, et de rétablir la transpiration insensible. Si cette transpiration se trouvoit supprimée, il faudroit faire des frictions se' ches, avec un linge ou une brosse ; vous laver ( 35) les pieds, les mains, la tête, et toutes les par- lies du corps qui transpirent beaucoup. Personne n'ignore que le froid bouche les pores et diminue la transpiration; il faut, pour y remédier , prendre de très-bonne heure les habits d'hiver , et les quitter très- tard : ne point passer subitement d'un air chaud à un air froid ; ne point boire à la glace, c'est-à-dire, de l'eau de source ou de puits, lorsqu'on est en sueur ou en transpiration. La sueur et la transpiration insensible sont les choses les plus salutaires, et ce sont aussi les choses auxquelles on fait le moins d'attention, mais qui, par leur suppres- sion, causent des maladies graves. Souvent un homme fort et robuste tombe dans une espèce de marasme, éprouve des maux de poitrine, devient enfin puhnoniqne, et meurt : tons ces maux ne viennent que de la suppres- sion de la transpiration insensible. Il fiiut évi- ter tout ce qui peut l'arrêter. La grande propreté est nécessaire à cette transpira- tion ; il est donc essentiel de se laver les pieds, les mains, et toutes les autres parties qui sont susceptibles de transpirer. La transpiration insensible est nommée ainsi, parce qu'on ne peut l'apercevoir sensiblement; néanmoins, (54 ) c'est la plus abondante de toutes les évacua-»- tions, et elle est beaucoup plus salutaire que les grandes sueurs (1). Les habitans de la campagne pourraient, absolument parlant, se passer de médecins, et s'éviter de longues souffrances, si, par des précautions simples, ils prévenoient les ma- ladies qui affligent l'humanité. En physique comme en morale, le grand art est de prévenir les maux. Les citadins ont le temps et les moyens d'être malades; mais un habitant des champs, tout entier à ses travaux, doit prendre les précautions propres à conserver une santé utile à sa famille, lui, dont la fortune est toute entière dans sa conservation. Si un ha- bitantde la campagne se disoit: « Mon travail est nécessaire à l'existence et à l'accroissement de ma famille ; je ne puis me livrer à un tra- vail constant, qu'autant que mes forces phy- siques ne seront point affoiblies par des ma- ladies; essayons donc de suivre les avis que (i) Sur huit livres d'alimens, il s'en dissipe cinq par la transpiration insensible, ce qui fait concevoir combien l'e'conomie animale est dérangée lorsque la transpiration est supprimée par un air trop froid, qui rétrécit les pores, ou par l'épaisissemeut de sa ma- tière, Sanctonust (( 35 ) me donnent des gens qui se sont appliqués a connoître les choses qui étoient nuisibles à la santé, et les moyens de prévenir les maux que ces choses entraînent après, elles. » Et si, comme l'expérience l'a démontré, ces moyens lui conservoient une santé robuste , quel tort n'auroient pas ses concitoyens en ne suivant pas son exemple ? Je vais tâcher de démontrer que, lorsqu'un homme (c'est le terme générique) a pris en- tièrement sa croissance, il peut réparer les déperditions journalières qu'il éprouve , et, par ce moyen même, ne point aiîbiblir son physique. C'est dans les productions de la nature qu'il trouvera de quoi revivifier ses organes. Il est bien reconnu que, de quelques maux que le sort nous accable , la nature a pourvu aux remèdes convenables; mais notre igno- rance nous les tient cachés : souvent nous les foulons aux pieds comme choses inutiles. Dans un ouvrage intitulé : Traité de la longue P^ïe _, l'auteur cherche à prouver que l'homme ne s'affoiblit et ne meurt que parce qu'il s'est nourri d'alimens peu convenables. Je crois que Cet auteur a raison. Une nourriture bien appropriée à la cons- (36) titulion d'un-individu, telle qu'elle fût, répa- reroit en lui. les déperditions, et entretien- droit l'équilibre dans toutes les parties qui composent son être; elle en préviendrait l'al- tération ; elle rajeunirait ( s'il est possible de le penser, l'homme à mesure qu'il vieilliroit : il faut la rechercher. Il n'est pas nécessaire d'avoir une com- plexion forte pour espérer une longue vie. L'on a vu des hommes d'un physique très- foible , parvenir, avec des soins , à un âge très - avancé. L'auteur d'un ouvrage inti- tulé : Discorsi délia Vita sobria ( Cornaro Louis), d'un tempérament faible et caco- chimer vécut jusqu'à l'âge de cent ans; il avoit calculé que quatorze onces de nourriture lui suffisoient pendant vingt-quatre heures. Un jour il voulut essayer si son estomac en sup- porterait deux onces de plus; il tomba ma- lade et mourut, en déclarant qu'après un mûr examen, il s'étoit convaincu que îe choix de la nourriture et la tempérance pouvoient con- tribuer à faire parcourir à l'homme une très- longue carrière. C'est sur-tout aux gens de la campagne qu'il faut bien démontrer que la tempérance est un des moyens de conserver la santé. (37 ) L'excès des alimens et des boissons dans les jours de repos, leur nuit plus que ne feroit l'excès du travail. Les alimens et les boissons pris immodéré- ment affaissent les organes, absorbent les fa- cultés physiques, et nuisent au travail du lendemain. Trop de travail fatigue, à la vérité, mais un peu de repos, une nourriture un peu plus suc- culente, peuvent rendre à la nature ce qu'elle a dépensé de trop, et ont bientôt réparé les forces de l'homme qui s'est livré à un travail pénible ; au lieu que l'intempérance nuit quelquefois long-temps à sa santé. Les peines et les soucis de la vie accablent beaucoup moins l'habitant des champs que le citadin. L'ambition, cette passion qui ne s'af- foiblit jamais, qui croît au contraire en vieil- lissant, ne vient point l'assaillir; s'il forme des désirs , il peut les satisfaire : la nature est là pour le contenter, et ce n'est pas à lui qu'on peut adresser cette réflexion : « L'homme » moral est lui seul suffisant pour opérer dans » le même sujet la ruine de l'homme physi- » que, » car les passions et les affections de l'ame produisent sur nous des effets bien sen- sibles. La joie et la crainte sont les affections (58) principales auxquelles on peut rapporter toutes les autres : les passions violentes déran- gent la santé; il est très-important de les éviter et de tâcher de n'en avoir que de douces et de modérées. Les conseils qui regardent la manière de se gouverner, peuvent être propres à tous les lieux, à tous les hommes; mais les alimens qu'ils prennent, changent, et doivent changer selon les lieux et les climats qu'ils habitent. Dans les pays chauds, l'on ne se procure qu'à grands frais les productions des pays froids; ainsi des pays froids relativement. Les climats tempérés sont ceux qu'il est salutaire d'habiter ; mais comme il est im- possible que ce soit ceux-là seulement qui soient populeux, j'ai généralisé mes avis, afin qu'ils pussent être utiles à tous. Ce n'est point par des probabilités , par d'ingénieuses nouveautés, plus amusantes que profitables , que je tâche de persuader. Je me reprocherais d'avancer des choses hasar- dées , persuadée comme je suis, qu'un grand nombre d'hommes croient sur parole, et qu'il s'en trouve toujours quelques-uns d'assez cré- dules pour essayer des recettes bonnes ou mauvaises, sans réfléchir que ce qui convient (39) à un tempérament, peut être contraire â l'autre. On peut en trouver la preuve dans VHistoire des Centenaires, par Harcourt. Les uns ont passé leur vie dans les camps; d'autres dans l'austérité des cloîtres; d'au- tres , comblés de richesses, se sont livrés aux excès de la table; un autre n'a long-temps vécu qu'ayant été forcé de gagner sa vie à la sueur de son front; d'autres se sont habitués à une abstinence rigoureuse; il en est aussi qui ont poussé très-loin leur carrière, en étant dans une continuelle ivresse. Tous ces exemples ne doivent point influer sur l'homme raisonnable; il doit examiner ce qui peut être bon, et éviter les excès en tous genres. On est bien convaincu que, même à la cam- pagne, il existe beaucoup d'infirmités nou- velles , qui doivent leur naissance à l'irré- flexion dans la conduite et à l'intempérance. Une chose des plus pernicieuses aux habitans des champs, c'est la confiance qu'ils accordent aux charlatans qui parcourent les campagnes. J'en ai vus dans celle que j'habite, à l'aide d'un théâtre où ils jouoient la comédie, atti- rer tous les villages circonvoisins à leurs far- ces, profiter de l'affluence pour leur proposer (4o) des poudres merveilleuses pour toutes les ma- ladies, pour tous les âges, et propres aussi pour les deux sexes, quoique l'un soit sujet à des maladies dont l'autre ne peut jamais être atteint; j'ai vu, dis-je, ces charlatans causer la mort à deux ou trois individus, et en rendre hypocondres beaucoup d'autres, qui n'ont éprouvé de soulagement que dans une continuité d'exercice. Je ne fais pas de difficulté de croire que l'exercice continuel des gens de la campagne contribue en grande partie à la conservation de leur santé; car la vie sédentaire et oisive est sujette à plus d'indispositions, que celle où l'on prend beaucoup d'exercice et où l'on se donne beaucoup de mouvement. Il es! donc essentiel que les habitans des campagnes con- tinuent leur exercice; mais il est aussi essen- tiel que, rentrés dans leurs demeures, ils y trouvent un air pur, des alimens sains et une propreté absolument nécessaire à la santé. Il faut pareillement que leurs vêtemens s'ac- cordent avec les saisons et les lieujfc Il n'est pas rare de voir un paysan vêtu de laine pendant les plus grandes chaleurs, comme dans les plus grands froids. Il faudroit pour son intérêt pécumeux et pour sa santé, (4i ) tju'il s'habillât de toile dans l'été, et de laine dans l'hiver. Il s'éviterojt la-peine dans les temps chauds, de porter ses habits au bout d'un bâton, parce qu'ils sont trop lourds pour le temps, qu'ils lui occasionnent une sueur forcée que le moindre air froid peut supprimer, et lui causer une maladie mor- telle; tandis que s'il étoit velu selonda saison, il n'éprouveroit que la transpiration insensible nécessaire à la digestion et à la conservation de sa santé. CHAPITRE IV. De la Nourriture , des Boissons , et de» Exhalaisons malfaisantes. JLà nourriture des habitans de la campagne consiste beaucoup plus en végétaux qu'en toute autre chose. De célèbres médecins ont assuré que cette manière de vivre étoit plus saine; ils ont-même invoqué l'humanité, pour nous engager à ne point nous nourrir de chair ni de poisson (1). (1) L'histoire des habitans du Brésil nous apprend qu'ils ne mangeoieni autrefois que des végétaux ; qu'ils vivoient jusqu'à cent vingt et même cent tyenle ( 42 ) Il est certain que le paysan fait sa nour- riture habituelle de pommes de terre, de harr ricots, pois, lentilles, etc., e\c; et que ce n'est que le dimanche ou autres jours re- marquables qu'il met un morceau de salé ou de mouton dans sa marmite. .S'en porte-t-il moins bien pour cela?Non assurément. Il est même des départemens en France, dont les habitans connoissent à peine le pain et la viande, qui ne se nourrissent que de châ- taignes et de grosses raves, et qui, dans uns année, ne mangent pas deux fois de la viande : ils sont cependant forts et robustes. Ainsi, sans proscrire la viande pour l'honime ha- bitué à de grands travaux, je lui conseillerai toujours de faire usage de beaucoup de vé- gétaux, sur-tout des farineux, qui sont trè&- nourrissans, forment un bon chyle, et qui, en raison du grand exercice exigé par leurs travaux journaliers, ne peut leur surchar- ger l'estomac et leur rendre Ja digestion dif- ficile. b ans; que leur taille éloit de sept pieds, et qu'ils étoient très-vigoureux ; mais que, depuis qu'ils Orit pris nos usages pour la nourriture;, le cours de leur vie est bien raccourci, et que leur taillo a beawcoup dégénéré. ( *5 ) Tous les pays produisent des végétaux plus ou moins nourrissans, plus ou moins abondans, selon la bonté du sol où ils croissent. Je n'en connois point où la pomme de terré ne vienne, et où elle ne rende à celui qui la cultive, bien au-delà des peines qu'il aura prises pour sa culture. Dans les sables arides, elle est moins abondante, mais elle suffit encore à la nourriture du maître du champ. Enfin, dans tous les pays, l'on peut se pro- curer des végétaux, et dans tous les pays on ne peut se procurer des bestiaux, des poissons, même des volailles, aussi abondamment que dans ceux où la nature a été prodigue de ces dons. En Provence, par exemple, où le ciel est toujours serein, les haies en fleurs, les jardins brillans de leurs pommes d'or, et les fruits abondans, les pâturages y sont extrêmement rares, et l'on ne peut se procurer du bœuf et du veau ; la nourriture principale est le mouton : l'huile sert, pour ainsi dire , exclu* sivement à la préparation des alimens , le beurre y étant fort rare, puisqu'on n'en fait qu'avec le lait des chèvres, qui, accoutumées à ne vivre que sur les montagnes, et ne man- geant point de fourrage doux, ont un lait (44) âçre et aromatisé qui ne donne point un goût agréable. Ces alimens contribuent, par les sucs abondans dont ils sont remplis, à agiter le sang des habitans, et à leur donner cette vivacité qui les caractérise. En raison de ces alimens et de leur climat, ils doivent s'abstenir de liqueurs spiritueuses; jls n'ont pas, comme dans les pays froids, la ressource du petit-cidre, mais ils ont la possi- bilité de se procurer les grains avec lesquels on fabrique la bière ; ils peuvent la faire aussi légère qu'ils voudront, et, par-dessus tout, ils peuvent boire de l'eau, qui est la meilleure boisson et la plus saine, qui nous vient direc- tement de la nature; car toutes les autres boissons sont factices et doivent leur origine à la sensualité. Qu'-on ne vienne pas dire que l'homme qui travaille a besoin d'une boisson fortifiante; il est démontré qu'un homme, ne buvant que de l'eau, est plus fort, mieux portant, sujet à bien moins de maladies, et vit beaucoup plus long-temps que s'il usoit d'autres boissons. II est très-avantageux d'accoutumer les enfans à ne boire que de l'eau ; je dis les enfans, parce, que je suis persuadée que lea ( 45 ) pères n'écouterait ce conseil qu'impatiem- ment, et que, jusqu'à ce qu'ils se soient convaincus de l'utilité de cette boisson, ils l'adopteront difficilement, tel bien que cela leur procure pour leur santé, et telle économie que cela fasse dans leurs maisons. Cependant, outre l'avantage qu'ils retireraient d'être plus forts, mieulgportans, ils pourraient encore chaque année, et sur-tout celles où le vin est cher, épargner au moins une cinquantaine d'écus par an , et cette somme leur procu- rerait des jouissances préférables à celles qu'ils éprouvent lorsqu'ils en boivent même une petite quantité. De plus, dans un long espace d'années, cette somme accumulée, leur procurerait des ressources pour la vieil- lesse, temps où les besoins se multiplient, et où l'homme des champs, après avoir employé sa vie à des travaux pénibles, et ses forces ne "lui permettant plus de s'y livrer, languit, et trop souvent, hélas ! est obligé de mandier pour soutenir sa malheureuse exis- tence. Je fais les vœux les plus sincères pour que mes conseils soient suivis par cette branche intéressante de la société. Il est pénible de penser que celui qui aura toute sa vie coiitri- C 46 ) bué par son travail à nous faire jouir de l'abondance, se trouvera dans ses vieux jours manquer du nécessaire ^1). Les paysans ont contracté l'habitude de ne faire que trois repas. Ce n'est pas assez en raison du travail auquel ils sont contraints. (1) Ne seroit-il pas possible , pour parer à ce mal- heur , que des propriétaires fissent tous les ans un léger sacrifice et proportionné à leurs facultés , de sommes qui seroient mises en masse pour aider le9 vieux ouvriers qui n'auroient point d'enfans qui pussent les nourrir lorsque les glaces de l'âge les au- roient atteints? A Grenoble, département de l'Isère, on avoit imaginé un Mont-de-Piélé , fondé pour des prêts charitables. Les administrateurs, au lieu d'a- voir des gages, donnoienl par an une aumône de trois louis, et l'on admettoit de ces administrateurs tout autant qu'il s'en présenLoit. Ces sommes servoient à donner des secours aux malheureux infirmes. Des dames s'étoient chargées de visiter ceux qui avoient des besoins; et les malheureux n'éprouvoient jamais la-honte d'un refus. Il y avoit aussi une maison de prêt où les petits cultivateurs qui n'avaient point récolté assez pour ensemencer leurs terres et fournir à leur subsistance, trouvoient le grain nécessaire pour leurs semences, et ils n'étoient obligés de le rendre qu'après la moisson • seulement ils donnoient une légère augmentation de grains: de manière que le grenier étoit toujours plein et toujours au service de* pauvres. ( 47 ) Il faut rendre à la nature ce qu'elle a perdu, et ne pas la laisser se ranimer sur elle-même, parce que cela n'arrive jamais qu'au détriment; de l'individu, qui souffre alors la faim ou la soif. 3e conseillerais à un homme de travail, de porter avec lui toujours un morceau de pain et une fiole , ne fut-relie même rem- plie que d'eau ( s'il n'a pas la possibilité d'y substituer d'autre boisson); si sa poitrine s'échauffe, il prend une bouchée de pain et boit un coup, cela répare ses forces et rend au sang la fluidité qu'il perd par un grand exer- cice. Dans les temps chauds et dans les temps froids, cette précaution est nécessaire pour éviter qu'en rentrant à neuf heures, il ne mange avec trop d'avidité et ne fatigue son estomac. Il ne s'en aperçoit pas dans la même journée, mais à deux heures et à sept, temps des deux autres repas , il se charge de nou- veaux alimens, il se couche après dans un lit dont les rideaux sont hermétiquement fermés, sur de la plume; une sueur forcée l'accable; l'estomac fait des efforts inutiles, et une incommodité survient, qui dure quel- quefois assez long-temps pour épuiser l'hom- me le plus fort. En prenant la précaution que j'indique, on l'éviterait, parce que le ( 48 ) besoin ne seroit pas le même à l'heure des repas, et que l'estomac feroit ses fonctions sans peine. Le choix des alimens doit être analogue aux différens tempéramens, pour la conser- vation de la santé, et l'on ne craindra pas à la campagne, comme dans les cités, que les affections déréglées de l'ame en empêchent les heureux effets. L/exercice vient encore au secours du paysan laborieux : en fortifiant ses membres, il dissipe l'ennui et distrait l'ima- gination de cette foule d'idées vicieuses qui doivent naissance à l'oisiveté. L'exercice est aussi nécessaire en maladie; c'est un remède préservatif et curatif tout à-la^fois; préser- vatif, parce qu'il entretient la transpiration insensible; curatif, parce qu'il provoque la sueur , et que souvent les maladies n'ont d'autres principes qu'une sueur intercep- tée (1); (1) Les Grecs avoient tant de goût pour les exer- cices du corps, que les médecins n'eurent point de peine à faire instituer les gymnases. De plus modernes ont fait des traités particidiers du jeu de paume comme d'un exercice salutaire ; d'autres ont recom- mandé Péquitaiion dans la consomption, dans la phthisie, dans l'hydropisie et dans les maladieschro- Souvent, C 4o ) Souvent, par notre faute, nous nous pré- cipitons dans les bras de la mort, et souvent aussi peu de chose suffit pour parer ses coups. Un des premiers conseils à suivre, c'est d'user de tout avec modération, sans quoi tous les bienfaits dont la nature nous environne, tour- neront contre nous, et se changeront en autant de traits perçans. Un des grands biens que nous recevons de la nature, est l'air qui circule autour du globe que nous habitons ; mais il faut le rendre sa- lubre dans nos demeures, ou nous exposer à changer en poison ce qui contribue à notre exis- tence. Sans un air pur, nous ne pouvons demeu- rer long-temps en santé ; enfin sans l'air il est impossible de vivre; et sitôt qu'il nousmanque, nous touchons aux portes de la mort. L'air niques. Un savant médecin, Nicolas Andy, a avancé et soutenu : « Que presque toutes les infirmités pou- » voient être guéries par le mouvement, et que » c'étoit à lui que le plus grand nombre de méde- » cins-pralk;iens dévoient l'avantage d'atteindre l'âge » delà vieillesse. » Il est des départemens méridio- naux où les Magistrats proposent encore, à certains jours de l'année, des prix à la joute , à la lutte, à la course ; ces sortes de jeux forment à l'avance des soldats lestes, vigoureux et aguéris. L'exercice, a dit un poète italien, donne à l'ame une plus forte trempe. c (5o) pénètre dans notre estomac avec nos alimens, il s'en échappe avec le chyle dans l'intérieur des vaisseaux, et de là passe au coeur. Nous l'aspirons sans cesse, et nos poumons se ra- fraîchissent ou s'échauffent selon la nature de Pair que nous avons aspiré; ainsi il devient le principe d'une bonne santé ou la source des maladies qui affligent l'humanité. L'air pé- nètre la terre, s'introduit dans les endroits les plus hermétiquement fermés ; il est donc essentiel de faire en sorte de ne laisser péné- trer qu'un air pur. Les habitans de la cam- pagne ont la mauvaise habitude , dans les grandes chaleurs, d'ouvrir leur chaumière ; alors l'air est trop raréfié et ne peut procurer aucun bien. Il faut, à l'exposition du midi, fermer les fenêtres et ouvrir celles exposées soit au nord, soit au levant ou au couchant. L'on me dira qu'une humble chaumière n'a souvent qu'une porte et point de fenêtre : je répondrai qu'alors il faut encore empêcher que la trop grande chaleur n'y pénètre, parce qu'elle forcera ses habitans, lorsque la nuit viendra les rafraîchir, de se livrer au som- meil sans aucun habillement quelconque , et que la transition de l'air chaud à l'air froid, pourra leur être très-préjudiciable, (51 ) l'air extérieur poussant l'air intérieur, et tous deux pesant avec force sur des individus dans l'inaction, et dont les mouvemens ne les peuvent diviser. L'air influant extrêmement sur les hom- mes , ils doivent s'appliquer à le purifier et à prévenir toutes les choses qui pour- raient le corrompre. Cet élément subtil pé- nètre toujours les poumons ; il peut leur être funeste, tantôt par trop de légèreté , tantôt par trop de pesanteur. Il devient nuisible quand il est trop raréfié par les chaleurs de l'été, ou trop condensé par le froid excessif de l'hiver. Dans ces deux sai- sons, il est essentiel d'éviter de laisser, près des habitations, des fumiers ou toute autre chose qui puisse répandre la contagion, parce qu'alors l'air se trouve chargé d'exhalaisons pestilentielles. A la campagne, sur-tout dans les villages qui sont traversés par une grande route, beaucoup d'habitans répandent, soit de la paille, soit des genêts, soit des roseaux, etc., pour que les chevaux et les voitures qui passent continuellement, les pourrissent et leur procurent des fumiers. Les fumiers sont une des choses les plus indispensable- c a ( 52 ) ment nécessaires pour la culture ; mais il faudroit qu'on les fît ailleurs que dans les routes, parce qu'ils sont les plus nuisibles a la salubrité de l'air. Les habitans peuvent s'en convaincre lorsqu'ils enlèvent ces fumiers : les viandes ou autres alimens qui sont dans leurs maisons, se corrompent à l'instant. Qu'on juge par-là de l'effet que peut pro- duire sur les individus cet air infecté. Le meilleur pour la santé , est un air doux et pur, c'est-à-dire, qui n'est point chargé d'exhalaisons corrompues. Il est rare que dans les grandes chaleurs, les habitans de la campagne ne soient atta- qués de fièvres ou de maladies qui viennent les frustrer de l'espoir de gagner, par leur travail, la nourriture de toute leur famille pour le reste de l'année. Ils ne doivent ces maladies, ces fièvres, qu'à l'air mal sain qu'ils ont aspiré , soit dans leur maison, soit à leur porte, où souvent ils vont s'asseoir pour respirer plus librement; ils y pompent alors tout le niephitisme répandu dans l'air , et rentrent chez eux plus accablés que lors- qu'ils en étoient sortis. Il est d'usage dans les fermes, (c'est-à- dire, chez les fermiers qui ne calculent pas (55) leur intérêt), de nétoyer les cours et les étables, et de faire porter les fumiers sur les terres en jachères , destinées à recevoir du bled-froment, dans l'intervalle de la fa- naison à la moisson : c'est ordinairement le temps des plus grandes chaleurs. Ces fumiers, qui ont séjourné des mois entiers sons les bestiaux, qui recouvrent les bouses que la négligence laisse sous les vaches, qui sont imbibés d'urine, répandent une odeur qui in- fecte l'air, et portent dans les poumons de ceux qui les remuent, le germe des mala- dies qui les accablent trop souvent dans un temps où leurs bras sont utiles aux culti- vateurs et où leur santéest nécessaire à l'exis- tence de leur famille. Hommes des champs , écoutez vos amis; suivez les conseils que l'intérêt qu'ils vous portent les engage à vous donner. C'est parce qu'ils vous aiment, qu'ils cherchent à vous effrayer sur les dangers qui vous entourent, et dont vous vous garantirez avec des soins. Je sais que, même en connoissant les dan- gers que vous pouvez courir, le besoin, ce maître impérieux, vous force de les braver. Hé bien, il est un moyen de vous en garantir, c'est de vous frotter de vinaigre anti-putride, ( 54 ) et d'en respirer. La modicité de son prix vous permet d'en avoir. Ne vous livrez à ces travaux que de très- grand matin, et sur tout ne les commencez qu'après avoir pris quelque nourriture, afin que le vide de votre estomac ne soit point rempli par l'air infecte des matières que vous allez agiter : par ce moyen, vous préviendrez les maladies qui vous accablent. Examinez attentivement, lorsque vous enlevez les fu- miers, de quel côté est le vent, et placez- vous du côté opposé. Vous pourrez le recon- noître en examinant la fumée qui sort des *rous où l'on a laissé les fumiers pourrir. Cette fumée poussée par le vent, pénétreroit dans vos poumons ; et, selon la disposition où vous seriez, elle pourroit à l'instant vous as- phixier ( suffoquer ). Tous ces maux vous entourent, et un rien, comme vous le voyez, peut les chasser loin de vous : du vinaigre anti-putride; vous placer contre la direction du vent; ne jamais vous livrer à ces travaux, à jeun ; vous laver le visage, les mains et les pieds en quittant la fosse des fumiers ; n'y point entrer avec des vêtemens de laine, qui toujours s'imprègnent plus aisément du mauvais air : alors, voua ( 55) pourrez vous livrer sans crainte à des travaux qui, sans cette précaution, vous inculqueraient le germe de tous les maux. Si malgré ces précautions vous vous trou- viez incommodés, ayez recours à des remèdes simples, et que la nature fait éclore sous vos pas.Buvez pendant quelques jours une infusion de mille-feuilles ; cette plante est détersive , c'est-à-dire, qu'elle nétoie doucement sans fatiguer; elle a aussi la vertu d'être astringente et dessiccative; elle peut suppléer au vulné- raire ; elle arrête le cours de ventre et les hé- morrhagies; elle a beaucoup de sel essentiel et d'huile ; elle ressemble à l'herbe appelée dans les campagnes, herbe à voilurier3 herbe à charpentier. Le plus pauvre habitant peut avoir en pro- priété une ruche de mouches à miel, et avec cette propriété (sans calculer les avantages qu'il pourroit en retirer s'il les soignoit et multiplioit) se garantir d'une infinité de maux. Si un travail forcé lui échauffe la poitrine, il n'a qu'à prendre du miel et de l'eau; cette boisson a la vertu de rafraîchir et de rendre le velouté à l'estomac, qui est toujours fa- tigué après un cours de ventre., que le mau- vais air ou la suppression de la transpiration (56) insensible donne immanquablement. Il faut aussi que l'habitant des champs se garantisse d'un mal très-commun à la ville, et qui y est occasionné par l'intempérance ou le travail forcé du cabinet ; ce sont les rétentions d'u- rine. L'habitude, plutôt que le manque de moyens, empêche les paysans d'avoir des vases de nuit : s'il leur prend un besoin, ils le compriment, soit qu'ils craignent le froid ou, la pluie. Us attendent à leur lever pour Je satisfaire : s'il est trop pressant, ils se lèvent et gagnent ou la rue ou la cour de leur chaumière. Le froid les surprend, et la trans- piration insensible est interrompue : une ré- tention d'urine, ou une pleurésie, ou une dysenterie, sont la peine de leur impré- voyance. S'ils faisoient attention que leur peau dilatée par la chaleur se resserre au froid, et que les humeurs qui s'exhalent du corps, par le moyen de la transpiration, sont ar- rêtées; que la circulation du sang se trouve ralentie par le froid, ils préviendraient tous ces accidens, qui sont encore beaucoup plus dangereux pour les gens déjà d'un certain âge. Les jeunes gens , dont le corps est vigou- reux , sont moins sensiblement atteints ; mais en répétant plusieurs fois ces imprudences, ( 57) ils en seront aussi incommodés. La trop grande chaleur et le trop grand froid étant également nuisibles, il est de la sagesse d'éviter ces deux excès. Si les pères et mères ont soin de leur santé, ils auront des enfans robustes et propres aux travaux pénibles auxquels leur position les condamne. i«a bonne constitution du corps d'un en!ànt, la vigueur de son tempérament dé- pendent presque toujours du soin que le père et la mère prennent de leur propre conservation. Lorsqu'une femme est enceinte, il faut qu'elle évite de prendre trop d'alimens à la fois; il vaut mieux qu'elle multiplie ses repas, en laissant entr'eux un intervalle assez grand pour que la digestion se fasse sans efforts; sans quoi elle feroit tort à son enfant, au lieu de lui donner la vie. Une femme enceinte éprouve souvent des dégoûts qui la déterminent à faire diète ; cela lui est contraire. Il faut, par. amour pour elle, et pour l'enfant qu'elle porte dans son sein, qu'elle réfléchisse qu'elle ne s'appar- tient plus du moment qu'elle est mère, et qu'elle doit tous ses soins à l'être qui dou- blera son existence. La femme enceinte doit éviter tous les (£8) désirs capricieux , qui la font se nourrir d'alimens peu propres à une bonne di- gestion. Ces étranges goûts viennent d'une pituite acre, à laquelle les femmes enceintes sont fort sujettes. Si elles habitent des pays où les olives sont communes, et qu'elles puissent s'en procurer, elles n'auront qu'à en manger quelques-unes, elles cesseront d'avoir de ces envies, parce que l'olive les débarrassera de cette pituite. Les femmes qui n'habitent point les pays méridionaux, peuvent prendre une tartine de pain, couverte de miel ; j'en ai vu des effets merveilleux. Une femme enceinte doit éviter de rester dans un endroit où l'air seroit épais et mal- sain ; elle doit souvent sortir de son habita- tion pour respirer un air pur; elle doit dor- mir un peu davantage pendant le temps de sa grossesse, et sur-tout chasser de son ima- gination des idées noires , qui pourraient se retracer à son esprit pendant son sommeil, et éviter tout ce qui pourroit la mettre en colère, parce que l'enfant participe toujours aux maux que sa mère endure. Les habits d'une femme enceinte doivent être larges, aisés à mettre, pour qu'elle ne fasse point d'efforts en s'habillant, et qu'elle C»9) ne soit point gênée.^îkfaut qu'elle prenne de l'exercice sans fatiguent qu'elle évite sur-tout de s'exposer à un air trop froid,, qui supprimerait la transpiration insensible, qui est alors plus abondante, et qu'il seroit dangereux de détourner. Elle doit s'interdire dans les commencemens , et à la fin de sa grossesse, de porter de trop lourds far- deaux, parce que cela pourroit déranger la matrice, lui causer un accouchement pré- maturé , ou faire prendre à l'enfant une po- sition qui le rendroit contrefait. CHAPITRE V. De l'Allaitement. Des Soins à prendre, lors de l'Accouchement, pour la Mère et pour l'Enfant. Du Maillot et du Temps du Sevrage. 1 > or sq u e la mère a donné la vie à son en- fant, sa tâche n'est pas remplie : iljfattt qu'elle l'allaite, mais il faut qu'elle s'en abstienne pen- dant plusieurs heures, afin que le nouveau-né puisse rendre les glaires. Si on le faisoit teter auparavant, le lait s'aigriroit dans son esto- (60 ) mac, et lui occasionnerait de violentes co- liques. Beaucoup d'enfans en sont atteints, parce qu'on n'a point pris cette précaution. Il seroit essentiel que, dans les campagnes, les administrations veillassent à ce que l'ac- coucheur ou la sage-femme fussent assez instruits pour juger si toutes les parties du corps de l'enfant sont bien dans leur état naturel, afin qu'ils y apportent à l'instant le remède de leur art. Il faut qu'ils évitent de leur toucher trop fortement la tête , à moins qu'elle n'ait été trop comprimée, ce qui lui donneroit une forme désagréable (1). Il ne faut pas omettre de laver l'enfant avec un linge doux, trempé dans du vin tiède, afin de lui nétoyer les yeux et les oreilles, et enlever attentivement cette crasse blan- châtre dont tout son corps est couvert; car (i)Ily a des pays où l'on est dans l'usage con- damnable de pétrir, pour ainsi dire , la tête des en- fans , afin de leur donner une forme arbitraire qui est de mode$.L'ona observé que ces peuples sont tous de stupides esclaves, presque sans forces, sans ima- gination et sans vigueur. Cette méthode abominable doit infailliblement déranger les organes du cerveau, et produire, dans la suite, les plus fâcheux effets pour les facultés du corps et de l'esprit. Ballexerd* (61 ) si vous n'enlevez pas cette crasse, elle pour- ra occasionner une maladie à la peau, ou en boucher les pores, ce qui feroit rentrer la transpiration en dedans , et altéreroit la santé de l'enfant. Il faut se servir, comme je l'ai dit, de vin chaud, parce que l'eau simple seroit insuffisante pour enlever les parties grasses. L'homme est bien plus malheureux que les animaux. Pendant six semaines au moins, ses sens sont engourdis; l'ouïe, la vue, ne sont rien pour lui; l'on peut faire beaucoup de bruit, l'exposer à une grande lumière, sans craindre de le réveiller. Ce n'est qu'en le touchant fortement qu'on interrompt son sommeil; il ne rit point, il ne pleure point dans les premiers momens de sa vie. On peut le considérer comme le plus malheu- reux des êtres vivans. Sans moyens physiques pour pourvoir à sa subsistance , il ne peut même se traîner pour chercher le sein de sa mère. Il a besoin de tous ses secours ; mais ce sont ces secours même qu'il faut lui pro- diguer avec réflexion. Il faut éviter de le trop envelopper, sur-tout avec des langes de laine ; ne pas le laisser crier trop long- temps; et, s'il persévérait, malgré ces soins, (6a) lui faire avaler un peu de sirop de chicorée, cela le calmeroit. Sans cette précaution, sa persévérance à crier lui occasionnerait une descente, sur-tout si c'étoit un garçon, les garçons y étant bien plus sujets que les filles. Pendant le temps de la nourriture, il faut absolument laver les enfans une fois au moins par jour. Pour ne pas heurter les habitans de la campagne, je n'exigerai pas que ce soit avec de l'eau froide, comme on est maintenant en usage de le faire, mais au moins qu'ils ne négligent pas de les laver avec de l'eau tiède, 6'ils veulent que leurs enfans profitent, et qu'ils ne soient point exposés à des maladies de peau, qui souvent dégénèrent en dartres ou en humeurs froides. Si je consens à l'eau tiède pendant le temps de la nourriture, je prie en grâce qu'on s'en abstienne après avoir sevré l'enfant. Il faut l'habituer peu à peu à l'eau froide , et l'on finira par Py plonger entièrement. Je sais que ses pleurs et ses cris percent le coeur de la mère; mais cela est si nécessaire, qu'il faut qu'elle commande à sa sensibilité pour le bonheur de son fils ; elle sera sûre de for- tifier sa constitution. (63) L'habitation des grandes villes, le luxe qui n'y est jamais satisfait_, ont forcé des hommes des champs de quitter leurs pai- sibles demeures pour s'occuper de travaux sédentaires et toujours pernicieux à la santé : cela n'a pas peu contribué à faire dégé- nérer l'espèce humaine. Mais l'habitant des champs, toujours actif, respirant un bon ain, accoutumé à un exercice qui fortifie sou physique, doit représenter ces anciens peuples dont on nous compte tant de merveilles, et que nos jeunes efféminés ne pourront jamais imiter, la foiblesse de leur constitution ne leur permettant pas de se livrer à des tra- vaux et à des exercices qui n'étoient que des jeux pour leurs ancêtres. Pour se convaincre de cette vérité,, visitez les arsenaux, vous y trouverez des armures pesantes, qui, eu égard à la force des hommes d'aujourd'hui ,ne sont plus que des objets de curiosité. « Un des motifs , a dit » un auteur estimé, qui n'a pas peu con- » tribué à rendre foible Ja génération ac- » tuelle, c'est l'invention de la poudre, qui » a fait que l'art militaire a été réduit en )) principes, et que les gymnases ont été tout D à fait abolis, u Ces gymnases fortifioienl (64) les jeunes hommes, les accoutumoient aux longues courses, et les rendoient propres aux fatigues de la guerre. Aujourd'hui même, dans les campagnes, des jeunes gens de vingt ans sont réformés de la conscription , parce qu'ils sont d'une complexion trop foible. Les pères et mères s'en applaudissent pour l'instant ; mais l'âge des infirmités les atteint, et ils n'ont plus l'espoir que leur vieillesse sera soutenue et consolée par leurs enfans, qui partageroient les bénéfices de leurs travaux avec eux. Ils sont jeunes d'âge et vieux d'in- firmités, parce que leur enfance a été né- gligée , et que les précautions nécessaires pour leur conservation n'ont point été sui- vies par leurs parens. Habitans des champs, soignez vos enfans, pour eux, pour vous, pour qu'ils puissent être utiles à leur patrie; vous augmenterez votre bonheur, si vous avez fait le leur. Habitans des champs, c'est à vous qu'est réservé l'honneur d'élever de bons et robustes citoyens ; que l'appât du gain ne vous en- traîne point à prendre des étrangers pour leur donner le lait qui appartient à votre en- fant. Par votre refus formel d'allaiter un autre enfant que le vôtre, vous contraindrez les mères (66) barbares à remplir le voeu de la nature, et vous ne l'offenserez point, en prodiguant à un autre les soins que vous serez forcées de refuser à celui que vous aurez porté dans votre sein, à celui qui a votre sang qui circule dans ses veines. Démosthène, chargé de défendre une mer- cenaire accusée en justice de s'être louée pour nourrir l'enfant d'autrui, ne la disculpa de l'ac- cusation, qu'en alléguant la misère qui l'avoit réduite à cette bassesse.Voyez sous vos yeux cette chatte qui tend avec complaisance ses mamelles à ses petits : souffriroit-elle que vous les lui enlevassiez pour lui en substituer d'autres? Non. Eh bien, suivez donc comme elle l'impulsion de la nature, et, comme elle, vous trouverez des ressources pour allaiter votre enfant, sans que la misère vous assaille. Les travaux dont vous vous occuperez pen- dant que vous nourrirez votre enfant, seront respectés par tous ceux qui vous verront vous y livrer. On vous encouragera, on vous ai- dera même; et si vous devenez marâtre, c'est- à-dire , que vous abandonniez votre enfant pour en allaiter un autre, tous vos momens appartiendront à celle qui vous donnera une foible somme pour la remplacer; cette somme ( 63 ) ne suffira pas pour votre subsistance et celle de l'être infortuné que vous aurez à votre tour confié à des mains étrangères : vous languirez tous deux, et votre fils sera obligé de partager la tendresse qu'il vous devroit toute entière, si vous n'eussiez pas été assez barbare pour l'abandonner. Un fils partager avec une étran- gère la tendresse qu'il doit à sa mère, cela seul devroit empêcher les mères de se sé- parer de leurs enfans ! Mères, n'emmaillottez pas vos enfans : le maillot les échauffe trop, leur cause de la douleur ; et les efforts qu'ils font pour s'en débarrasser, préjudicient à leur conformation. Ne craignez point que les mouvemens qu'ils pourraient faire, s'ils étoient libres , puissent nuire à l'assemblage de leurs membres. Il est bien plus aisé de se persuader que les efforts qu'ils feront pour se débarraser de leurs maillots, leur causeront des douleurs, et leur feront jeter des cris qui peuvent leur donner une descente, nuire à leur digestion, et al- térer beaucoup leur tempérament. M. de Buffon a dit, en parlant des nourrices de la campagne : « Les unes abandonnent les en- » fans pendant plusieurs heures, sans avoir » la moindre inquiétude sur leur état; d'au- f 67) )) très sont assez cruelles pour n'être pas )) touchées de leurs gémi?semens; alors, ces )) petits infortunés entrent dans une sorte de h désespoir; ils font tous les efforts dont ils » sont capables; ils poussent des cris qui » durent autant que leurs forces ; enfin , ces » excès leur causent des maladies , ou au » moins les mettent dans un état de fatigue » et d'abattement qui dérange leur tempé- )) rament, et qui peut même influer sur leur » caractère, » L'usage du maillot a toujours été condamné par les plus grands naturalistes; la nature le défend, parce que les petits membres d'un enfant ont besoin de s'exercer pour prendre de l'accroissement et des forces. Si sa poitrine est trop serrée, cela la lui rétrécira, elle sera moins belle ; et ce qui est encore plus essentiel, moins bonne (1). La poitrine d'un enfant ne doit donc jamais être comprimée, afin que le jeu des poumons se fasse mieux , qu'il respire plus librement. De même si l'e6tomac est serré par le maillot, il digérera mal ; ses alimens presseront le fond de l'estomac et occasionneront de fréquens vomissemens à (1) Voyez l'Encyclopédie, au mot cmmaillotte- ment. ( 68) l'enfant; enfin l'usage du maillot peut enfanter une source féconde d'infirmités. Examinez un enfant emmailloté qui pousse des cris aigus, vous le démaillolez, vous le changez de linge ; il rit, et ses plaintes cessent; on voit par ses mouvemens joyeux combien la liberté lui est nécessaire. L'habitante des champs doit encore plus que d'autres femmes, renoncer à l'usage du maillot, parce que ses momens étant comptés, elle emploiera beaucoup moins de temps à changer son enfants'ilest couché sur un pail- lon àe même paille d'avoine, couvert de linge, que s'il est enveloppé et serré dans un maillot. La peine, le temps qu'il faut employer, sont peut être la cause que beaucoup de nourrices laissent les enfans trop souvent dans des linges salis par les excrémens, et les excrémens nuisent à la santé de l'enfant. Que les nour- rices n'allèguent point la mauvaise raison, qu'étant obligées de quitter leur maison pour vaquer à leurs travaux, il faut que les enfans soient contenus de manière à ne pas leur causer d'inquiétude pendant leur absence : ils seront beaucoup moins exposés à des acci- dens, s'ils sont libres. Ils n'ont (tout le temps qu'ils sout au maillot), pas assez de forces ( 6g) pour s'élancer hors du berceau, qui doit avoir des rebords de douze ou quinze pouces; mais ils ont besoin d'avoir la jouissance de leurs petits membres, et que leur poitrine et leur estomac ne soient point comprimés. Ils prendront des forces plus promptement, et pourront souffrir beaucoup plus tôt d'être mis dans ces espèces de paniers à roulettes, où ils sont contenus droits, et ont la liberté de se mouvoir. L'instinct de la nature leur indique de changer de place lorsqu'ils sont salis ; ce qui doit prouver aux nourrices que la pro- preté est nécessaire à un enfant. Elle facilite une douce transpiration , entretient leur gaieté et rend la digestion aisée, en mettant en action tous les esprits animaux. Un autre avantage qu'une nourrice retirera, en supprimant le maillot, c'est que le sommeil de l'enfant ne sera point troublé parla douleur, ayant tous ses mouvemens libres; il n'y aura que la faim qui le réveillera, et la nourrice ayant soin de lui donner en le couchant, et en le changeant de linge, suffisamment de nourriture, son repos personnel ne sera point troublé ; ou s'il l'est , pour peu qu'elle soit attentive, elle saura bien distinguer les cris de la douleur d'avec ceux de la faim. Si ce (?o ) sont des cris occasionnés par des tranchées ou des coliques, et que l'enfant refuse le te ton, il faut qu'elle ait recours à l'huile d'amande douce, tirée sans feu, et mieux encore au sirop de chicorée. Une chose qu'on peut assurer, c'est que les enfans qui ne sont point emmaillotés sont beaucoup moins sujets aux tranchées et aux coliques, parce que leur corps n'étant point comprimé , les diges- tions se font plus facilement, la transpiration insensible se maintient; au lieu qu'enfermés dans un maillot, ils éprouvent des sueurs for- cées, qui peuvent se répercuter quand on les change, et leur causer des maladies graves. Les enfans sont sujets à nombre de maladies qui causent beaucoup d'embarras aux nourrices : par exemple, les vers , les coqueluches, les dévoiemens ; les vers sont occasionnés par les glaires ; les autres mala- dies proviennent toutes de mauvaise diges- tion, et les mauvaises digestions sont occa- sionnées parla suppression de la transpiration insensible, et aussi par le mauvais usage des bouillies. Si une nourrice ne peut se corriger de donner de la bouillie à un enfant il faut qu'elle la lui fasse avec de la fécule de pommes de terre, qui est beaucoup plus légère, et qui (7i ) ne fait pas, comme la farine de grains, une colle dans l'estomac de l'enfant. Une nourrice doit éviter de mettre le berceau de l'enfant près et sous les rideaux de son lit, parce que l'enfant respirerait une odeur fétide , qui porteroit un poison subtil dans ses poumons ; cela la forcera aussi, si l'enfant crie, de se lever pour lui porter des secours , et elle évitera le malheur de s'endormir en donnant à teter, et d'ex- poser la vie de son nourrisson. C'est à l'âge de dix ou douze mois au plus, qu'il faut sevrer les enfans de la mamelle; les dents qui leur viennent, annoncent que la nature a parlé, et qu'ils peuvent prendre des alimens plus solides que le lait. C'est alors que les soins de la nourrice doivent doubler. Une bonne sevreuse est pour le moins aussi utile qu'une bonne nourrice. Il faut choisir des alimens qui soient sains sans être succu- lens, mais toujours d'une digestion facile ; conséquemment, il faut s'abstenir de bouillie, qui ne se digère jamais bien, même dans un âge plus avancé. Il est absolument essentiel de ne point donner des sucreries, ni confi- tures aux enfans, et tout ce qu'on appelle ordinairement des bonbons, parce que cela (7«) les dégoûte de la soupe et des autres ali- mens simples. Faites-leur valoir une petite croûte de pain ; c'est le seul aliment que vous puissiez vous permettre entre leurs repas, et ils la mangeront avec autant de plaisir que d'appétit, parce qu'ils ne connoîtront point de friandise. Loke défend les bonbons aux enfans. « Si c'est la faim qui les presse, dit » ce grand homme, ils mangeront le pain » seul avec plaisir; mais si c'est la friandise » qui les sollicite plutôt, que la faim, il n'est » pas nécessaire alors qu'ils mangent. » L'on ne doit jamais donner de vin pur, si ce n'est comme tonique ou stomachique. La digestion se fait promptement chez les enfans, mais toujours imparfaitement ; c'est pourquoi ilfaut éviter de leur donner des corps gras et huileux, qui sont difficiles à digérer, à moins qu'on ne prenne des liqueurs spiri- tueuses , ce dont il faut s'abstenir avec les en- fans , parce que cela les crispe , et nuit à' leur accroissement. Les enfans doivent boire très-peu, leurs tempéramens étant en général humides, les boissons abondantes leur relâcheraient Festomac , et un jeune enfant n'a besoin que ( 73) que de fortifians et point du tout de relâchans. Quand les dents molaires sont prêtes à percer, les enfans éprouvent une forte irri- tation aux gencives; pour les soulager, il faut leur passer le doigt par-dessus les gen- cives, cela en facilite l'irruption; mais il faut sur-tout s'abstenir des hochets qui ont un bout de cristal. Si vous donnez un hochet à un enfant, au bout de cristal substituez une racine de guimauve ou de réglisse ; les enfans, poussés par la douleur, portent tout à leur bouche. Ces de'ux racines sont émollientes; elles attendrissent les gencives, et facilitent le germe des dents, qui s'y imprime aisément, sans faire courir les dangers qui peuvent ré- sulter du ver cassé. J'ai vu un enfant dont le hochet étoit cassé, le portera sa bouche, se couper la.langue, et en être long-temps in- commodé. A ia campagne, les enfans sont beaucoup moins incommodés des dents,parce que l'air pur qu'ils y respirent, en favorise la sortie. Les enfans que l'on sèvre ont besoin de dor- mir un peu plus, le sommeil étant un restau- rant qui leur convient, parce qu'il répare leurs forces, qui sont facilement abattues par l'exer- cice continuel où ils sont à cjt âge. Ils doi D ( 74 ) vent aussi manger plus souvent, parce que leurs digestions sont .promptes, et laissent conséquemment moins de chyle, et beaucoup plus d'excrémens. Il faut cependant attendre que le besoin de dormir et de manger leur vienne, sans trop les prévenir pour cela(i). CHAPITRE VI. Des Soins à donner aux Enfans après le Sevrage. Du Repos après les Repas. Des Précautions à prendre pour la conserva- tion des Dents, Des Dangers d'avoir re- cours à l'eau froide, dans le cas d'une Entorse. De la Nécessité des Bains de vapeur. J l faut moucher les enfans aussitôt qu'ils sont morveux , sur-tout le soir quand ils se couchent, et le matin quand ils se lè- (i) « Ne mettez jamais coucher les enfans avec de » vieilles personnes : ces dernières, à la vérité, s'en » porteront mieux, parce que l'insensible transpira- >: tiondesjeunesesfbénigne;elIepassedans le vieux, » où elle entretient la souplesse de leurs fibres ; mais » l'enfant souffre beaucoup par la perte qu'il fait : » il maigrit, il s'exténue ; il en tombera malade in-r » faUUblement. » koKE. (75) vent, parce qu'il seroit dangereux de laisser séjourner les humeurs , et que cela pourroit quelquefois leur occasionner une fluxion sur les yeux. Les déjections chez les enfans , sont or- dinairement abondantes ; mais à l'âge de trois ou quatre ans, le jeu les emporte et les dé- tourne quelquefois de leurs fonctions : il faut les surveiller, examiner s'ils vont à la selle au moins une fois par jour, et leur en faire contracter l'habitude. II faut sur-tout éviter, si plusieurs jours s'écoulent sans qu'ils aillent à la selle, de leur donner aucun remède ; seulement, il faut leur faire boire de l'eau pure : c'est un dissolvant très-utile. Les enfans sont quelquefois sujets aux diar- rhées, au saignement de nez. Il ne faut leur faire aucun remède pour ces incommodités ; c'est souvent un bienfait de la nature : seule- ment il faut retrancher un peu de nourriture pour les diarrhées, afin que l'estomac agisse avec moins de force ; et pour les saignemens de nez, les laver avec de l'eau froide, et ja- mais avec aucune eau spiritueuse. — Des saignemens de nez deviennent quelquefois si dangereux , qu'on ne sauroit prendre trop de précaution : lorsque cela arrive, D a ( 76) il ne faut ni effrayer l'enfant , ni le mal- traiter; si c'est par accident ou par mal- adresse qu'il s'est attiré ce malheur, il faut le soigner doucement, le laver avec de l'eau fraîche, ne lui point pencher la tête, le tenir au contraire le plus droit qu'on pourra. J'ai été témoin une fois d'un accident qui a failli coûter la vie à un homme fort et vigoureux. Il fit une chute qui lui occa- sionna un saignement de nez si considéra- ble, qu'on craignit un moment pour sa vie. Le chirurgien appelé , n'employa d'autre remède que de l'eau. Il faut, si la sevreuse mène promener ses enfans, qu'elle règle sa marche sur la leur, parce qu'ils s'essoufleroient pour la suivre, et que cela pourroit occasionner la rupture de petits vaisseaux de la poitrine. L'asthme et la pulmonie peuvent être une suite da marche forcée. Cela peut même donner des convulsions aux enfans, parce qu'elles ne viennent que par l'irritation des fibres ner- veuses. Toutes ces précautions sont essen- tielles pour éviter des maladies. Le grand art de conserver la santé, est encore préférable à celui de guérir des maladies. (77) Il n'est pas nécessaire que je m'étende ici sur l'inutilité de faire porter aux enfans des corps baleinés. Heureusement , même au village, on est actuellement conVaincu du peu de besoin qu'on en a. Les corps balei- nés ont été proscrits par des médecins, parce qu'ils se sont convaincus que cette méthode ôtoit aux enfans la faculté de respirer aisé- ment ; et que la plupart de ceux qui conser- voient des toux opiniâtres , ou qui étoient d'une complexion délicate, le dévoient à la gêne où on les avoit mis dans leur jeunesse. On sait qu'on ne mange point quand on a la poitrine et l'estomac serrés ; alors l'en- fant, débarrassé de sa prison , se gorgeoit beaucoup, et son estomac ridé, si je puis m'exprimer ainsi, par la compression du corps, faisoit difficilement ses fonctions. —Le maillot a les mêmes inconvéniens ; il faut espérer, qu'ainsi que les corps baleinés, il sera supprimé pour le bonheur de l'espèce humaine, puisque la santé et la liberté en sont la base principale. En suivant exactement ces préceptes, vous augmenterez les jouissances de vos enfans; vous diminuerez les peines qu'ils éprouve- raient dans un âge plus avancé, et c'est un ( 7« ) des meilleurs moyens d'avoir des héritiers sains et vigoureux. Il est une chose qu'une mère doit éviter avec la plus scrupuleuse attention, c'est d'ins- pirer de la jalousie à ses enfans; et, malheu- reusement, quand on s'aperçoit qu'ils en sont atteints, le mal est quelquefois incurable; leur tempérament en est altéré pour toute la vie. La jalousie est un sentiment de la na- ture : l'on voit journellement des animaux en être atteints, en mourir même. Il n'est donc pas possible de guérir un enfant de ce mal, qu'en l'éloignant de l'objet qui le lui aura causé ; ou, par des soins et des attentions dont il ne pourra deviner le motif, le dé- tourner des idées qui l'obsèdent, et parvenir par ce moyen , sinon à le guérir, du moins à diminuer son mal. Sans cette attention, il règne entre les frères et soeurs une haine, qui, loin de diminuer , accroît avec l'âge. Souvent les dissentions qui accablent une famille, ont pris naissance dans la prédilec- tion qu'une mère aura eue pour l'un de ses enfans. Mères de famille, le bonheur de tout ce qui vous entoure est entre vos mains; vous pou- vez rendre vos enfans heureux, en leur assu- .(79) rant une bonne santé par les soins que vous prendrez de leur enfance. Avec un tempé- rament robuste et vigoureux, un habitant de la campagne peut se livrer à des travaux constans, et qui améliorent le sort de sa fa- mille; rrfais il faut qu'il soigne son tempéra- ment, pour qu'il n'éprouve point de maladies qui l'altéreraient, et priveroient sa famille ue son chef, en abrégeant des jours précieux. Abstenez-vous aussi de faire de grandes courses aussitôt que vous aurez mangé; un moment de repos après le repas est indis- pensable, sans quoi vous vous exposeriez a faire une mauvaise digestion, et il en résul- terait un dérangement qui occasionneroit une foiblesse des organes. Une fois qu'on s'est habitué à prendre des précautions pour éviter des maladies, la vie se passe sans accidens, et l'on peut espérer de parcourir une longue carrière sans être accablé des maux qui moissonnent quelque- fois dans leur printemps des imprevoyans qui, pour surcroît de malheur, laissent des enfans sans ressources. Habitans des champs, vos moyens pécu- niaires vous commandent d'éviter tout ce qui peut vous occasionner des maladies; et le i I ( 80 ) bien-être de vos familles exige que vous viviez long-temps. Il ne suffit pas quelquefois de connoître les moyens de vous garantir de maladies : les cir- constances vous forcent souvent d'intervertir l'ordre que vous vous êtes imposé Volontai- rement. Les saisons , les travaux auxquels vous vous livrez, contrarient vos projets : il faut, pour votre intérêt, pour celui de votre famille, redoubler d'attention dans ces cir- constances , afin que cette attention vous garantisse des maux que la saison ou un travail forcé vous occasionnerait. Si la variété des saisons rend la température plus froide dans un temps de la journée que dans un autre, il faut y remédier en vous couvrant, même en travaillant, plus que lors- que la chaleur est forte. C'est sur-tout en au- tomne ou au printemps que vous devez avoir l'attention, le soir et le matin, d'être plus couverts que dans le reste de la journée. N'ou- bliez jamais que, pour se bien porter, il faut entretenir sans cesse la transpiration insen- sible , et que sa suppression peut vous causer les plus grands maux, et même vous donner la mort. Si vous êtes obligés de vous livrer à un tra- ( 81 ) vail extraordinaire, il faut que vous preniez plus d'alimens que de coutume, afin de rendre à la nature ce qu'elle a dépensé ; sans quoi, vous épuiseriez vos forces et seriez bientôt contraints de cesser tout travail ; l'inaction dans laquelle vous seriez forcés tout-à-coup de ^demeurer, et l'ennui que vous éprouveriez, seraient la source d'un mal-aise qui finirait par vous donner une maladie. Si vous a\sez omis dans le temps des forts travaux de réparer par des alimens solides la déperdition de la nature, il faut absolu- ment, lorsque vous vous livrerez au repos, que vous vous absteniez de manger des choses que votre estomac fatigué ne pourroit pas digérer. La diète et l'eau sont deux grands médecins : si vous vous trouvez réellement épuisés , buvez de l'eau miellée, et mangez du miel par cuillerée, c'est un restaurant qui n'a pas l'inconvénient d'échauffer; le miel est une des choses les plus salutaires, et l'ha1- bitant des campagnes, tel pauvre qu'il soit, peut et doit avoir au moins une ruche pour se soulager, lui ou ses enfans. Dans l'été, un homme des champs arri- vant de son travail, doit éviter, lorsqu'il rentré dans sa chaumière, d'y répandre de l'enu. Il ( 82 ) est certain que l'eau corrige la chaleur et la sécheresse de l'air ; mais immédiatement après que l'habitant des champs a pris son repas du soir, il est contraint de se livrer au repos, afin de pouvoir retourner du matin à son travail : alors, sa chaumière est refermée avant que l'humidité qu'il aura répandue soit évaporée ; et l'air étouffé , joint à l'air hu- mi le occasionné par l'eau répandue, peut lui causer une répercussion de sueur, qui lui donnerait des rhumatismes et des fraîcheurs qui le feraient souffrir long-temps. La tâche que j'ai entreprise, ne me permet pas d'entrer dans l'examen des différentes fermentations du sang, des principes qui se heurtent continuellement les uns les autres, et qui doivent nécessairement produire ce mouvement de fermentation; je me bornerai à donner des préservatifs. Je me garderai de faire un cours d'anatomie, je ne puis ni ne dois m'élever à la hauteur des savans qui vieillissent sur les livres, et s'éclairent tous les jours par de nouvelles expériences ; ils emploient leur art à guérir, et moi je prêche pour qu'on évite les maux qui forcent à ré- clamer leurs bons offices. Des soins, des rafraîchissans, des pré- ( 85 ) cautions nécessaires pour sa conservation, peuvent maintenir en santé et prolonger la vie. Une chose qui contribue beaucoup à la bonne santé, et à laquelle les habitans de la campagne et même des villes font peu d'at- tention , c'est la conservation de leurs dents. Cela est plus essentiel qu'on ne pense ; car ce sont les dents qui préparent et facilitent la digestion : si vous négligez la conservation de vos dents; que vous n'ayez pas soin de vous laver tous les jours la bouche, il se formera une espèce de tartre autour de la gencive , qui, outre la mauvaise odeur que cela vous occasionne, finira par gâter vos dents, et vous fera éprouver des douleurs aiguës. Presque tous les habitans de la campagne ont de vilaines dents. L'on attribue tantôt à l'eau, tantôt à l'air, cette difformité , qui en est réellement une, et qui de plus est un mal véritable, et par les douleurs qu'il fait éprou- ver, et par le travail que cela cause à l'es- tomac , qui reçoit des alimens dont le premier broiement nécessaire n'aura pu s'effectuer, faute de moyens pour triturer. Je suis plus franche, moi, j'attribue la perte des dents à la négligence de se laver la bouche. ( 84 ) Il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux opiats , aux poudres pour conserver ses dents : de l'eau claire suffit; mais il faut tous les matins s'en servir, passer son doigt sur ses gencives et les frotter un peu. Si elles saignent, ce n'est point un mal, cela les dé- gorge , et redonne la vie aux dents ; car on ne peut se dissimuler que les dents se nour- rissent et sont sensibles. J'ai vu des personnes conserver pendant des années, des maux de tête à devenir folles; d'autres éprouver des mélancolies, des pesan- teurs de tête que rien ne pouvoit diminuer, et ne devoir ces incommodités qu'à une dent gâtée , parce que ce qui fait la substance de la dent, répondant à d'autres nerfs, causoit tout ce ravage; et,la dent arrachée, les dou- leurs cesser tout-à-coup. Les maux de dents sont presque toujours la suite de la négligence qu'on met à les conser- ver : il en résulte quelquefois des ulcères aux gencives. Heureux si les ulcères sont exté- rieurs et à portée des remèdes ! Souvent aussi, vous êtes entièrement privé du som- meil, et ce sommeil est le baume le plus sa- lutaire pour se conserver en santé. L'on ne saurait donc trop recommander (85) d'avoir soin de conserver ses dents ; et le meilleur moyen, c'est la propreté. Il faut y accoutumer les enfans dès leur plus tendre jeunesse : une fois qu'ils en auront pris l'habitude , ils laveront leur bouche comme leurs mains. Ce qu'on ne peut trop recom- mander , c'est la propreté pour tout le corps : , . elle contribue à la santé, en débarrassant la peau d'une espèce de poussière qui s'y in- cruste et nuit à la transpiration insensible. Rien n'est aussi aisé que de supprimer cette transpiration : c'est une humeur subtile et déliée ; c'est enfin une vapeur qui s'éva- pore si facilement, que c'est la chose à la- quelle il faut faire le plus d'attention, parce que son absence cause tous les maux. Plusieurs expériences peuvent vous dé- montrer que cette transpiration existe, même quand vous croyez toutes les parties de votre corps très-sèches. Mettez votre doigt sur la surface d'un miroir ou d'un autre corps bien poli , vous y laissez une trace d'humidité. En hiver, temps où toutes les vapeurssont condensées par le froid, cette transpiration est encore pins nécessaire à conserver. L'on évite par-là des rhumes de poitrine et de cerveau. Les rhumes de poitrine ne sont ja- ( 86* ) mais à dédaigner; ils entraînent quelquefois après eux des accidens fâcheux. Il est donc de la prudence de les prévenir, et pour cela, il faut avoir soin d'entretenir la transpira- tion insensible. Le proverbe qui dit : 77 vaut mieux suer que trembler, prouve qu'il n'y a jamais de danger de transpirer , et qu'on en peut courir d'imminens en arrêtant ou n'en- tretenant pas la transpiration. Il est encore un inconvénient qu'il est pru- dent d'éviter; c'est, si le malheur veut que vous ayez une entorse, de vous abstenir de mettre le pied dans de l'eau fraîche. J'ai vu , sur-tout à la campagne, lorsque quelqu'un éprouvoit cet accident, qu'on tiroit un seau d'eau de puits, et qu'on y mettoit impru- demment le pied de celui qui avoit une en- torse, et cela sans réfléchir si la douleur occasionnée par l'entorse n'avoit pas mis dans une espèce de moiteur la personne blessée. Alors, la transpiration se trouvant arrêtée par l'action de l'eau froide, le mal qu'on donne est plus dangereux que le mal qu'on veut guérir. Une entorse n'est autre chose qu'un dé- sordre dans l'articulation, occasionné, soit par un faux pas, soit par un mouvement trop («7 ) fort. Pour réparer le désordre, il faut des choses réconfortantes, et non de Feau, qui n'a et ne peut avoir par sa nature aucune action fortifiante : elle ne fait que saisir la personne , et occasionner une contraction dangereuse de nerfs. Lorsqu'on a éprouvé l'accident d'une entorse, il n'y a pas d'autre ressource que d'avoir recours au vinaigre bal- samique. L'art de guérir , depuis quelque temps , s'est étendu d'une manière admirable, et l'on est beaucoup moins embarrassé pour parer à des accidens imprévus ; mais il ne faut pas pour cela se fier à l'art du médecin et du chirurgien, qui peuvent quelquefois errer; il est plus prudent de prévenir les accidens. En les prévenant, l'on jouira d'une santé robuste, et l'on pourra espérer une longue vie. Prévenir les maux est plus raisonnable que de s'exposer au danger de les réparer. La durée entière de la vie d'un homme ne peut suffire même à l'esprit le plus vaste et le plus pénétrant, pour réunir toutes les connoissances nécessaires à l'art de la méde- cine et à l'art chirurgical ; et un mois d'atten- tion, pour prévenir ies maux qui nous forcent d'avoir recours à leur savoir, suffit pour faire (88 ) contracter l'habitude des soins qui garan- tissent des maladies. Les personnes déjà d'un âge avancé, auront plus de peine à se former un plan de vie qui contrarieroit leurs anciennes habitudes ; mais ils doivent le faire suivre à leurs enfans, pour avoir, en mourant, la consolation de se dire: « Les souffrances que j'ai endurées pendant » le cours de ma vie , n'assailliront point » mes enfans. Avec les instructions que je » leur ai données, ils pourront espérer une )) longue carrière , exempte d'infirmités ; » conséquemment, j'ai assuré leur bonheur, » puisque, jouissant sans cesse d'une bonne » santé, ils auront pu aussi sans cesse se li- » vrer aux travaux de leur profession, et » amener l'abondance dans leur famille, m Voilà ce qu'un père de famille, qui aura fait prendre à ses enfans toutes les précau- tions que j'indique, pourra se dire à ses der- niers momens ; et cette réflexion est bien faite pour diminuer la douleur de la sépa- ration. Malgré les soins que l'on apporte à pré- venir les maux, il est quelquefois des accidens que la prudence humaine ne peut prévoir, tels que les coups de sang, qui, souvent, ( «9 ) sont occasionnés par un travail forcé. Dans ce cas , la saignée est nécessaire ; mais je conseillerai toujours de la prévenir par des rafraîchissemens et des boissons qui rendent de la fluidité au sang ; et, si l'on étoit atteint trop subitement, la saignée locale, faite par des sangsues, seroit encore préférable à l'ouverture de la veine. Mais ces accidens seront beaucoup moins fréquens , si vous avez l'attention de ne point faire d'exercice forcé, de vous abstenir des excès de vins et de liqueurs fortes. Main- tenez votre appétit, pour qu'une forte indi- gestion ne fatigue point votre estomac, au point de vous mettre dans un état apoplec- tique. N'abusez point de vos forces en entre- prenant des travaux et des courses extraor- dinaires, et vous éviterez ces accidens. Mais si d'aventure vous y étiez contraints, mangez peu et souvent, vous digérerez bien. Buvez beaucoup, pour conserver la fluidité néces- saire à votre sang, et vous supporterez , et l'excès du travail, et une marche forcée, sans que les suites en soient funestes à votre santé. Si, dans le cas que je viens de décrire, il vous survenoit une chaleur dans la gorge, ne laissez point le mal s'accroître, et arrêtez en (9*) sur-le-champ les progrès par des gargaris- mes rafraîchissans, faits avec de Forge et du miel; puis, buvez-en seulement pendant deux jours. Avec cette précaution, vous prévien- drez une inflammation dans la gorge , et même quelquefois une esquinancie, qui est une maladie mortelle. Vous pouvez, dans le cas où la douleur seroit aiguë, faire usage d'un cataplasme; les effets qui résultent des secours extérieurs, sont souvent très-salutaires. Il est aussi très-utile de faire respirer la vapeur de l'eau chaude, soit pour des maux de gorge, soit pour des rhumes de cerveau: d'autres remèdes moins simples que celui-là, pourroient occasionner plus de mal qu'ils n'o- péreraient de bien. La vapeur de l'eau est encore très- salutaire, lorsque vous éprouvez des difficultés à faire les fonctions animales : dans ces circons- tances , on a assez l'usage d'avoir recours aux lavemens; je préfère, moi, la vapeur de l'eau chaude, et dans laquelle vous aurez mis bouillir de la guimauve, ou toute autre herbe émolliente, parce que cela relâchera l'anus, qui se trouve échauffé et rétréci, ce qui em- pêche les excrémens de passer facilement. (9i ) L'effet de celte vapeur est dautant plus sa- lutaire, qu'elle relâche les fibres nerveuses qui se trouvent ramollies par les parties sub- tiles de l'eau, qui pénètrent et s'insinuent par les pores, et qui délaient et détrempent les humeurs. La chaleur de Feau procure une transpiration salutaire. L'on ne saurait trop recommander les bains de vapeurs, et même les bains entiers, qui sont bienfaisans dans toutes les maladies de peau. Le bain est nécessaire aux personnes adultes^ aux vieillards, aux enfans^ dont il prévient les convulsions et détend les nerfs. Il ne faut jamais prendre les bainstrop chauds: si l'eau étoit trop chaude, elle causeroit plus de mal que de bien. L'eau dont on se sert pour se baigner, doit être de pluie, ou de fontaine, ou de rivière ; mais si vous ne pou- vez vous procurer que de Feau de puits, il faut mettre bouillir dans un chaudron, une ou deux poignées d'herbes emollientes, et y faire fondre une poignée de sel, pour lui ôter sa crudité. (9V) CHAPITRE VII. De la Conduite à tenir dans l'âge de Pu- berté , pour conserver sa Santé, et pour se prémunir contre les Passions. De l'usage de l'Eau. De l'usage des Fins, . des Liqueurs. De l'Exercice du Corps. De l'usage des Bains ordinaires. Du Mariage. J-iES hommes , peu de temps après qu'ils ont été réunis en société, se devant des secours mutuels, ont sans doute cherché des remèdes pour soulager les maux de leurs semblables. Il est à présumer que l'art de guérir est aussi ancien que le monde connu ; et il est encore pré- sumable que la chirurgie a précédé la méde- cine, qui demande une science approfondie. Les chirurgiens ont été nécessairement les premiers dans cet art; et ce sont les hommes qui avoient reçu de la nature la pénétration l'adresse et la fermeté d'ame nécessaire pour supporter les plaintes et même les cris des blessés, qui se sont consacrés à cette hono- rable profession. Sans doute aussi, dans les premiers temps, (93) on se bornait, pour guérir les plaies, à ap- pliquer des simples qu'on avoit cru propres à rapprocher les chairs, et à adoucir les douleurs. Le hasard est venu faciliter ces demi-connoissances ; et l'homme qui avoit l'espoir de trouver du soulagement et des consolations dans ses maux, s'est peu livré à l'étude des moyens de les prévenir. Ce qui est affligeant, c'est que plus les hommes ont acquis de science, plus ils ont perfectionné Fart de guérir , plus l'huma- nité a été accablée, et des milliers de ma- ladies, inconnues à nos pères, sont venues nous assaillir, ont abrégé la durée de notre existence, et, qui pis est, Font rendue pé- nible et douloureuse. Le luxe de la table n'y a pas peu contribué. Le manière de se vêtir est encore un moyen puissant de destruction : même au village, la mode d'êtie presque nu a été adoptée avec avidité ; et cette mode, dans un climat dont la température est aussi variée, peut causer les plus grands maux. Les passions et les affections de Famé pro- duisent aussi sur nous des effets qui contri- buent beaucoup à altérer notre santé. La joie, la crainte, une douleur profonde, sont des (9M k causes qui peuvent faire quelquefois mourir subitement par une trop forte contraction des nerfs. Dans une grande joie, les esprits sont agités trop vivement; dans la douleur, tout notre être est concentré. Les passions vio- lentes, de joie ou de peine , mettant l'homme dans un danger imminent, il doit tâcher de les éviter, et de n'avoir que des sensations douces et modérées. Une infinité de circonstances peuvent faire changer notre constitution originaire ; c'est plus particulièrement à l'âge de puberté que nous y sommes exposés. Nos sentimens el nos affections changent avec notre être, et les circonstances développent quelquefois en nous des passions qui font le malheur de notre vie, et en abrègent le cours. Celui à qui la nature a donné un tempé- rament sanguin et chaud, doit sans cesse être en défiance de lui-même, et maîtriser ses passions, sans quoi il courra le risque d'absorber promptement ses facultés physi- ques , d'énerver et d'assoupir ses facultés mo- rales ; et les tristes jours qui s'écouleront jusqu'au moment de sa destruction totale, seront employés à maudir les momens où il se sera laissé entraîner aux passions qui ont ( 95 ) anéanti son être avant qu'il ait pu jouir du bienfait de l'existence. On a remarqué que ceux qui ont un tempé- rament mélancolique, sont fort robustes et outrés dans leurs sentimens : c'est aux parens à maîtriser leur passion naissante, s'ils ne veulent pas que les mêmes passions les mois- sonnent avant l'âge prescrit par la nature. La connoissance du tempérament de Fa- dulte, confié aux soins d'un étranger, est très- essentielle ; elle aidera à démêler les passions qui le domine, et à en prévenir les effets. C'est à Vàge de pu berté qu'un jeune homme commence à voler de ses propres ailes. Les parens croient pouvoir le laisser libre de ses actions; ils se trompent fortement : c'est au contraire l'instant où il a le plus besoin de l'oeil paternel. La nature se développe, et avec elle les germes des biens ou des maux : les précipices sont ouverts sous ses pas; sa force et sa jeunesse lui permettront de se livrer aux excès de tout genre. Les boissons spiritueuses flatteront son goût ; et au lieu de profiter des dons de Bacchus avec modération_, il s'y li- vrera sans réserve ; cette liqueur, qui ne doit jamais être considérée que comme un cordial, attirera sur lui les plus grands maux, (96) si c'est l'intempérance qui le règle dans l'usage qu'il en fera. La peine suivra la faute : bientôt il éprou- vera les atteintes douloureuses de la goutte: l'affaissement de tous ses membres ; les plus horribles coliques suivront la perte totale de sa raison. Telles sont les suites de l'aveugle débauche. Il ne s'arrêtera point encore : son palais émoussé lui demande de plus fortes liqueurs que le vin, qui lui paraît sans saveur, et c'est avec délice qu'il fait couler le poison dans ses veines. Les liqueurs spiritueuses occasionnent des pituites, relâchent Fesîo- mac, et les digestions sont tou ours laborieu- ses. Il s'ensuit de ces intempérances, le trem- blement des membres, et l'engourdissement total de l'esprit. Retracez ces tableaux à vos enfans, à vos élèves, et donnez-leur l'exemple de la tem- pérance; accoutumez-les , dès l'âge le plus tendre, à ne faire usage que de liqueurs sim- ples ; et mieux encore, engagez-les à ne boire que de Feau, si vous voulez conserver leur force et leur santé. Cependant, les différentes eaux ne sont pas également salutaires. Ilien, dans la nature, n'est uniforme; et les eaux ne peuvent déro- ger (97 ) ger à cette loi. Quoique sa substance soit tou- jours la même, il est possible qu'elle soit mal- faisante par les principes étrangers dont.elle peut être chargée : par exemple, Feau des fon- taines entourées d'herbes, de branches d'ar- bre , de feuilles qui y tombent et la corrompent, est dangereuse à boire, parce qu'elle se trouve infectée d'un limon gras, qui lui donne un goût désagréable ,.et qui porte avec lui le ca- ractère de la putréfaction. L'eau que l'on doit préférer, est-celle qui est claire, légère et qui n'exhale aucune odeur. Mais si, vous laissant entraîner par l'usage qui a introduit parmi nous les boissons com- posées, vous usez du vin, que ce soit au moins avec modération. N'employez jamais que des vins naturels ; il vaut mieux pour la santé qu'ils soient moins agréables, mais qu'ils soient sains : souvent la cupidité vous offre des vins dont la dangereuse saveur vous sé- duit : gardez-vous d'en faire usage. J'ai vu des personnes perdues de leurs membres, pour avoir fait usage de vins chargés d'absor- bans terreux ; et d'autres, pour avoir fait usage de vin où la fraude avoit mêlé de la litharge. Assurément, Feau est préférable à cette liqueur pernicieuse, sur-tout pour un (9») jeune homme qui a atteint l'âge de puberté. Les autres boissons composées, comme le thé, le café, le cbocolat, doivent lui être in- terdites aussi, parce que dans l'âge où son sang est dans une agitation continuelle, il doit s'abstenir des boissons qui porteraient le ra- vage dans ses veines, et ne lui permettroient plus de modérer ses passions. Heureux celui qui, jouissant de la paix et de la tranquillité de Famé, gouverne assez ses passions pour les soumettre aux douces lois de la modération! Lorsqu'on a atteint l'âge de puberté, il faut se livrer à un exercice plus soutenu , parce que le repos auquel on se livrerait alors, engourdirait les membres, que les forces s'é- nerveraient , et que l'on tomberait en lan- gueur. Il est nombre de maladies qui n'ont d'autre source que le défaut d'exercice. Il est des jeunes gens qui, se laissant entraîner au repos par suite de cette langueur, occasionnée par le développement de la nature, conservent toute leur vie une mélancolie qui les conduit tristement à la mort. Le mouvement est absolument nécessaire pour que les fonctions de la nature se fassent sans dérangement. Il n'est pas permis de dou- ter que c'est par l'exercice du corps que s'en- (99 ) tretient la circulation des humeurs. Exami- nez un jeune homme se livrant à des jeux de paume, de balle, etc., sa respiration est plus vive, les battemens de son coeur bon t plus forts; son sang alors coule avec plus derapidité dans ses veines, et les vues de la nature sont rem- plies. L'exercice du corps, pour les adul- tes, est essentiel à la conservation de leur santé. Si l'on souffre que les jeunes gens se livrent à un lâche repos, ils seront accablés, dans Fàge où toutes les parties ont besoin de mou- vement, d'humeurs quin'aurontpu s'évaporer par les transpirations, et ces humeurs reflue- ront dans le sang. « C'est ainsi, a dit un au-*- » teur célèbre (Geoffroy), que, faute de » mouvement, l'eau d'un marais devient bour- » beuse, et répand au loin ses exhalaisons » pestilentielles. » Souvent on accuse la destinée des maux qui nous accablent, et nous ne les devons qu'à l'imprévoyance, à l'intempérance, à la mollesse et à l'oisiveté, qui engendrent la tristesse et la mélancolie. Lorsque cette mé- lancolie est portée à son comble, on a recours à Fart ; c'est en vain : on ne peut détruire les pro- fondes racines du mal. L'exercice seul eût pu E 3 ( 100 ) prévenir ces infirmités, et lui seul peut encore guérir. Quelle différence d'un jeune sybarite qui craint de s'exposer à la plus légère fatigue, à celui qui ne redoute point les exercices, même laborieux : qui a su endurcir ses mem- bres par un travail assidu, et s'est cependant soumis aux lois de la nature, qui indiquent le repos (t)! Un exercice et un mouvement modérés con- servent la force, l'agilité des membres, et même del'esprit ; vous rendent libres et dispos. C'est alors que vous jouissez d'unebonne santé. Un exercice bien entendu et habituel, vous donne une vigueur que vous n'aurez jamais, si vous vous livrez à la mollesse ; et il vous (1) N'allez pas cependant, sans règle et sans me- sure , vons accabler de lassitude. Le soleil, dont la douce influence fertilise nos champs, et couvre de fleurs nos vergers, les dessèche et les rend stériles, quand il darde trop violemment ses rayons. Les »uages qui se fondent en rosée , fécondent la sein delà terre, et reverdissent nos campagnes; taudis que les torrens de ptuie déracinent les plantes, et renversent les moissons. Il en est de même de l'exercice du corps- : il affecte les facultés; il en- traîne à sa suile les plus grands dangers, s'il est trop violent. . Geoffroy, trad. par Delaujnay. ( loi ) rendra capables de supporter les plus rudes travaux. - L'exercice fortifie les jeunes gens, les en- durcit à la fatigue, et produit ces braves mi- litaires, cette foule de héros qui ont foudroyé nos ennemis, et remporté d'immortelles vic- toires , tant à Marengo qu'à Austerlitz , et qui ont reculé si loin les bornes de l'Empire. Que la tendresse mal entendue des parens ne vienne pas alléguer la foiblesse du tem- pérament de leurs enfans, qui les empêche de se livrer aux fatigues de la guerre-, ou à tous autres exercices ; c'est à leur crainte de perdre cet enfant chéri qu'ils pourront s'en prendre, si leur fils, dans un âge où l'on peut entreprendre tout ce qu'il y a de grand, en est empêché par la mollesse de son éduca- tion , qui a efféminé tout son être, et a énervé ses forces physiques et morales. Dans ce cas même , la nature, aidée de la raison , vient encore à son secours; elle l'engage à se livrer à des exercices faciles, qui l'amèneront petit à petit à de plus considérables. Et même, s'il est dans un état inquiétant, un exercice bien entendu peut le rappeler à la vie, tant le mouvement est nécessaire pour conserver ou pour rendre la santé. « Un exercice bien C 102 ) J> pris et bien dirigé peut retirer des portes » de la mort des malheureux que toutes les y> ressources de l'art n'auroient pas même » soulagés. » Un jeune homme assez heureux pour jouir d'un tempérament robuste et d'une bonne santé, doit,-pour la conserver, prendre un exercice proportionné à ses forces ; et celui d'un tempérament foible , doit en prendre aussi pour le fortifier. La danse, les jeux de paume, les barres, les ballons, fuient in- diqués par la nature aux jeunes gens (1). En suivant ces sages lois, ils ne pourront s'égarer. Il est pourtant des circonstances où l'exer- cice abat tout-à-coup les forces qui com- ( i ) « Le plus grave personnage peutmême s'en occu* d per sans rougir. Caton, cachant un auguste enjoué- » ment sous un sérieux inaltérable, défia à la course » les jeunes gens les plus agiles. Il entra dans la lice : » il y mesura ses forces au rude jeu delà lutte; se î) délassant ainsi des travaux de l'esprit par les cxer- » cices du corps. Les Crées agissoient d'après les » mêmes principes : ils affermissoient par le mouve- » ment leur tempérament et leur santé. Ils le fai- » soient servir à détruire, à bannir, à prévenir les » m.dadies , à rappeler le repos de l'ame , à calmer » le trouble des sens. » C ioï ) mençoient à se relever, et fait retomber erï langueur celui qui en étoit déjà affligé. C'est sans doute cette circonstance qui a fait penser à bien des gens que l'exercice étoit contraire à de certains tem périmons, et qui les ont en- gagés à les empêcher de se livrer à toute espèce d'occupations qui mettraient trop en mouvement leurs corps débiles. J'aimerais autant entendre le gourmand, qui se seroit trop chargé l'estomac, .et qui souffriroit les douleurs qui sont la punition de Fin - tempérance , protester qu'il ne mangera plus. Il est incontestable que l'homme ne subsiste que par la nourriture, et il est de même dé- montré qu'il lui faut de l'exercice pour main* tenir et recouvrer la santé. S'il ne prenoit pas d'alimens , il cesseroit d'exister; s'il ne pre- noit pas d'exercice , il languiroit, et sa santé en souffriroit horriblement. Il faut bien se? persuader qu'un repos excessif ne produit au- cun heureux effet. Il est même plus essentiel pour la santé de risquer plutôt une incommo- dité de trop d'exercice, qui se guérit par un peu de repos, que de se livrer à une noncha- lance pernicieuse; et bien se persuader que tout ce qui respire ne continue de subsister C io4 ) que par le cercle perpétuel du mouvement et du repos. Il faut en général modérer toutes ses ac- tions : lorsque vous vous livrez à l'exercice,. il faut vous arrêter lorsque vous vous aper- cevez que votre sueur est trop abondante, parce qu'alors elle épuiserait vos forces ; mais en cessant de vous y livrer, gardez-vous de vous exposer au froid ; Fi m pression subite qu'il feroit sur vous, vous causerait des accidens fu- nestes , dans ce moment où tout bouillans en- core, vous vous livrez tout-à-coup au repos. — Ayez soin de vous frotter fortement pour éponger la sueur (i ), et prenez cette précau- tion dans un endroit où vous serez garantis de îa fraîcheur de l'air, et du souffle des vents. Un des plus puissans moyens de retarder la vieillesse et de conserver la santé, ce sont les bains habituels : Feau qui pénè're jusques dans les fibres les plus délicats, entretient leur (i) « Un usage qui prévalut chez les anciens, et » que les modernes ont en lièrement négligé, c'est celui » des bains froids et des frictions sèches : cependant, ï) il est incroyable quels avantages ils en retireient; » quel puissant préservatif ce leur seroit contre nom- » bre de maladies. En effet, le bain habituel ayant » la propriété de dégraisser le tissu cellulaire de la ( io5 ) flexibilité. Examinez-vous en sortant (Hu bain , Vous vous apercevrez que vos membres sont déchargés d'un grand poids : vous serez plus lestes et plus légers. Une précaution à prendre en sortant du bain, c'est de se couvrir beaucoup, afin de prévenir la trop prompte évaporation, qui vous priverait du bienfait du bain. C'étoit pour prévenir cette évaporation, que les an- ciens avoient pris l'habitude de se frotter tout le corps d'huile au sortir du bain , non-seule- ment parce que l'huile bouche les pores de la peau, mais encore parce qu'elle entretient la souplesse des membres. Tous les temps ne sont pas propres à pren- dre les bains : il faut s'en abstenir lorsque l'on se sent l'estomac chargé , lorsqu'on s'est livré à de pénibles travaux , et que les mem- bres sont accablés de fatigue. Il faut encore » pean, rend la transpiration plus facile, plus abon- » dante, et le corps plus agile et plus dispos. Enfin , » l'eau du bain fortifiant l'action des fibres, perce à » travers la peau, et procure la fonte des humeurs. » Les bains sont un doux remède contre la fureur » des maladies les plus graves et les plus rebelles, .» et donnent aux tempéramens vigoureux de nou- » veîles forces pour se défendre de la contagion. » ( ioG ) s'en abstenir, si l'on s'est livré à l'excès du vin, ou après la jouissance : sans ces précau- tions , vous courriez le risque de perdre la vie. L'incontinence et la débauche trouvent toujours leur punition. Ii est un écueil qu'un jeune homme doit éviter ; mais, comment l'y contraindre , quand la nature semble elle-même être com- plice avec lui? Cependant, beaucoup d'hom- mes ayant à peine atteint l'âge de trente ans, sont déjà dans la caducité, parce qu'ils se sont énervés dans leur jeunesse. La nature a désigné par des signes cer- tains, le temps et l'âge où la jeunesse peut s'engager dans les noeuds sacrés de l'hymen : cependant, ne vous hâtez pas d'unir un jeune homme de dix-huit ans avec une jeune fille de quinze ; leurs organes sont trop délicats : leur postérité se ressentirait de leur foi- blesse. Tous les animaux qui couvrent la surface de la terre, ne s'accouplent qu'à certains temps de l'année. L'homme seul n'a point de saison déterminée; cependant, il doit évi- ter de se livrer aux douceurs de l'hymen lorsque le froid transit les corps ; et aussi dans l'excessive chaleur. ( "7J Au retour du printemps, et lorsque la ca~ nicule commence à perdre de son activité j que les champs reverdissent pour la seconde fois; que la douce température de l'air rend la vie à tout ce qui respire , il peut remplir le voeu de la nature, et être sûr d'avoir des. enfans qui serontfortset robustes (1). Mais si vous avez à coeur la conservation de votre santé, ne vous livrez jamais au plaisir de l'hy- men lorsque votre estomac sera trop chargé- d'alimens, ou lorsque vous aurez souffert de- la faim, parce que, dans ce dernier cas, le (1) « C'est au printemps que les oiseaux chantent » leurs tendres amours ; que toutes les espèces d'aui- » maux rendent hommage à Vénus; que le belle c » poursuit la brebis; que le taureau cherche la gé- » nisse ; que le lion, cet animal farouche, s'adoucife » aux approches de sa femelle : c'est alors enfui que: » tout ce qui vit dans les différentes parties de l'imi- » vers habité, se livre aux charmes de l'amouy, e£ » que la nature entière ne respire que volupté. Les; » fleurs même, quoiqu'immobiles sur leurs- tigesr » brûlent de ces feux, et forment entr'elles de-doux; » liens j les étamines épanchent dans le sein de lai » fleur une poussière mâle et prolifique; le pisùE, » par un sentiment secret d'amour, se dilate pouii tea. » recevoir ; et c'est ainsi qu'à leur manière elles- cow- ». tractent une véritable union, tant est grattas- la. » puissance de Vénus dans lasaisou^duprûit^mj;-;*.» ( 108 ) besoin vous exténuant, vous ne donneriez la vie qu'à un être foible et languissant. Si votre estomac est trop chargé, le danger devient imminent pour vous. L'on a .vu, à la honte «le la raison, des hommes qui, dans des par- ties de débauche, passoient des excès de la table aux excès du libertinage, être surpris par la mort (i . Ce n'est pas assez pour maintenir sa santé, de choisir les temps propres à se reproduire ; il.fuit encore contenir ses désirs, et réprimer tellement ses passions, que jamais on n'ait à souffrir de ses indiscrétions, et que les excès n'abattent point les forces. La raison et la connojssance de vos forces peuvent vous guider; mais n'oubliez jamais qu'il faut assez vous modérer pour que votre santé n'en soit point altérée. Si vous voulez réfléchir un moment aux avantages que vous retirerez d'une tempé- rance bien entendue, et aux maux qui vous (1) Un des courtisans de Lonis XV, en sortant de souper aux petits apparlemens du roi, fut trouver son épouse : il voulut ionir du droit d'époux, et mourut dans ses bras. Elle resta enceinte ; et l'en- fant , quoique le père et la mère fussent d'une forte constitution, étoit foible et languissant. i 109 ) accableront si vous vous laissez entraîner aux passions et à la fougue des sens, vous ne balancerez pas sur le parti que vous aurez à prendre. De combien d'infirmités n'est pas accablé celui qui, sans cesse , est en bute aux désirs , et s'y laisse entraîner ? la perte des grâces du corps et des agrémens de la figure sont les moindres maux qui l'attendent. Ses yeux perdent de leur vivacité, sa tête se dégarnit ; il éprouve des douleurs aiguës , et il est tout- à coup privé des plaisirs auxquels il s'est livré avec intempérance. Une suite de maladies vient mettre le comble à son infortune. Heureux encore si la dé- bauche ne l'a pas entraîné dans ces asiles où toute pudeur est bannie, et où la jeunesse va puiser la mort en donnant la vie! Réellement, la mort est préférable à cet état de langueur; car il ne faut pas se dissimuler que les maux provenant de ces débauches affaissent l'esprit, qui décroît insensiblement, n'est plus capable de grandes conceptions, et qu'une vieillesse prématurée accélère le moment de la des- truction des forces morales et physiques. Au contraire, si vous êtes tempérans, vous jouissez de toutes yos facultés : votre esprit ( no ) est libre et propre à tous les travaux ; votre corps est robuste et sain ; une force mâle se trace sur votre visage, et remplace les grâces de la jeunesse; vous parvenez à une longue carrière sans infirmités et sans remords; et vieux, vous semblez être encore jeunes. Autant la raison condamne les excès, au- tant la nature commande les plaisirs modé- rés des sens, même pour la santé (i). Le sage doit rechercher les chastes nœuds de l'hymé- née dans hâ embrassemens de son épouse, il (1) « Jetez les yeux sur cette jeune vierge : voyez » comme la pâleur couvre son visage attristé ; comme » le feu secret d'une fièvre lente la consume , la ré- » duit insensiblement à l'état de langueur! De com- » bien de symptômes différens de maladie son corps » est affligé! Tantôt, ce sont des convulsions af- » freuses qui lui ferment les voies de la respiration ; » tantôt, c'est un tremblement irrégulier qui saisit » tous ses membres ; ses lèvres se fannent, ses yeux » secavent; leur feu s'éteint; sa voix tremblante » et foible n'articule que des paroles entrecoupées. » Cependant, que celte même personne, mûre » pour les plaisirs de l'hymen, s'enchaîne sous son » doux esclavage, bientôt les lys et les roses prennent » sur son visage la place de la pâleur ; ses. membres » contractent de la vigueur et de l'embonpoint j » toutes ses grâces renaissent avec elle. Enfin, celle ( 111 ) trouvera le soulagement de ses maux : la joie et la concorde régneront au milieu d'eux. De la tempérance, de la joie, et la santé est ra- rement affectée. Il est des parens qui, lorsque leurs enfans ont atteint l'âge de puberté, craignant que les passions ne parlent impérativement, ont recours à des caïmans qui engourdissent les sens. Ce préservatif peut faire beaucoup de mal, et arrêter la croissance. J'ai connu un jeune homme, bien cher à ses parens, qui, effrayés par Finconduite des jeunes hom- mes de l'âge de leur fils, eurent recours au nénuphar, nymphœa (1), et aux quatre se- » nymphe, qui peu de temps auparavant s'aehe- » minoit tristement vers le tombeau, brille de tout » l'éclat de la jeunesse et de la beauté. Les plaisirs » du chaste hymen ont fait glisser dans ses veines » un feu qui l'a rendue à la vie. » « ( i) Irrité des mépris de la déesse des forcis, Car » pidon prit un jour ses armes , banda son are , saisit » une flèche, et visa droit au cœur de son ennemie. » Le trait vengeur fend les airs, vole à son but, » paroît inévitable. Il n'atteignit cependant point » Diane : un mouvement qu'elle fit à propos le lui » fit éviter; mais le coup porta. La flècbe enflammée » alla percer le sein d'une des nymphes de la déesse. >) Elle brûle, elle nourrit dans son cœur un fea ( HO menées froides. Ils lui donnèrent la mort en cherchant à conserver sa vie ; tant est forte l'action des simples et des végétaux. Si vous voulez que votre postérité soit forte et vigoureuse, ayez soin que les unions de vos enfans soient bien assorties. Ne donnez point à un vieillard une jeune fille. Le vieillard qui subit les lois de l'hymen, et qui veut jouir » secret, une ardeur inconnue. Que fera-t-elle? » Hélas ! un aveugle désir lui fait la loi d'une part; » une sévère pudeur la relient de l'autre......... » O pudeur! s'écrie t-e!le, toi, l'ornement le plus » précieux et le plus beau d'une nymphe! Si mon » esprit est coupable envers toi d'un sentiment qui » t'offense, mon corps est encore innocent ; que »> celte victime suffise à ta colère; que cette onde » pure me lave d'un crime que je conçus malgré » moi, que ma volonté rejette avec borreur. Elle » dit, et levant au ciel ses yeux noyés de pleurs, » elle se précipite dans l'abîme des eaux. Le rivage » relenlit des cris douloureux de ses compagnes ; la » troupe des dryades gémit sur son sort : Diane elîe- » même déplore la destinée de cette vierge malbeu- » reuse, et ne permet pas que les flots la submergent. » Elle cbange son corps flottant sur l'onde en une )> fleur d'une blancheur éclatante. Sa lige maies- « tncus" ctt entourée de larges feuilles du plus » beau vert; elles eaux qui l'environnent semblent » par leur calme et leur silence respecter sa Iran- ( n3 ) de ses bienfaits, tente tous les moyens pos- sibles pour ranimer sa chaleur éteinte : et si par hasard il vient à naître des enfans de cet hymen mal assorti, ils seront infirmes, dif- formes, et, dès leur enfance, ils seront atteints de la décrépitude de leur père. CHAPITRE VIII. Du Danger de se livrer au Sommeil dans les Champs. Dangers que l'on court par l'usage des Phases de plomb et de cuivre. Maux qui peuvent résulter d'une Habitation nouvellement bâtie. J 'ai déjà tâché de démontrer combien l'exer- cice habituel du corps est essentiel pour le maintien de la santé. Je vais faire en sorte de » quillité. La déesse , en lui donnant le nom mémo- » rable de nymphœa, voulut la rendre fameuse par » des vertus nouvelles et particulières; elle voulut » que, puisque la sage nymphe qu'elle representortr » avoit éteint dans le froid élément les feux devorans » de l'amour, son suc eût la propriété de calmer les » fureurs , d'émousser les traits du redoutable fils de » Vénus.......Voilà comment, ô Cupidon, ta ruse » et tes artifices sont demeurés sans effets.......Une » humble plante met des vierges foibles et timides à » couvert de tes embûches. » ( n4 ) prouver que le repos ne peut, dans aucun temps, être aussi utile, sur-tout si l'on s'y livre sans modération , et dans des lieux qui puissent être contraires à la santé. L'excès d'exercice est moins pernicieux que l'excès du repos, parce que, si vous vous êtes livré a un exercice outré, un peu de repos et des rafraîchissemens vous rétabliront prompte- ment; tandis que si vous vous êtes abandonné à la mollesse, il vous faudra faire des efforts incroyables pour vous remettre à vos tra- vaux; vos membres engourdis par le repos auront perdu de leur souplesse, et le travail le moins pénible vous affaissera ; accidens que vous préviendrez, si vous réfléchissez que le mouvement perpétuel facilite la circulation des humeurs. ' Ce ne sont point, absolument parlant, les villageois que l'on peut accuser de paresse: la nécessité les force de mener une vie ac- tive, dont leur bien être est la source; néan- moins, même au village, il est des temps de l'année où les hommes (seulement) s'a- bandonnent trop aux doux charmes du som- meil ; et lorsque les premiers beaux jours les rappellent aux champs, qu'ils sont obligés de se livrer de nouveau à un exercice dont ils ( n5) on tpour ainsi dire perdu l'habitude, ils sont foibles et mous ; le travail le moins pénible les abat. A peine ont-ils passé deux heures dans les champs, que leur sang engourdi les plonge dans le sommeil; ils s'abandonnent à ce charme irrésistible : le bord d'une mare, un fossé, l'herbe tendre des prairies, se trans- forment pour eux en un lit excellent ; et là, ils aspirent le germe des maladies qui les acca- blent au printemps. A cette époque des sai- sons, la terre reçoit, ainsi que tout ce qui respire, les douces influences de l'astre lu- mineux qui vivifie toute la nature. Elle est, ce qu'on nomme vulgairement, en amour ; elle exhale des feux, et par une attraction nécessaire, elle répand sur l'homme les exha- laisons qu'il en a reçues. Le danger de dormir dans les champs ne sauroit être trop prévenu. D'abord, la cha- leur des rayons du soleil qui dardent sur tout votre être, peut produire des maux incal- culables. Le soleil pompe de votre corps , comme de tous les végétaux, le fluide qui vous maintient en bonne santé, et qui est né- cessaire à la circulation de votre sang qui, sans cette fluidité, cet humide qui facilite sa cir- culation , causeroit dans toute votre personne C ne ) de grands ravages. Les rayons du soleil, lors- qu'il est au plus haut de son cours, ont une telle force, qu'ils peuvent vous afToiblir la vue pour le reste de votre vie. N'a-t-on pas vu aussi des hommes assez imprudens pour travailler la tête nue à un soleil ardent, et éprouver des maux de tête assez violens pour en avoir les organes de la raison affectés ? Si, pour vous garantir de l'ardeur du so- leil , vous allez vous reposer à l'ombre des haies qui bordent ordinairement les mares, calculez les autres maux qui vous attendent. Il est démontré que toute eau dormante répand des émanations nuisibles ; et elles sont encore plus à craindre lorsqu'elles sont échauffées par le soleil : l'inaction où vous êtes pendant votre sommeil ne vous laisse point l'espoir que le mouvement fera chan- ger la direction des vapeurs émanées de cette mare : vous les aspirez toutes, et vous pouvez à l'instant en être asphixié. Il est possible aussi que la mare où vous reposez ait été recurée pendant l'automne , et que la vase qu'on en a tirée soit restée autour, ce qui répand dans l'air des miasmes malfai- sans, et qui influeront beaucoup sur vous pendant la durée de votre sommeil. ( il? ) Si c'est dans une prairie que vous vous étendez , outre l'humidité de l'herbe qui se communiquera à tout votre être, l'odeur des herbes (qui sont dans la forcedeleur pousse), comprimée par le poids de votre corps , et ne pouvant plus s'exhaler dans l'air, vous cau- sera un engourdissement, quelquefois assez fort pour vous faire tomber dans un état de léthargie. J'ai vu un homme prêt à perdre la vie, pour s'être endormi dans un champ de trèfle. Un autre danger non moins à redouter, c'est la piqûre des insectes malfaisans. Pour éviter tous ces accidens, il faut se main- tenir en exercice, même l'hiver, afin que le corps n'en ait pas perdu Fhabitude au printemps; et que vous ne soyez pas forcé, pour réparer vos forces abattues par le trop de repos où vous vous serez abandonné , d'avoir recours encore au repos , et de vous y livrer dans tous les lieux où vous vous trouverez. Si vous négligez de vous garan- tir du sommeil dans les champs, vous finirez indubitablement par éprouver les maux que je viens de décrire. Une chose que les hommes doivent évi- ter , c'est d'enfermer leur tabac à fumer ( n8 ) dans des boîtes de plomb. Le tabac est sus- ceptible d'une humidité qui le fait fermen- ter ; et. lorsqu'il est en fermentation , il attaque le plomb, et en détache une chaux malfaisante. Ceux qui font usage de la pipe, avalent de la fumée, et avec elle la chaux de plomb. Cela peut causer des spasmes, "des coliques, des diarrhées , et troubler la diges- tion. Si cela est dangereux pour le tabac à fumer , à plus forte raison pour celui que l'on mâche. Le danger est moins grand pour ceux qui n'en usent que par le nez ; mais l'usage du tabac est devenu si général, qu'on ne sau- roit trop recommander d'éviter de l'enfer- mer dans des vases qui peuvent le rendre dangereux. Il est même des vases de faïence qui ne sont point à l'abri du reproche qu'on fait au plomb , parce que l'émail qui les cou- vre est trop souvent le produit des chaux de plomb. Le grès sans vernis, et le verre, sont les matières les plus propres à conser- ver le tabac, sans craindre des résultats mal- faisans. Les moyens pécunieux des habitans de la campagne, ne leur permettant pas de faire étamer souvent leurs ustensiles de cuivre, C 119 ) ils doivent s'abstenir d'en avoir, parce que le beurre, le lait, les corps gras , les huiles, séjournant assez peu de temps hors du feu pour ne plus être en ébullition, peuvent être tout à coup transformés en un poison d'autant plus violent, que les parties cuivreuses passent rapidement dans l'estomac. Ce sont sur-tout les petits enfans qui sont encore plus exposés que les personnes déjà d'un âge fait, parce qu'étant plus foibles et plus délicats, ils sont plus susceptibles d'être incommodés de l'u- sage pernicieux de ces ustensiles; et toujours les nourrices font la bouillie de leur nour- risson dans un chaudron de cuivre jaune, qui, par sa nature, n'est jamais étanié. Qu'on juge du danger de ces petits êtres sans dé- fense, à qui la négligence peut à chaque instant du jour, inoculer le poison le plus dangereux ! Beaucoup d'enfans sont sujets à des coliques, qu'on peut raisonnablement attribuer à l'usage de préparer leurs alimens dans du cuivre. Les habitans de la campagne mettent ra- rement leur vin et leur cidre en bouteilles. Dans les fermes, où il est de l'intérêt des fermiers d'avoir des provisions de toute es- pèce , ils ont aussi du vinaigre en baril ; et ( 120 ) les pièces de vin, de cidre, de vinaigre, ont toutes des canelles de cuivre. Quand on considère combien Fusage des vaisseaux de cuivre est pernicieux pour la santé , on ne sauroit trop recommander leur suppression. Ce qu'il y a de certain, c'est que sans une précaution scrupuleuse , l'on éprouve toujours d'une manière plus ou moins forte, les effets du cuivre dissous, ou réduit en vert-de-gris. . Les effets malfaisans du cuivre sont connus depuis long-temps; et les accidens qu'il a occasionnés n'ont pas corrigé de son usage, tant est grande l'indifférence de l'homme sur les moyens de se préserver des maux qui l'entourent. r Le baron de Schœfer ( Suédois ) a eu le bon esprit de déterminer le Gouvernement suédois à interdire Fusage du cuivre, pour la préparation de tout ce qui entre dans le corps humain. La reconnoissance publique lui a élevé une statue de ce métal. En France, seulement dans les environs de Paris, l'on a proscrit les vases de cuivre dans lesquels on apportoit le lait de là cam- pagne; mais dans presque tous les départe- mens de l'Empire, les pots au lait sont en cuivre, ( 121 ) cuivre, et par-tout le danger est imminent. Si les habitans de la campagne veulent se prémunir contre les coliques dangereuses, le» spasmes, le mal-aise, qu'ils renoncent aux us- tensiles de cuivre, et qu'ils y substituent des marmites de fonte, et des casserolles en fer battu : il faut que leurs pots au lait soient en fer-blanc, et ils seront préservés de beau- coup de maladies dont ils ignorent la pre- mière cause, qui est toute enliére dans l'u- sage des ustensiles de cuisine en cuivre. Ayant conçu cet Ouvrage pour prévenir les habitans de la campagne des dangers qui les entourent, je ne puis trop leur recomman- der de renoncer à l'usage des vaisseaux de cuivre. A la campagne, encore plus que dans les villes , on est exposé à des maladies prove- nant de l'habitation des maisons nouvelle- ment bâties. Il n'est pas rare de voir des paysans, dans la même saison, bâtir et ha- biter leur maison ; et il n'est pas plus rare de les voir impotens, accablés de rhumatismes, de maux d'yeux, de fraîcheurs, tomber en langueur et mourir. Ce n'est rien de mourir; mais des années entières, passées dans les souffrances, ren- p ( 122 ) dent la vie insupportable. Il est donc prudent, pour éviter ce malheur, de n'habiter sa mai- son qu'après un temps assez long, pour que les murs soient entièrement sèches ; parce que l'humidité qui s'évapore des murs nouvelle- ment bâtis, est plus froide, comparativement, que la chaleur du corps n'est forte ; qu'elle supprime la transpiration; et qu'on ne sau- roit trop se pénétrer de ce principe, que l'ab- sence de la transpiration est la source de toutes les maladies. Les Romains, beaucoup plus sages que nous, avoient fait une loi qui défendoit d'ha- biter les maisons neuves avant trois années révolues. Il seroit à désirer qu'on en fît une en France, qui défendît à tous propriétaires d'habiter ou de louer leurs maisons avant un an ou dix-huit mois. Ce temps suffiroit, parce que les constructions sont plus légères, les murs moins épais, et que conséquemment Us sèchent plus vite. Beaucoup de personnes pensent que d'allu- mer du feu dans des maisons neuves, remé- die aux accidens que les plâtres trop frais peuvent occasionner. Elles sont dans une grande erreur : quand on feroit du feu pen- dant plusieurs jours, cela ne dessécheroit C 123 ) que de quelques lignes la surface dqs murs ; • et l'humidité intérieure étant concentrée, ressortjroit avec glus de force, lors d'un dégel ou d'un; temps pluvieux. . ..v C H A PI T R E I X. . De VAsphixie et des Moyens de s'en garantir. Du Danger de l'usage .des Chaufferettes. Lja nécessité de suppléer au bois par d'autres combustibles, étapt presque généraie>j il est de la plus'grande nécessité de démontrer aux habitans des campagnes les dangers aux- quels ils s'exposent, en ne prenant pas les précautions nécessaires pour se garantir des vapeurs qui s'exhalent de ces combustibles. Lorsque plusieurs personnes sont rassem- blées dans un petit endroit où l'air n'est point assez renouvelé, il est déjà très-mal-sain par lui-même; que serait-ce,usi des miasmes, qui s'échappent des tourbes, des charbons de terre, venoient encore enfumer l'habita- tion ? L'on peut courir le danger d'être as- phixié, parce que l'air se trouvant chargé de F 2 ( 124 ) Tapeurs malfaisantes, devient incapable de servir à la respiration, qu'il agit fortement sur les neifs, et fait tomber en syncope, si l'on ne prend les précautions nécessaires pour pa- rer à cet accident. Le charbon, la braise, sont très-préjudi- ciables, et peuvent causer un saisissement qui suspend à l'instant toutes les fonctions de la vie. ïl est même aussi des espèces de bois qui répandent une odeur très-malfaisante. Les habitans de la campagne sont dans l'usage de demeurer dans des bas qui sont humides et froids : leurs logemens, trop sou* vent, sont près des trous à fumiers; la porte de leur cave donne dans leurs chaumières. L'on sait que les vapeurs des lieux profonds sont plus dangereuses dans les froids, que lorsque l'atmosphère est tempéré. Ils ont de plus, l'habitude de brûler de l'huile ou autres substances grasses, qui répandent une fumée très-dangereuse, sur-tout dans des lieux resserrés, dans des chambres obscures ou tous autres endroits où l'air a peine à se re- nouveler. La fumée du foyer peut encore, si elle est considérable , être une cause d'asphixie • on Cn a eu la preuve dans une carrière, où des ( 125 ) ouvriers avoient allumé du feu ; ce qu'ils bru- loient ayant causé beaucoup, de fumée, ils y périrent presque tous. Ii faut bien se pénétrer de cette véritét que nous ne vivons en bonne santé, qu'en respirant un air pur et frais. L'hiver, souvent une famille nombreuse est réunie auprès d'un foyer rempli de bois odorant (1), ou de tourbes, ou de charbon de terre. J'en ai vu , en Normandie, s© chauffer avec du marc de cidre. Il n'est pas question ici de les empêcher de se servir de ces combustibles, qui remplacent le bois , mais de les engager à prendre les précau- tions nécessaires pour que les dangers les plue grands ne viennent pas les assaillir. Il est démontré que, plus il y a de per- (1) « Il est infiniment plus économique et plus sa-* » lutaire de s'habiller assez chaudement pour 'avoir » pas froid, en se tenant un peu éloigné du feu, que » d'avoir besoin d'en être très-près; car alors, outre » la dépense d'un plus grand feu , on respire un air » cbaud, sec, malfaisant, et qui nuit plus ou moins » à la vue ; qui, souvent, met en sueur et fait ris- » quer de s'enrhumer en allant à l'air dans cet e'iat ; » une personne bien vêtue ne coiut point ces ris- » ques. m ■( i *6 ) sonnes rassemblées dans un inertie lieu, plus Fair est dhârgé d'émanations' dangereuses; et qu'il devient méphitique, s'il n'est point renouvelé. Une chose qu'il est aussi très- essentiel, pour les habitans de la campagne, d'éviter, c'est de mettre leurs alimens sur des planches exhaussées , dans l'endroit où ils se rassemblent pour leur veillée, parce que ces alimens s'imprègnent de Fair cor- rompu, et qu'ils leur font le plus grand mal. Souvent des fièvres opiniâtres, des maladies de langueur, ont pour premier principe le manque de précaution qu'on doit apporter pour se maintenir en bonne santé. J'aime mieux qu'on m'accuse d'éffrâyer les habitans de la campagne, par le récit des maux que je leur fais envisager, que de les laisser dans l'ignorance de ces mêmes maux, sans leur indiquer les moyens de s'en garantir : mais revenons à Fasphixie. Il est rare que tous ceux qui sont rassem- blés dans un petit endroit, et chauffé avec ces matières combustibles, soient asphixiés en même-temps. Dans le nombre , il s'en trouve de plus forts, qui ne sont pas atteints aussi subitement: il faut que ceux-ci ouvrent la porte à l'instant pour renouveler Fair, et qu'ils ré- ( 127 ) pandent de Feau avec profusion; Feau étant le véritable spécifique contre Fasphixie occa- sionnée par les vapeurs des combustibles. Ce qui est encore plus important, c'est de prévenir le mal; car si vous attendez que les vapeurs aient assez accablé les assistans pour qu'ils aient perdu connoissance, il faut alors avoir recours aux personnes de Fart pour ad- ministrer les remèdes qui, quelquefois, sont infructueux. Vous préviendrez ces accidens, en ayant un grand vase rempli d'eau, et même en en répandant dans la pièce. Souvent aussi, vous courez le risque d'être asphixié si, imprudemment et sans vous être munis de préservatifs, vous entrez dans un endroit où Fair étouffé et chargé de vapeurs malfaisantes aura asphixié plusieurs per- sonnes. Si, poussé par un sentiment d'hu- manité bien louable , vous allez à leur se- cours, ne pénétrez pas dans l'endroit où ils sont, qu'après vous être parfumé de vinaigre, et ayant un vase rempli d'eau, pour en ré- pandre , et redonner à l'air l'humidité né- cessaire pour le rendre moins épais. Il est d'autres endroits où les mêmes dan- gers existent, et où vous pouvez craindre également d'être aSphixiés; ce sont les cel- ( ta8 ) liers, lorsque le vin est en fermentation. Il est imprudent d'y tenir tout hermétiquement fermé : les endroits où sont les cuves à bière, à cidre, sont aussi très-dangereux, et il faut bien prendre attention de n'y pas rester trop long-temps. Il est essentiel de sortir de ce lieu pour renouveler l'air dans les poumons ; sans quoi, l'on seroit suffoqué. ' Dans beaucoup de cantons , autres que la Bourgogne et l'Orléanais , où la culture principale est la vigne , on est assez dans Fu- sage ( soit par le défaut de local, soit pour que les marcs soient plus échauffés) de faire cuver le vin dans des caves : rien n'est aussi périlleux, parce que, comme je viens de le dire, les vapeurs des endroits profonds sont plus dangereuses que celles dont on peut être atteint, même en plein air : alors, la fumée du vin en fermentation , jointe aux vapeurs malfaisantes du local, peut, en peu d'instans, asphixier tous ceux qui s'y trouve- roient renfermés. Il est peu de moyens de parer à cet acci- dent : la difficulté d'établir un courant d'air dans une cave, est presque démontrée; et même, pour qu'il en existe moins, les habi- tans de la campagne ont la mauvaise habitude ( îsg ) de boucher les soupiraux des caves, et d'en garnir les portes avec de la paille : qu'on juge alors de tous les miasmes malfaisans qui s'y répandent ; et qu'on calcule les dan- gers qui en peuvent résulter : cela pourra engager à les prévenir. Si les hommes réîléchissoient qu'à chaque pas qu'ils font, ils peuvent par leur impru- dence courir des dangers, ils apporteroient plus d'attention, et préviendroient les maux qui trop souvent, hélas! les rendent infirmes etimpotens. Cet état, pour un homme qui n V point d'aisance, est pis que la mort. II est une chose à laquelle les femmes de la campagne ne font pas assez d'attention ; c'est aux chaufferettes. Elles les emplissent de poussier de charbon ; et à peins est-ii allumé, qu'elles le mettent sous elles. Cette manière de se réchauffer est at- trayante, mais pernicieuse. Comment oser entreprendre de réformer un tel usage, sur- tout quand il est autorisé par le temps ? N'ir: porte, je vais l'entreprendre, et démon- trer co ubien ^es chaufferettes peuvent causer d'ar. • ,ns pour la santé des femmes. F est bien prouvé q ue la position que prend la feu. un , lorsqu'elle s'assied au dessus de F* ( iSo) la chaufferette, peut lui occasionner les plus grands maux : la chaleur factice qui s'élève insensiblement dans le vide des habillemens, ne chauffe que les parties intérieures, et se fait sentir trop fortement sur les parties gé- nitales. L'on sait que la trop grande chaleur ouvre les pores et fait perdre à la peau son élasticité naturelle; qu'elle produit une trans- piration trop abondante, et occasionne des pesanteurs de jambes, qui sont très-com- munes aux personnes habituées à se servir de chaufferettes ; il en résulte aussi des varices (î), dont beaucoup de femmes se plaignent. Lorsqu'on s'est habitué à la chaufferette, l'on éprouve alternativement du chaud et du froid , et cela peut occasionner des engelures. Le docteur Jacob Meneghelti, assure que « les effets de la chaufferette sont dan- » gereux, qu'elle irrite les nerfs, leur oc- (1) « Les varices sont des veines pleines de sang î) grossier, mélancolique, qui les dilate, et qui y » demeure trop long-temps, faute de circulation. On m prend , l'hiver, des varices aux jambes , lorsqu'on » s'approche trop, et trop long-temps auprès du » feu ; et aux cuisses; lorsqu'on fait usage de chauf- » fereltcs. » ' ( i3i ) » casionne une sensibilité excessive , et que )) cette sensibilité relâche les fibres et cause » des avortemens et des fleurs blanches qui » résistent à tous les efforts de la médecine. » « J'ai vu, dit M. Jean Georges Zimmer- » mann, des femmes attaquées de vapeurs )) histériques ou tomber en de grandes foi- » blesses, dans de fréquens évanouisse- )) mens, et avoir des diarrhées qui ne finis- » soient que lorsque le temps doux étoit » revenu, et que les femmes attaquées de. » ces maladies quittoient leurs chaufferettes )) Une des choses les plus fâcheuses qu'é- » prouve la plus grande partie des femmes » au moment où elles se servent de la chauf- » ferette, est celle de se rendre extrême- )> ment sensibles à toutes les impressions de » l'atmosphère, dont elles prévoient les » changemens par l'état de leur santé. Cela » est si vrai, que j'ai pu m'en assurer dans » plusieurs assemblées, où quelques femmes » faisoient usage des chaufferettes. Lors- » qu'elles les retiroient de dessous elles, je )) les voyois pâlir sur-le-champ et être prises » par un frisson qui les faisoit bégayer. )) Les femmes tombent dans la plus grande » erreur, lorsqu'elles croient que l'usage de ( i32) • )) la chaufferette est le vrai moyen de résis- » ter plus aisément à l'impression fâcheuse » du froid ; c'est au contraire le moyen » d'être dans une convulsion continuelle (1). » (î) Je fus un jour consulté pour un cas particu- lier. Une jeune femme se plaignoit d'une grande fa- cilité qu'elle avoit d'avorter, toutes les fois qu'elle devenoit grosse, dans le fort de [hiver, nonobstant que de son aveu elle mettoit en usage toutes les pré- cautions que l'on doit prendre dans de telles cir- constances. Après un mûr examen sur la cause d'un phénomène aussi fâcheux, j'ai conclu qu'on pouvoit l'attribuer, avec fondement, à l'usage de la chauffe- rette : en fomentant les parties génitales par une forte chaleur, il devoit nécessairement en résul- ter que le concours du sang , dans l'utérus , se faisoit fort irrégulièrement, et qu'en y abondant, il pou- voit y exister une hémorrbagie dont l'avortement est presque toujours la suite. M. Tissot, dans son Essai sur les Maladies des Gens du Monde , parle d'une femme qui, étant grosse de trois mois, avorta douze fois au bout des chaque trois mois, sans avoir j)u passer ce temps critique. Mais en reprenant le fîl de mon observation, je dirai que la femme , qui en a fait le sujet, ayant abandonné la chaufferette , mit au monde, à terme, tous le* enfans qui succédèrent à celte époque. Alors je reconnus avec satisfaction que je ne m'étois pas trompé. Jacob Mknjgohetti, ( 133) Tous ces accidens devroient corriger les femmes de se servir de chaufferettes, sur- tout celles qui font usage d'un vase dé- couvert , et où conséquemment l'ardeur du feu qu'il contient est plus vive; elles peuvent même en être asphTxiées, si, comme cela est en usage à la campagne, elles emplissent les vases avec de la braise de four. Les accidens provenant de la braise et du charbon sont si multipliés, qu'on ne sauroit trop mettre sous les yeux de ceux qui en font usage, le récit des maux qui en peuvent résulter. A la campagne, beaucoup de personnes ont des fours dans leurs maisons, et gardent, l'été, la braise qu'elles font, pour la consomma- tion de l'hiver. Elles doivent prendre les plus grandes précautions lorsqu'elles serrent cette braise, quoique bien éteinte, et sans qu'il y ait aucun danger pour le feu; si elle n'a pas été exposée à l'air, et que tous les miasmes qu'elle renferme ne soient point évaporés, elle peut occasionner les plus grands malheurs. Tous les gens de la campagne ha- bitués à conserver de la braise, devroient sa- voir par cœur l'accident affreux qui arriva à ce boulanger de Chartres, qui perdit ses deux fils, sa femme et sa servante, pour être ( i34 ) entrés sans précaution dans une cave où ils avoient imprudemment entassé de la braise du four. Deux personnes qui entrèrent sans avoir pris des précautions, pour porter des secours à ces malheureux, y périrent de même. L'année dernière, à Brie-sur-Hières , une jeune personne de dix-huit ans, ayant mis du charbon dans un cilindre pour chauffer une baignoire, fut asphixiée, et tel secours qu'on lui portât, on ne put la rappeler à la vie : le cilindre, cependant, n'étoit pas dans la chambre où elle étoit couchée; mais ayant eu l'imprudence de laisser la porte de communication ouverte, la vapeur du char- bon la fit mourir. De la braise l'eût encore atteinte plus tôt, parce qu'elle est plus perni- cieuse que le charbon (1). Ceux qui sont forcés de prendre des bains pour leur santé ou pour leurs jouissances (1) A Glatigny, près Versailles , madame la com- tesse de Béthune avoit une maison où elle passoit la majeure partie de l'année. Un hiver , qu'il faisoit un froid excessif, plusieurs de ses gens se réunirent pour coucher dans la même chambre, et y portèrent une grande poêle remplie de braise de four. Le lende- main , on les trouva tous morts, ( i35 ) particulières, doivent éviter de se servir de cilindre; s'ils n'ont point de baignoires à tuyaux, ils doivent faire chauffer Feau dans des chaudrons; ils éviteront les accidens sans nombre que le cilindre occasionne, et ne se- ront point incommodés par la vapeur que le charbon et la braise auront répandue, quoi- qu'on ait pris la précaution de renouveler l'air après avoir ôté le cilindre. CHAPITRE X. Danger de laisser des Alimens dans des Vases d'Etain ou de Plomb. Des Maux occasionnés par le Plomb et la Litharge dans le Vin, VEau-de-Vie, la Bière et le Cidre. L>e n'est qu'en prenant les précautions in- diquées par la prudence, qu'on peut espérer de se garantir des maux qui viennent fondre sur nous. Peut-être me dira-t-on, pour nous main- tenir en bonne santé : vous nous rendez crain- tifs sur tout ce qui nous entoure; ce n'est pas vivre que d'être toujours en défiance. ( iS») Je répondrai, ce n'est pas vivre que d'être continuellement dans des souffrances qui rendent notre existence insupportable; les moyens que je vous indique pour vous mainte- nir en bonne santé et pour prolonger la durée de votre vie, sont si simples et vous astrei- gnent si peu, que vous seriez vos propres ennemis, si vous dédaigniez de les employer. Si dans une route que ^ous parcourez, on v ou si ndique un précipice ou des passages dangereux, vous yous détournerez, au risque de doubler votre course pour éviter le péril qu'on vous aura indiqué ; vous vous applau- direz ensuite d'avoir suivi ce conseil salutaire ; cependant, ce n'est qu'un péril passager, et tous les jours la mort vous entoure par vos im- prudences : évitez donc de commettre ces imprudences, si vos enfans vous sont chers, parce que votre conservation est nécessaire à leur bonheur et à leur existence. Les habitans de la campagne un peu aisés, affichent une espèce de luxe dans leurs plats d'étain, brocs, gobelets , assiettes , etc., etc. L'étain très-pur n'est point malfaisant; mais si le fabricant n'a calculé qu'un intérêt sordide, et a mêlé trop de plomb, ou de cuivre pour le rendre plus dur, il sera très- ( 137 ) dangereux. Pour fabriquer Fétaîn,il faut une quantité déterminée d'arsenic , de bismuth ; si l'on passe cette quantité, les vases d'étain deviennent très-nuisibles , de même dans les ustensiles de cuivre que l'on fait ré- tamer. Si le chaudronnier emploie plus de plomb que d'étain, cela est très-préjudiciable à la santé. L'étain dans lequel on a fait entrer trop de plomb pour sa composition, est mou et pliant; s'il y a trop de cuivre, il a une cou- leur rougeâtre ; dans ces deux cas, il faut éviter d'y laisser séjourner des alimens, patce que les émanations qui s'échapperoient du plomb et du cuivre, causeront des coliques douloureuses , et dont les suites pourroient être funestes. Le plomb se dissout par les substances sa- lées , par les corps gras, et même par l'eau. Si elle contient des matières étrangères, ce plomb dissout par ces substances, s'intro- duit dans l'estomac, et, quoi qu'en petite quan- tité, il y agit comme poison, cause un resser- rement au gosier, ôte l'appétit, donne des vomissemens, et souvent aussi occassionne les coliques cruelles connues sous le nom de cû- liques de peintre. ( i38 ) Le vin, Feau-de-vie, la bière, le cidre^ l'huile, le vinaigre, qui ont séjourné dans des vaisseaux de plomb ou même d'étain, si l'étain contient trop de plomb, deviennent très-dangereuses. Puisque le séjour momentané de ces bois- sons dans des vases d'étain ou de plomb, peu- vent être aussi nuisibles, que serait-ce des ma- tièresdeplomb,delithargequ'onrapeetqu'on met dans le vin pour lui ôter sa verdeur et le rendre plus doux ? Ceux qui ont pu donner ces conseils, ignoroient sans doute que ces mélanges composent de véritables poisons ( î ). Les marchands qui emploient ces matières, dévoient être punis sévèrement. J'ai vu dans des fermes, lorsque les tables de cuisine se fendoient, pour éviter qu'elles ne s'ouvrissent entièrement, couler du plomb (1) « On reconnoît, lorsque le vin et le cidre sont » altérés par la litharg'e, à leur saveur doucereuse. » On assure aussi que l'on reconnoît l'eau dansla- » quelle il y a du plomb, à la couleur violette, rose » ou lilas qu'elle prend , quand on y verse quelques » gouttes d'argent par l'acide nitreux. Quand cette » épreuve ne seroit pas certaine, les gens prudens » feront bien de ne pas user des eaux qu'elle ac- » cuse. » ( i3g ) dans les fentes. L'on nesanroit trop défendre cri emploi du plomb ; car les viandes, herbes, ou tout autre chose qu'on hache dessus, s'imprègnent de petites particules de plomb. S'il arrive que des vases d'étain ou de cuivre , par le long temps qu'on s'en sera ser- vi, aient besoin d'être raccommodés, il faut avoir soin que les soudures soient suffisa- ment amalgamées d'étain ou de plomb, afin que ce dernier n'y soit pas en assez grande quantité pour faire mal (i). Il est par conséquent beaucoup plus sain et plus prudent de se servir de marmites et de chaudières de fonte, de les préférer aux marmites et chaudières de cuivre; il est aussi plus prudent de se servir de casse- rolles de fer - battu et de vase de faïence pour recevoir les alimens cuits ou crus : les brocs doivent être aussi en faïence. Ceux qui (1) « L'absorption du plomb par les pores de la » peau, est un genre d'empoisonnement qui a été » observé chez des femmes qui meltoient sur leur » visage, leur poitrine , du blanc ou fard qui conte- » noit de la céruse ; chez des blessés , auxquels on » faisoit des applications continues, ou fréquentes, » d'eau vcgéto-miuérale , de sucre de satnrne, d'em- jo plâtres de céruse sèche. » ( i4o ) trouveront que la faïence est trop chère, pour- ront avoir des brocs de grès : mais sur-tout qu'ils s'abstiennent de timbales d'étain, parce que le vin, le cidre ou la bière portant un acide, et ses boissons séjournant dedans ces timbales, cela deviendroit très-dangereux, sur-tout pour les enfans, qui, par leur âge et la foiblesse de leurs fibres, sont plus sus- ceptibles d'impression malfaisante. J'ai vu souvent à la campagne des sevreuses, des mères même emplir une timbale d'étain, de vin ou de cidre, et dans le courant de la journée en donner à leurs enfans lorsqu'ils avoient soif. Toutes les fois que je m'en suis aperçue, j'ai renversé à terre la boisson ; et, en pressant les timbales dans mes mains, je leur ai prouvé que le plomb excédant de beaucoup l'étain, cela pouvoit faire un grand mal à leurs enfans. J'en ai persuadé quel- ques-unes ; je fais des voeux ardens pour les avoir converties toutes. ( i4i ) CHAPITRE XI. Danger des Vêtemens mouillés. Moyens pour se garantir des Maux qu'ils peu- vent occasionner. Eau de Mer qui pré- vient ces Maux. Bains d'Air. -L/Ks habitans des campagnes, et en géné- ral tous les hommes obligés de se livrer à des travaux extérieurs, sont plus exposés que tous les autres à éprouver l'incommo- dité de la pluie. Souvent un laboureur, un moissonneur, un berger, un maçon, sont surpris par un orage ; leurs vêtemens sont mouillés; Feau pénètre jusqu'à leur peau, et l'on ne peut se faire une idée des maux que ces pluies froides peuvent occasionnerj et souvent aussi celui qui reçoit un orage sur le corps, ne possède que le vêtement qui le couvre. Il seroit beaucoup moins incommodé de la pluie s'il la rerevoit sur le corps à nu, elle lui seroit même salutaire, l'homme étant au physique comparable aux animaux à qui la pluie, lorsque la saison est tempérée, est ( 1^2 ) très-nécessaire ; mais les vêtemens se char- geant de trop d'humide, il péflètré\ïànsrietîr corps, intercepte la transpiration$t cause quelquefois "des pleurésies et des fluxions de poitrine. ^* Si c'est dans la saison tempérée que l'on éprouve cet accident, il est de la prudence de se débarrasser promptement des vête- mens de laine, et de ne garder sur soi abso- lument que sa chemise qui, frappée par L'air, sé'chera promptement; les autres vêtemens, étant aussi exposés à Faction de l'air de tous les côtés , seront beaucoup plus vite dé- barrassés de l'humide dont s'imprègne la peau, lorsqu'on ne prend point cette pré- caution (1). Si Forage continue, qu'ils ne puissent se déshabiller pour faire sécher leurs vêtemens, et qu'ils soient obligés de retourner dans leur demeure, il faut qu'ils se mettent devant (1) L'eau est une substance fluide, diaphane, pe- sante , insipide , sans odeur et sans coiileur. Sa fluidité vient du feu , qui la pénètre et en agite les petites parties ; lorsqu'il est en trop grande quan- tité, il les fait exhaler. Lorsque ces quantités diminuent à un certain point, elles s'unissent et forment un corps solide, C 145 ) un feu clair après s'être dépouillés entière- ment de leurs vêtemens. Cette précaution est absolument nécessaire pour éviter une maladie quelquefois mortelle; et quand ils devroient perdre deux heures de travail à se sécher et à se prémunir contre le mal, ils y gagneroient encore beaucoup, puisqu'outre le malheur d'être long-temps accablés de douleurs, ils auroient encore la dépense for- cée , occasionnée par la maladie, et le temps beaucoup plus long qu'ils passeroient sans travailler. Les bergers, après un fort orage qui les a contraints à rentrer leurs troupeaux, ont sou- vent l'habitude de se coucher dans la ber- gerie, d'y rester assez dé temps pour sécher leurs habits, quelquefois même ils s'y en- dorment. C'est une imprudence qui leur est très-pernicieuse, sur-tout dans beaucoup d'en- droits encore où les bergeries n'ont aucune ouverture pour procurer un courant d'air • qu'on appelle glace. Ainsi, ou peut distinguer dans l'eau trois étals, occasionnés par le plus ou moins de feu qui y est contenu. L'eau, et sur-tout celle de pluie , renferme, outre le feu, beaucoup d'air et d'autres substances qui peuvent êlre préjudiciables à I la santé , si on laisse les vêtemens s'en imprégner. Georges De la Faïi, * ( i44) alors les toisons des moutons imprégnées d'eau , répandent un humide chaud qui est très-malfaisant. Le méphitisme des fumiers, joint à celui de l'haleine des troupeaux, peut à l'instant asphixier. Il est important de faire connoître à ces intéressans commen- saux les dangers qu'ils courent en pareille circonstance. Les riverains de la mer ont un autre moyen pour se garanlir des accidens occasionnés par les pluies d'orage. L'immortel Franklin a publié que « les habillemens trempés dans de » l'eau de mer et tordus pour qu'ils n'en » fussent qu'humectés et non dégouttans » d'eau, étoient moins froids que les habil- » lemens humectés d'eau douce, par la pluie » ou autrement, » Il a éprouvé que a pour se préserver des » effets maladifs des pluies froides ou du » froid qui survient après ces pluies, avant » qu'on puisse, ou sécher ses habits mouillés » ou en changer, il est à propos et avanta- » geux de tremper sa phemise dans de Feau » de mer. » Franklin l'a voit éprouvé, et avoit fait part de ses observations. Elles furent très-salu- toires au capitaine Blighj qui erra long- temps (i45) temps sur des mers éloignées, dans une cha- loupe, sans aucun abri, et continuellement accablé de pluie. On trouve dans la relation de ses mal- heurs : « Qu'avant de diner , chacun se » déshabilloit , trempoit ses hardes dans )) Feau de mer et les tordoit , au moyen de » quoi, dit-il, nous les trouvions moins froides. » Une des causes qui a contribué à nous con- » server la santé pendant seize jours de » pluie très-forte et sans interruption, a » été de tremper nos hardes dans l'eau de » mer, et de les tordre à chaque fois qu'elles » se trouvoient imbibées d'eau de pluie. On » ne peut se figurer à quel point cela res- » semble à un changement de haides sèches, » et combien cet expédient nous a été salu- » taire. )> Franklin conseille encore pour la santé , une sorte de bains que les habitans de la cam- pagne devroient adopter, qui ne les dérange- roit en rien de leurs travaux, ne les enga- geroit dans aucune dépense, et leur seroit aussi avantageux que les bains entiers, et beaucoup plus, que les demi-bains. En gé- néral, les habitans de la campagne sont peu disposés à prendre des bains, quand ils sont ( liGJ malades, à plus forte raison quand ils se portent bien. Cependant quelquefois unbain ou deux préviennent des maladies : ceux que Franklin propose sont d'autant plus utiles à indiquer aux gens de la campagne, qu'ils peuvent, comme je viens de le dire, les pren- dre sans aucune préparation et sans inter- vertir l'ordre de leurs travaux. Voici comme s'exprime Franklin sur ces bains. a Vous savez que depuis long-temps les » bains froids sont employés ici comme un » tonique; mais le saisissement que produit » en général l'eau froide, m'a toujours paru » trop violent; et j'ai trouvé plus analogue p à ma constitution, et plus agréable, de me » baigner dans un autre élément, c'est-à- » dire, dans Fair froid. Je reste déshabillé V une heure ou une demi-heure, suivant la » saison, m'occupant à lire ou à écrire. » Cet usage n'est nullement pénible, il » est au contraire très-agréable; je me mets y> au lit et je jouis d'un sommeil délectable. » Je ne crois pas que cela puisse avoir aucun » dangereux effet ; ma santé du moins n'en )> est point altérée, et j'imagine au conlraire x> que c'est ce qui m'aide à la conserver: ( ,47 ) » c'est pourquoi j'appellerai désormais ce » bain, un bain tonique (1). » Pendant les grandes chaleurs de l'été, ne pouvant parvenir à goûter le plaisir du som- meil, j'ai souvent essayé le bain tonique, et je m'en suis parfaitement bien trouvée. Je conseille à ceux qui n'ont ni le temps, ni la possibilité de prendre des bains, soit dans la rivière,*soit chez eux, d'y avoir recours, et, comme moi , ils en éprouveront les effets salutaires. CHAPITRE XII. De la Natation et de son Utilité. Temps ou il est dangereux de se livrer à cet Exercice. Moyens faciles d'apprendre à Nager. Un puis quelque temps, on a exercé les jeunes gens à Fart de la natation ( à nager ) ; et même au village, il est commun de voir des enfans de dix à douze ans, faire (dans les (i) Œuvres Morales et Politiques de Franklin, traduites par M. Castéra. G 2 ( ii8 ) Grandes chaleurs ) quelquefois jusqu'à deux Jieues pour aller nager dans une rivière ou dans un étang ; ils ne courent pas de grands risques, quoiqu'ils se soient échauffés par la course, si la rivière ou l'étang dans lesquels jls se proposent de nager, ont été échauffés par le soleil ; mais il est extrêmement dan- gereux , si l'on a fait un exercice forcé, ou qu'on ait trop chaud, de se jeter dans Feau froide. Les accidens les plus fâcheux peuvent en résulter : l'exemple de plusieurs mois- sonneurs dont ie vais parler, devroient être mis souvent sous les yeux des jeunes gens qui se livrent à l'exercice de la nata- tion. Ces moissonneurs avoient travaillé toute la journée, et s'étoient échauffés; voulant se rafraîchir, ils se plongèrent dans une source froide. Deux d'entre eux moururent sur le- champ, un troisième expira le lendemain matin, et un quatrième ne réchappa qu'avec peine. Je ne veux pas dissuader pour cela les jeunes gens de se baigner l'été, et sur-tout d'apprendre à nager; tout au contraire, je veux les y engager, parce que cela leur est absolument nécessaire dans beaucoup decir- ( 14g) constances de la vie (1). Mais il faut qu'ils s'en abstiennent dans les cas dont je viens de parler. Si un beau soir d'été vous vous baignefc dans une rivière qui aura été frappée du so- leil, que vous y nagiez une heure ou deux , vous dormirez agréablement toute la nuit, même dans la saison la plus chaude, parce (1) Savoir nager est indispensable. Outre, comme je l'ai dit, que cela peut être très-utile à la santé, cela peut aussi, dans beaucoup de circonstances, vous sauver d'un péril imminent, et vous engager ( connoissant vos forces) à secourir des malheureux* Franklin , dans un récit des jeux de sa jeunesse , indique un moyen d'apprendre à nager, qui est aussi facile qu'ingénieux, et qui peut être employé par ceux qui n'ont pas la possibilité de payer desmaîtref de natation. « Lorsque j'étois encore fort jeune, dit Franklin, » jç m'amusois un jour avec un cerf-volant; et m'ap- » prochant du bord d'un étang qui avoit près d'un » mille de large, j'attachai à un pieu la corde du » cerf-volant, qui s'étoit déjà élevé très-haut, pen- » dant le temps que je cherchois à nager. » Pour ne pas perdre de vue mon cerf-volant, et » voulant jouir de deux plaisirs à la fois, celui de » me baigner, et celui du jeu de mon cerf-volant, » j'allai reprendre ma corde, l'attachai à mon pied, j> et me tournant sur le dos; je m'aperçus que j'étoia ( i5o ) que les pores de la peau étant ouverts, la transpiration insensible (i) se trouve aug- mentée et procure cette fraîcheur. » entraîné sur l'eau d'une manière très-agréable. Je « priai alors un de mes camarades de faire le tour » de l'étang, et de porter mes vêtemens dans un en- » droit que je lui indiquai; et, tenant toujours la » corde du cerf volant, je traversai l'eau sans la » moindre fatigue, et même avec beaucoup de plai- » sir. Je fus seulement obli^r , de temps en temps, x de ralentir un peu na course , parce que je m'a- » perçus que j'allois trop vite , et que le cerf-volant » descendoit trop bas ; mais dès que je m'arrètois, » il remontoit. ». (1) « Celle légère vapeur, plus fine que la rosée » du malin , que l'oeil ne sauroit apercevoir, s'exhale » en si grande abondance par les pores innombra- » blés de la peau , que sa mesure excède souvent celle î' de toutes les autres évacuations réunies ensemble. y> Sanctorius eut autrefois la patience et l'industrie » de déterminer la quantité de ee liquide Pour cet » effet,sansa'embarrasser desfades railleries designo- » rans, il fut assez courageux pour s'enfermer dans » une balance suspendue en l'air. Il en fit son musée » durant plusieurs années de suite : delà, comme » du haut d'un observatoire, il examina la nature, » et soumit ses opérations au poids d'une juste ba- » lance. Il pesa scrupuleusement son boire et son » manger : il en fit de même de ses différentes déjec- ( i5i ) Le matin du lendemain où vous vous serez baignés, vous éprouverez un appétit plus fort, en raison de ce que la transpiration vous aura fait perdre. Il faut manger modérément, ne point trop écouter votfe appétit, si vous ne voulez pas être obligé d'avoir recours aux bains comme remède, après les avoir pris comme plaisir. Mais, si vous êtes imprudent, Vous pouvez et devez y avoir recours, parce que les bains de rivières, l'été , sont très pro- pres à guérir de la diarrhée, lorsque celle-ci est occasionnée par un excès de nourriture, ou un trop grand usage de fruits. Des personnes à qui yen avois donné le conseil , dans de pa- reilles circonstances , y ont eu recours, et s'en 6ont très-bien trouvées, » tions. Il connut par ce moyen tous les degrés de » variétés dont la transpiration peut être suscepli- » ble, et vint à bout, en les comparant, dén fixer » le poids et la mesure. Dès lors, une nouvelle îu- » mière frappa les regards de l'univers médecin : il » comprit quel étoit le pouvoir d'une vapeur pres- » qu'ignorée jusqu'à ce temps............. » L'on sait actuellement de combien de maux » elle afflige les malheureux humains, lorsque, sup- » primée, elle ne peut pénétrer le tissu de la peau. » Geoffroy, trud. par Dxlaunat. ( i5a ) Les habitans de la campagne devroient, encore plus que les habitans des villes, se baigner l'été , parce que le genre de leurs travaux les exposant à avoir souvent des sueurs et à être couverts de poussière, cela bou- che les pores et nuit à la transpiration in- sensible qui est beaucoup plus salutaire que les sueurs ; cela peut aussi leur occasionner des maladies de peau, qui ne se guérissent que par Fusage du bain : il vaut donc mieux les prévenir; car une maladie de peau, négli- gée, dégénère quelquefois en galle. Les riverains de la mer, en se baignant de- dans , peuvent se guérir de la galle. Les bains de mer sont aussi très-bons pour fortifier les par- ties foibles du corps, pour les tremblemens > et pour guérir les paralysies. Autrefois, on étoit persuadé que les bains étaient contraires aux femmes enceintes, et on leur défendoit expressément d'en user ; mais la science médicinale et chirurgicale ayant fait de grands progrès , on s'est convaincu que , loin que les bains fussent contraires aux femmes enceintes , ils leur étoient très-salutaires, et qu'ils facilitoient l'accouchement. Je conseille donc aux femmes de la campa- ( i53 ) gne, l'été, quoiqu'elles soient enceintes,de se baigner; cela les délassera de leurs tra- vaux , et leur procurera un sommeil tran- quille, qui est un des plus grands biens dans, cet état. J'ai vu des effets si salutaires des bains de rivières, que je ne saurois trop les recom- mander. J'ai guéri un petit enfant de quatre ans, d'une maladie connue, même des nourrices, sous le nom de carreau (1), seulement en le baignant dans la rivière ; il reprit en très-peu de temps sa force et son appétit. Depuis, je l'ai indiqué à différentes personnes, qui ont suivi mon avis et s'en sont très-bien trou- vées. Je pense même avec raison, que des enfans qu'on baigne souvent, ne sont point atteints de cette maladie qui en fait périr beau- coup , et que cela les entretient dans une propreté nécessaire à la santé. Elle est bien vraie cette maxime qui dit : « Si vous voulez » vivre en santé , ne souffrez aucune mal-pro- » prêté sur votre corps , sur vos habits et » dans votre maison. » (1) Le carreau est une sorte d'opilation qui presse J'estomac, la poitrine, et qui rend le ventre tendu. G * ( i54) CHAPITRE XIII. Moyens de prévenir les Dangers auxquels sont exposés les Ouvriers qui pilent et broient lès Couleurs. Du Danger des Odeurs fortes. Ju a classe peu aisée a plus besoin de con- noître les moyens de se garantir des maladies, que celle des gens riches qui a beaucoup de temps à employer pour se guérir, et beau- coup d'argent à don 1er à ses médecins. C'est pour la première seule que j'ai entrepris cet ouvrage, plus particulièrement encore pour les gens de Ja campagne, dont tous les ins- tans sont précieux. L'article que je propose de traiter n'est pas très-utile à la campagne, où l'on broie peu ou point de couleurs, les vitriers les achet- tant toutes préparées; mais le manouvrier de tout genre a besoin aussi de conserver sa santé, et souvent il est exposé, par défaut de savoir, a éprouver des maladies résultantes de ses travaux. Les broyeurs de couleurs y ?ont p'us exposés que beaucoup d'autres; il est donc essentiel de leur faire connoître les ( i55 ) moyens de se garantir des dangers imminens qui les entourent, lorsqu'ils sont occupés à préparer les couleurs ou «à piler dans un mor- tier des substances sèches, acres, ou corro- sives et volatilles, comme l'arsenic, la gomme gut, etc., etc. ^ ■'-' Ces deux espèces de drogues dont on se sert p^ur préparer les couleurs, exhalent des émanations dangereuses ; mais s'il existe un vent qui en chasse continuellement les va- peurs, on n'a rien à craindre; il faut en con- séquence que ceux qui broient les couleurs, aient l'attention, pendant leur travail, de se mettre toujours sous le vent, c'est-à-dire, vent derrière soi. Ceux qui pilent doivent encore y appor- ter plus d'attention, ne point le faire dans un petit endroit, et sur-tout ne point être vêtus en laine,;parce que la poussière imper- ceptible de l'arsenic s'atlacheroit à leurs vêtemens, qu'ils, pourroient ou la respirer ou la manger avec leur pain , qu'ils ont toujours l'habitude de porter sous leurs bras. M. Boulard proposa, il y a quinze à seize ans, un rnoyen de garantir les ou- vriers broyeurs de couleurs, des émanations ( i56 ) dangereuses des substances qu'on emploie pour cette fabrication. Ce moyen est simple et ingénieux, mais ne peut être pratiqué par des gens travaillant à la journée, et qui ont quelquefois une nombreuse famille à soutenir; il leur est impossible de soustraire un sou de leurs journées. Com- ment construire, sans argent, cette tajt)le, ce châssis, ce fourneau, que M. Boulard a ima- ginés pour prévenir les maux qui entourent les broyeurs de couleurs : c'est aux entre- preneurs à faire cette dépende, pour n'avoir pas continuellement la crainte de voir périr tin malheureux père de famille qui leur aura sacrifié son temps, sa santé et sa vie , pour tme modique rétribution. Malheureusement nous nous occupons beaucoup plus de nos intérêts, que de la conservation des hommes qui les servent. Cependant, si nous ne trou- vions point d'ouvriers pour remuer les fu- miers , curer les mares, vider les fosses, broyer et piler les couleurs ( toute espèce de travaux qui peuvent en une minute faire pé- rir l'homme qui s'y livre ), il faudroit bien que nous nous y exposassions nous-mêmes, et que nous courussions les mêmes dangers. Puisque nous trouvons des gens qui le font ( i57 ; volontairement, prenons les précautions com- mandées par la raison , pour prévenir ces maux (1). (1) Je vais, pour les amis de l'humanité, donne* ici le moyen de M. Boulard, qui ne sauroit être trop connu, puisqu'il peut garantir une classe d'hom* mes, exposés sans cesse à des périls imminens. « Si l'ouvrier, dit M. Boulard , qui broie les cou- » leurs, ne vit pas dans un atmosphère chargé de » miasmes ; ou si on imite un vent continuel qui em- » porte les émanations , elles ne pourront jamais » faire sentir à l'ouvrier leurs nuisibles atteintes ; » car c'est l'air qu'on respire qui porte les éma- » nations et leur sert de véhicule. Ces principes sont » sûrs et incontestables. » Pour cet effet, on enveloppe la table et la pierre » du broyeur d'une caisse sans couvercle, et dont les » bords affleurent presque le dessus de la pierre à » broyer , et laissent régner autour de cette pierre » une demi-ligne d'intervalle. L'un des côtés de la » caisse reçoit un tuyau qui communique à l'air » extérieur, en perçant le plancher ou des murs au » dessus de la pierre à broyer : et à six pouces de » hauteur , est une espèce de pyramide creuse, tron- » quée, ou chapiteau formé par l'assemblage de j) quatre châssis vitrés , qui débordent la pierre de » trois pouces. Ce chapiteau se termine par un tuyau » de lôle, communiquant à un fourneau qui aspire » par le fond , et qui a son issue dans un tivyau de » cheminée» Le fourneau où vous aurez allumé du C 168) Une chose à laquelle les habitans de la campagne et la classe peu aisée, ne font pas » feu, aspirera l'air contenu sous le chapiteau; Cet » air sera aussitôt remplacé par l'air extérieur, qui, » à son entrée dans la caisse, s'en échappera en s'é- )) levant tout autour de la pierre à broyer, et rnon- » tera continuellement sur le chapiteau-. Ce cou- » rant, ainsi établi, resserrera autant qu'il est possible » les émanations des couleurs, et les dissipera en » les emportant avec lui, en sorte que le broyeur î> n'en ressentira point les dangereux effets. » Cette découverte simple me paroît, dit M. Bon- » lard, d'autant plus heureuse, qu'elle ne met point >< d'obstacle aux opérations de l'ouvrier. Il peut voir » son ouvrage à travers les châssis vitrés, et rassem- » bler ses couleurs autant de fois qu'il le faudra : et » si lapi erre avoit trop de dimension, et qu'en ce » cas le chapiteau gênât son bras, pour parer à cet » inconvénient, il travaillerait en se promenant air- » tour de la pierre. » On observera que le fourneau ne peut produire » tout son effet, qu'autant que les portes en se- » ront exactement fermées, et que l'atelier sera de » moyenne grandeur et bien clos. Le léger courant » d'air qui entrera par les inlerstices ( intervalles ) » des portes et fenêtres , ne sera pas nuisible ; car, » forcé de passer sous le chapiteau , il emportera le » peu d'émanations que le bras du broyeur aura fait » échapper par son mouvement. Je ne démontrerai » pas les principes qui assurent ce succès, puisqu'on ( >*J) assez attention, c'est aux choses qu'ils em- ploient pour se garantir, l'été, des punaises. » se sert journellement d'un fourneau semblable, » pour aspirer l'air méphitique des caves, des fosses » d'aisance et des galeries des mines. » J'ai fa.it l'expérience de la découverte que je pro- » "pose ; et, au moyen de trois sous de charbon de » bois dont j'ai rempli deux fois le fourneau , j'ai » broyé pendant trois heures de suite du vert-de- » gris, couleur qui fournit le plus d'émanations dan- » gereuses, et qui affecte sensiblement l'odorat, sans » avoir éprouvé aucune incommodité. Plusieurs per- » sonnes délicates, qui sont entrées dans l'atelier » pendant mon opération, m'ont assuré qu'elles » n'avoient pas senti la moindre odeur, et qu'il étoit » impossible de présenter un plus heureux moyen. » J'ai fait ensuite l'expérience suivante, pour rea- « dre sensible le courant d'air qui s'élève autour de » la pierre à broyer : j'ai renfermé dans la caisse, » et au dessous de la pierre à broyer, une chauffe- » rette qui contenoit un peu de feu, sur lequel on » avoit jeté du sucre râpé. Une fumée abondante s'est » élevée autour de la pierre à broyer, et je Pai vu » monter rapidement au chapiteau, attirée par le » courant d'air qui se portoil au fourneau. Le cou- )> rant d'air et de fumée étoit si rapide, que je ne )> pus le détourner, ni même le faire refluer en de- » hors du chapiteau. » Les suites de cette expérience m'ont confirmé » les avantages de celte découverte. ( i6o) Pai vu des femmes à la campagne, frotter leurs bois de lits, leurs murs, avec de la téré- » Le moyen que je présente est simple, et préservi î> l'ouvrier de tout danger, sans rien changer à la ma- » nièrc usitée de broyer les couleurs. Ce moyen, en » outre, contient et emporte les émanations d a ngereu- » ses des couleurs, saus s'opposer à la facilité du tra- » vail; de manière que le broyeur peut les rassembler » autant de fois et aussi facilement que dans l'usage » ordinaire. Ce moyen est aisé , et à la portée de tous » ceux qui se livrent à ce genre de travail : on peut » en faire usage à peu de frais; il n'augmente que » très-peu la dépense du broiement, puisqu'il n'en )) coûte qu'un sou de charbon par heure. On pourroit » même rendre nuls ces frais, en faisant servir le » fourneau aux usages domestiques. Il seroit encore » employé à la cuisson des huiles nécessaires aux » couleurs ; et le broyeur, en ce cas, y trouveroit un y> nouvel avantage , en ce qu'il pourroit, sans se dé- » ranger de son travail, veiller sur les huiles qu'il » auroit à faire cuire. » J'observerai, que, si l'on emploie le fourneau à » ces divers usages , il faudra avoir soin de le placer » près de terre : il ne perdroit rien pour eela de son » aspiration. Il suffira pour cet effet de reçouder le » tuyau de communication du chapiteau.....Le point y essentiel est de former un courant d'air qui s'élève » autour de la pierre à broyer, et qui emporte les. » émanations dangereuses des couleurs. » ( 161 ) benthine (1) ou autres peintures, d'une odeur extrêmement forte j et, la même nuit quisui- Voit le jour où elles avoient barbouillé leur demeure, s'enfermer et respirer cette odeur; aussi le lendemain étoient-elles, ainsi que leur mari, dans un abattement difficile à concevoir pour ceux qui n'en connoissoient pas la cause. IL faut s'abstenir de pareilles remèdes ; G'est pour n'être point troublés dans leur sommeil, que les gens de la campagne ont recours à ces moyens, et ces moyens peuvent leur causer la mort : car, avec l'habitude qu'ils ont, même l'été, d'être enfermés dans leurs rideaux de serge, ils peuvent être as- phixiés et périr en moins de deux heures. Les enfans en seront incommodés beau- coup plus tôt, parce la foiblesse de leurs or1 ganes et de leurs fibres les rend plus accessi- bles aux émanations dangereuses. Alors, ilfaut que les nourrices se gardent bien de peindre les berceaux des enfans confiés à leurs soins. (1) L'émanation de l'esprit de térébenthine est très-dangereuse. Il y a environ vingt-ans , un gar- çon épicier, demeurant chez M. l'Equillier, rue des Lombards , p *"it par l'émanation de l'esprit de té- rébenvhine, renfermé dans un baril mal bouché. ( ]6a ) En général, toutes les odeurs suaves ou désagréables peuvent causer Fasphixie, quand l'air est privé de son ressort et qu'il est chargé de vapeurs qui troublent sa pureté : il est dangereux à respirer et peut occa- sionner Fasphixie, qui est une mort ap- parente , et devient réelle quand on n'est pas secouru à temps j et les pauvres petits en- fans enfermés dans des berceaux nouvelle- ment peints, éprouveroient indubitablement ce malheur. j'ai vu aussi des habitans des campagnes qui, calculant la dépense de la peinture, «voient recours à la chaux vive pour blan- chir lors solives et leurs murs. Cette chaux se détache des solives , des murs, tombe dans le manger, caria poussière de la chaux est très-fine, elle pénètre dans la poitrine, s'attache aux poumons et peut occasionner4 des toux et des pituites très-fatigantes : le meilleur moyen, celui qui ne fait courir au- cun danger, c'est de laver les couchettes , les murs, avec de Feau de lessive; de tenir la maison extrêmement propre ; le matin, de répandre de l'eau assez abondamment pour chasser les insectes qui troublent le repos mais pas assez pour qu'on soit incommodé ( i65) de l'humidité, sur-tout si après avoir lavé la maison, vous êtes obligé de sortir et de la fermer jusqu'au soir. J'ai éprouvé cette année ( i$o5) qu'en ré- pandant du vinaigre balsamique (dont j'ai K donné la recette dans mon Recueil d'Eco- nomie Rurale et Domestique ) autour des lits, il chassoit les punaises et les puces; mon jardinier en étoit accablé ; lui, sa femme, ses enfans étoient privés du sommeil si né- cessaire à l'ouvrier laborieux. J'essayai de répandre du vinaigre balsamique, espérant que l'odeur pourroit chasser ces insectes, et j'y réussis seulement pour quelques jours : quand l'odeur fut tout-à fait évaporée, les punaises qui s'étoient renfermées, ainsi qu'el- les le font aussitôt que les froids se font sen- tir , reparurent de nouveau, et de nouveau je répandis du vinaigre, puisqu'il avoit pro- curé quelques jours de repos à cette fa- mille. Cinq à six fois , je fis mon aspersion; enfin je fis laver les couchettes avec de la lessive; et, quand elles furent bien sèches, je les fis frotter avec du vinaigre. Depuis ce temps ils n'ont plus ressenti la piqûre de ces insectes. Je me déterminai d'autant plus volontiers ( i64 ) à parfumer la chambre de ce vinaigre, que j'étois convaincue que loin qu'il fût nuisible, il ne pouvoit qu'être salutaire, et purifier l'air de la chambre. Ce vinaigre est aisé à faire ; il a des pro- priétés que j'ai d'écrites : il est pour ainsi dire indispensable d'en avoir dans sa maison pour chasser le mauvais air et se procurer du sou- lagement dans beaucoup d'occasions. CHAPITRE XIV. Du Danger de se nourrir de la Chair d'Animaux morts de maladie. Précau- tions à prendre pour dépouiller ces Animaux. Accidens occasionnés par la consommation de la Chair du Cochon attaqué de ladrerie. U n danger qui entoure sans cesse les ha- bitans de la campagne, et auquel ils ne font pas l'attention nécessaire, ce sont ces exhalai- sons qui émanent des corps des animaux morts, et qui sont jetés sans précaution sur les chemins, au bord des fossés, et toujours malheureusemet trop près des habitations. ( i65 ) S'ils a voient au moins la précaution de le* porter loin de leur demeure, le péril ne seroit pas aussi grand. J'ai vu à la campagne que j'habite, des chevaux, des vaches, des moutons qui, après avoir été dépouillés, étoient portés au bord d'une mare qui a de Feau toute l'année, et qui en raison de cela est une ressource pour faire boire les bestiaux : qu'on juge du tort que cela leur fait, quand ces corps sont en putréfaction, que les chairs se détachent des os et se répandent dans la mare, qui n'é- tant pas d'une eau courante, et ne pouvant conséquemment entraîner ces immondices, les reçoit et les dépose dans sa vase. Les cha- leurs de l'été arrivent, des miasmes méphiti- ques se répandent dans Fair et le corrompent, et du moment que l'air est corrompu, il en résulte des maladies pestilentielles ; souvent des épidémies attaquent des cantons, et ce malheur a pour base le manque de précaution qu'on a pris lors de la mort des animaux. Les bestiaux qui boivent de cette eau em- poisonnée , deviennent languissans et dépéris- sent ; la crainte de les perdre fait qu'on les tue; alors ceux qui en mangent éprouvent lesmêmes maux qui ont accéléré la mort des bestiaux» ( i66 ) Il est donc nécessaire , lorsque des bes- tiaux meurent, de les porter le plus loin pos- sible des habitations, et sur tout de les en- terrer ; alors ils ne répandront pas d'exhalai- sons malfaisantes, parce que ce n'est que la grande quantité de corps morts réunis dans uri même endroit, qui peut rendre l'air con- tagieux ; c'est la raison qui a fait défendre d'enterrer dans l'intérieur des villes. La hau- teur des édifices, jointe à la quantité de po- pulation, rendent l'air épais et mal-sain, même n'étant pas chargé d'émanations dangereuses. Les pauvres ont aussi une habitude qui, à la vérité, est commandée par le malheur; mai- pour se procurer une jouissance d'un moment, ils abrègent leurs jours et souvent se donnent des maladies longues et dou- loureuses. Cette habitude est que, lorsqu'un cultivateur a une vache, des moulons, ou autres bestiaux qui viennent à mourir, les vaches de l'enflure, les moutons d'un coup de sang, les cochons de la ladrerie (1), il vend (1) Il y avoit autrefois dans les marchés, des offi- ciers langueïeurs qui visitoient les langues des porcs. Si un porc étoit acheté, et même payé, l'officier qui les visitoit, fiisoit rendre l'argent à l'acheteur, s'il trouvoit que la langue annonçât que l'animal fût ( i67 ) la,chair de ces animaux à un très bas prix. Le pauvre en achète, s'en nourrit lui et toute sa famille : ces accidens arrivent aux bes- tiaux, assez communément au printemps, et ceux qui en mangent doivent en grande par- tie attribuer les fièvres qui les accablent à cette époque, à la nourriture malfaisante qu'ils ont prise. Il seroit à désirer que le Gouvernement en- joignît aux administrations de veiller à ce que des animaux morts par accident fussent en- terrés , et qu'il fût défendu , sous peine d'a- mende , aux propriétaires-des bestiaux de les vendre ; il faudroit pour cela une surveil- lance bien active: car j'ai vu des fermiers, craignant qu'une vache ne vînt à périr , la faire tuer, afin d'en vendre la chair; j'ai vu aussi des bergers , des bouchers , si un mouton, dans les champs, avoit mangé des attaqué de la ladrerie. Le porc étoit tué. et enterré. L'on a fait la remarque que des pauvres, sachant où l'on avoit enterré ces porcs, dès la même nuit, furent les déterrer, et les .mangèrent. Sur ciuq qui en mangèrent, trois furent atteints d'une fièvre pes- tilentielle ; les deux autres furent couverts de bou- tons, qui dégénérèrent en une espèce de galle, qu'on eût beaucoup de peine à guérir. ( 168 ) herbes malfaisantes (1) (qui quelquefois les fontpérirà la minute), les saigner et les por ter chez leur maître , pour en distribuer la viande avec celle qui est dans la boucherie. L'on ne fait point assez d'attention aux alimens qu'on achète, voilà pourquoi la grande partie des consommateurs et sur-tout les consommateurs pauvres, sont atteints de maladies incurables, parce les intestins une fois attaqués, il y a peu de remèdes. La disette qui a pesé sur la France a moins fait mourir de monde, par le défaut de nour- riture , que par les alimens malfaisans qu'on prenoit pour assouvir sa faim. Mais dites à un malheureux: ne mangez pas telle ou telle chose qui peut être contraire à votre santé ; le besoin , le maître impé- rieux , lui commandera d'avoir recours à tout, sur-tout s'il trouve des alimens dont le prix 6'accorde avec la modicité de sa bourse ; et malheureusement la cupidité lui en fournira souvent les moyens. Il faudroit donc que ce fussent les admi- (1) La renoncule des champs est un poison très- subtil. Une brebis qui en mange, meurt à l'instant : qu'on juge du mal que peut faire la chair de celte feête, par l'effet subit que cette plante opère sur elle ! nisttation* ( i69) nistrations qui s'opposassent à ces ventes , et que souvent ils visitassent les étales de bour- cheries pour s'assurer si les animaux qui y sont exposés en vente, son sains. Le maire d'un village qui a des relations de famille ou d'intérêt avec ses concitoyens, ne pourra jamais exercer cette surveillance, parce que ses liaisons s'y opposeront, et qu'il craindra de se faire des ennemis : il ne faut jamais exposer un homme à manquer à son devoir. Mais à la place du maire, on pourroit employer, soit un gendarme dont les fonctions sont toujours répressives, soit un inspecteur, qui ne seroit payé que sur les amendes de ceux qui seroient en contraven- tion. Cet inspecteur finiroit par devenir inu- tile; l'intérêt des bouchers (qui, dans les cam- pagnes se livrent encore à d'autres travaux, et ont d'autres ressources d'existence) les empêchant'de s'exposer à des pertes réité- rées. Toujours, en prévenant le mal on Févite. Je desirerois que ces inspecteurs suf-tout veillassent à ce qu'on ne tuât point de mou- tons qui fussent attaqués du claveau ( «). L'on (1) Le claveau est si dangereux, qu'il y a des or- donnances ancienues qui défendent même'de se ser- vir des paux, et qui astreignent les propriétaires à les faire enterrer sans être dépouillés, H ( *7° ) lie peut se faire une idée du mal que fait la chair d'un mouton qui en est infecté. Un trou- peau qui a cette maladie, là communique souvent à tout un canton. Quand un bou- cher s'en aperçoit, il tue ses moutons, les vend à bon compte; le pauvre en achète et s'inocule des maladies : on en peut juger en gardant cette viande seulement vingt-quatre heures ; elle sera déjà, même dans un temps froid, en putréfaction, cette maladie étant une espèce de gangrène ou de petite vérole qui at- taque Fanimal. La personne chargée de l'inspection des boucheries, pourra s'assurer de la bonté de l'animal tué, en examinant les foies. S'ils sont sains et blonds, qu'il n'y ait point de pierres mêlées avec, la chair ne sera point malfaisante. Il faudroit aussi qu'on s'oppo- sât à ce qu'on vendît des veaux morts-nés. On doit penser que de pareilles viandes doivent causer un grand nombre de maladies, et même donner la mort à un aussi grand nombre de gens, que la donne le vin lithar- giré que distribuent les cabaretiers qui ont des dessus de comptoires en plomb. Le danger de dépouiller les animaux qui sont morts ôVaceidens, n'est pas moindre que ( i?i ) eoîui de manger de leur chair ; il faut que ceux qui se livrent à ce travail , prennent la précaution, avant de l'entreprendre, de se frotter les mains, les tempes, le front, de vinaigre anti-putride. Les habitans des cam- pagnes, sur-tout ceux qui sont exposés à re- muer des fumiers, curer des mares, vider des plombs, doivent toujours en avoir chez eux. Sans la précaution de s'en servir, ils sont ex- posés à être atteints de beaucoup de maux. J'ai vu un boucher être obligé de se faire couper un doigt pour l'avoir imprudemment mis dans la bouche d'une vache qui étoit morte la veille : qu'on juge de l'effet qu'auroit produit l'ouverture du corps. Il ne faut pas étendre les peaux provenant des animaux tués dans les habitations; car, jusqu'à ce que l'air les ait frappées et les ait absolument séchées, elles répandront des miasmes méphitiques très-dangereux. Les habitans de la campagne élèvent des lapins, ou pour les vendre ou pour s'en nour- rir. Le peu d'étendue de leur local, les force de les mettre dans des tonneaux, quel- quefois même dans la chambre où ils cou- chent. Le lapin, dont les urines sont abon- dantes, répand une odeur très-mVlfaisante. H 2 ( 17» ) Le peu d?air que respirent ces animaux, est contraire à leur croissance; ils meurent quelquefois au moment où le propriétaire avoit l'espoir de les vendre ou de* s'en nour- rir : alors il ne veut pas être frustré dans son attente, il dépouille l'animal et le mange; son économie mal entendue peut lui occa- sionner de grands maux. Je préférerois pour un habitant de la campagne, qu'il fût nourri toute l'année de pommes de terre ou d'autres légumes farineux, plutôt que de ces viandes malfaisantes, qui, si elles flattent un moment son goût, peuvent quelquefois dans la même journée le fatiguer au point de l'obliger d'in- terrompre son travail : heureux encore si elles ne lui causent pas de plus grands accidens. CHAPITRE XV. Danger des Farines échauffées y et des Huiles falsifiées , pour la Nourriture. JDeaucoup de naturalistes ont assuré que les animaux avoient reçu de la nature un instinct qui leur faisoit rejeter les plantes malfaisantes. Cela n'est pas absolument Yrai, C Ko ) et si cela Fétoit, ce seroit encore un sujet de chagrin pour l'homme qui, doué de raison et de facultés intellectuelles bien au dessus de celles des animaux, n'a pourtant point assez de précaution pour se garantir des choses qui peuvent nuire à sa santé, et sou- vent aussi se nourrit, avec connoissance de cause, d'alimens corrompus. ! J'ai vu à la campagne des femmes" faire du pain à leur mari, à leurs enfans, avec des farines si corrompues, que les animaux Fau- roient dédaigné. Une fois que la farine est gâtée, il n'est plus possible* de s'en servir sans s'exposer: à des événemens dont les résultats deviennent dan- gereux. Cependant l'ouvrier n'a pas, vu la modicité de sa fortune, la faculté d'avoir des farines en provision, et conséquemmeht il peut conserver la sienne sans accident. Chaque fois qu'il lui arrive un sac du moulin, il doit avoir la précaution de bien nétoyer le ton- neau qui doit la renfermer ; s'il la laisse dans un sac, c'est un tort; mais enfin il n'a pas tou- jours cinq ou six francs à sa disposition pour acheter un tonneau; alors, s'il est obligé de garder sa farine danslesac, il doit s'abstenir de la laisser poser à terre ; il faut l'exhausser ( 174) sur une escabeîledebois, afin que la farine ne pompe point l'humidité de la terre ( car ja- mais une humble chaumière n'est carrelée et encore moins planchéiée), ce qui feroit tort à la santé du propriétaire; je dis à sa santé, parce qu'il ne prendra jamais sur lui de jeter une douzaine de livres de farine qui s'attache- ront au fond du sac, ne s'enlèveront qu'en croûte et auront un goût de moisi, qui est encore plus funeste à la santé qu'il n'est désagréable au goût. v Certainement , si le défaut d'argent ou le retard du meunier se font sentir lorsqu'il n'y aura plus dans le sac que ces douze ou quinze livres de farine, la femme en fera un pain, et ce pain fermentera dans l'estomac de ceux qui en mangeront, leur causera des coliques douloureuses et des diarrhées, qui diminue- ront leurs forces , et les contraindront quel- quefois d'abandonner leurs travaux. Si Fhonime peu fortuné qui est obligé de travailler pour soutenir son existence, cal- culoit que de légères précautions peuvent le préserver de maladies qui trop souvent, hélas ! le retiennent au lit un temps assez long pour priver sa famille des secours qu'elle .attend de ses travaux, assurément il seroit plus atten- (i?3) tif _> et sa vie laborieuse contribuant à entre- tenir sa bonne santé, il seroit heureux et feroit partager son bonheur à ceux à qui son travail est nécessaire pour soutenir leur existence. Ce sont les femmes qui ont assez commu- nément, à la campagne, la direction de la boulangerie : dans le cas que je viens d'énon- cer, il faut qu'elles prennent cette farine, la roulent bien sur la huche jusqu'à ce que tous les petits grumelots soient écrasés ; ensuite qu'elle la mettent dans un linge blanc, expo- sée au soleil ardent, si c'est l'été, ou dans un four tiède si c'est l'hiver. Lorsqu'elles feront leur pain , il faut qu'elles le laissent bien fer-* menter (lever) et sur-tout qu'il soit bien cuit. Les habitans des campagnes n'ont pas l'ha- bitude , comme les boulangers des villes , de mettre du sel dans leur pain; c'est un tort, sur-tout si leurs farines sont échauffées j Fou ne sauroit trop le leur recommander. Lorsque la nécessité ou l'imprévoyance» foreera un ménage de se nourrir avec du pain provenant de farines corrompues, il faut qu'il le mange avec des légumes frais, si c'est l'été, et avec des farineux, si c'est l'hiver; les légumes frais tempéreront les chaleurs ( i?6 ) internes que ce pain lui occasionneroit. Si c'est l'hiver, et qu'il mange des farineux , cela lui fera un bon chyle, et le vice du pain lui sera peu sensible. Sans cette précaution, il est certain qu'il en seroit très-incom- modé. Au commencement du printemps, les gens peu aisés se nourrissent en grande partie de pommes de terre, ils les font cuire sans pré- caution; j'en ai vu même arracher les ger- mes pour les faire cuire : cette plante étant en végétation, est privée de tous ses sucs nourriciers, elle n'est presque plus composée que de parties aqueuses, la partie farineuse étant absorbée par la végétation. On peut s'en convaincre en pilant des pommes de terre pour les réduire en pâte ; la pâte sera liquide, et l'on sera obligé, pour lui donner de la consistance, d'y ajouter ou de sa fécule ou de la farine de grains. A cette époque de la saison, les pommes de terre sont plus chères et beaucoup moins saines, que lorsqu'on vient de les récolter; il est essentiel pour l'intérêt pécuniaire et l'intérêt de la santé des habitans des cam- pagnes, qu'ils s'en procurent alors, et qu'ils en fassent sécher une quantité suffisantepourpou- ( 177 ) voir en faire leur nourriture jusqu'à ce que les légumes verts soient assez abondans pour que leurs facultés leur permettent d'y atteindre. Aveo ces précautions, leur santé ne sera point altérée, et leurs travaux ne seront point inter- rompus. L'été, à la campagne, une famille entière fait son souper avec une salade et du fro- nigge; le premier plat est de luxe, ei souvent .ce luxe est très-malfaisant. Toujours le bon marché engage les gens peu aisés à se pour- voir , pour leur nourriture, des alimens Jes moins chers, et, l'été, les fromages conservés sont pour ainsi, dire en putréfaction : souvent ils sont remplis de petits vers, leur odeur forte annonce leur corruption, et le pa}- san, l'ouvrier, le mangent avec leur pain, et se font infiniment de mal. Ce fromage leur .donne,une soif ardente 5 de Feau ne leur paroît pas satisfaisante pour l'étancher'j ils ont re- cours à des boissons,qui sont quelquefois aussi corrompues que les alimens qui les forcent à y avoir recours. Les boissons sont une des choses que les administrations devroient encore sur- veiller. Je mets en fait que le mauvais vin, la mauvaise bière et le mauvais- cidre ,< abrègent la vie de beaucoup de ma.no uvriers. H* (178 ) L'huile que les habitans de la campagne emploient pour leurs salades, n'est jamais as- surément de l'huile d'olive pure, puisque même ceux qui font leur provision pour leur année, ont beaucoup de peine à s'en procu- rer chez les épiciers; à plus forte raison, lors- que le manouvrier en va chercher une petite quantité pour assaisonner sa salade, n'en obtient-il pas de cette qualité. Heureux si '«lie n'est pas malfaisante! L'huile de faîne (1), •depuis quelque temps a supléé à l'huile d'o- liva; mais il y a encore du choix dans cette (1) « L'huile de faîne , quand elle est bien faite, * est rafraîchissante et salutaire ; elle contribue ef- » ficacement à faciliter la digestion : c'est le té- » moignage de plusieurs valétudinaires, et d'un o» tempérament échauffé, qui en ont fait usage avec » succès. » L'huile de faîne est aussi agréable que l'huile » d'olive ; elle est même plus douce, plus blanche} m plus limpide ; elle se congèle même : il faut seu- » lement qu'elle ait été gardée le temps convenable. » On peut faire usage de l'huile de faîne, aussitôt 3) après sa fabrication, pourvu qu'elle ait été fabri- » quée avec des graines de bonne qualité. » Entre Compiègne et Verberie , sur la pelilcri- 3> vière dite d'Automne, il y a plusieurs moulins à » huile de faîne. » ( 179 ) huile. La saison où elle a été faite, la quantité de fois qu'elle a été soutirée, font sa bonté; mais alors les marchands la vendent aussi cher que l'huile d'olive. — Les habitans des pays où l'on est dans l'usage de fabriquer de l'huile de noix, peuvent s'en procurer avec avantage; mais dans les endroits où l'on n'en fabrique pas, il faut que le manouvrier re- nonce à l'huile qui aura une odeur forte, qui ne sera point claire, et qu'il y substitue de la crème ou du beurre qu'il fera fondre aveo son vinaigre. Dans les temps de disette que nous avons passés, ne pouvant me procurer d'huile, j'ai eu souvent recours à cet expé-* dient; et, depuis, ayant la possibilité d'à voit de bonne huile,j'ai, par goût, mangé encore de la salade au beurre : ce qu'il y a de cer- tain , c'est qu'elle n'est pas malfaisante, et que de mauvaise huile vous occasionne des rap- ports désagréables et trouble la digestion (1). (1) L'huile d'olive même, gardée plus de dix huit moi!, perd de sa bonté, et peut devenir malfaisante. Il n'en est pas de même de l'huile de faîne ; mais en raison de cela, le manouvrier ne pourra pas plus y atteindre. « L'huile de faîne, au contraire, plus elle est gar- » dée, plus elle acquiert de bonté : elle peut suppor- ( i8o) CHAPITRE XVI. Du Danger des Peintures, et des Bois que l'on brûle après qu'ils ont été peints en vert. Uans un chapitre précédent, j'ai tâché de démontrer la nécessité où se trouvent les en- trepreneurs de peinture, de faire construire des machines pour éviter que leurs ouvriers ne soient atteints des miasmes dangereux qui s'échappent des couleurs qu'ils broient ou pilent; ce danger, comme je l'ai dit, est moins commun à la campagne; mais il en est un autre provenant des couleurs, qui expose aussi la vie des habitans des campa- gnes , et leur cause des douleurs longues et aiguës. Un vitrier de campagne, souvent pour s'attirer des pratiques, barbouille toute sa » ter le passage des mers; on peut en faire des ex- j) portations au dehors, s'en servir pour les voyages » de long cours, et sur-tout pour les embarque- » mens, auxquels elle peut deveuir une denrée de » seconde nécessité. » ( iSi ) maison , et quelquefois aussi celle de ses voisins'; ce ne sont pas les couleurs les plus fines qu'il emploie, au contraire, les moins chères sont justement celles qui lui convien- nent le mieux. Qu'en résulte-t-il ? c'est que ces couleurs répandent une odeur méphiti- que , leur donne quelquefois et toujours trop souvent des coliques, qui ne proviennent que des émanations de la peinture. Les personnes qui n'examinent point avec attention l'impression que fait l'odeur de la peinture sur le corps, concevront peut-être difficilement comment une maladie aussi cruelle lui doit son existence : cependant, si elles ont habité des appartemens nouvel- lement peints, elles auront nécessairement éprouvé des mal-aises, des maux de tête 3 des nausées même, qui n'auront disparu qu'en se remettant à Fair pur, et en y restant assez de temps pour que Fair vital ait repris dans leurs poumons la place de l'air méphitique qui s'y étoit introduit. Les peintres ou vitriers de campagne ne sont jamais assez riches pour avoir plusieurs pièces, et en sacrifier une pour contenir leurs couleurs ; ils enferment ce poison cjans l'en- droit où ils couchent, eux et leur famille, et C i8fl) toute la nuit ils respirent cet air mal-sain, s'inoculent dans les intestins le germe des co- liques nommées coliques de peintres, et qui sontmorteIles.il faut de toute nécessité qu'ils s'abstiennent de garder leur vessie de cou- leurs dans l'endroit où ils couchent, et, s'ils n'ont pas le plus petit réduit pour les serrer, qu'ils construisent dans la cour, ou devant leur maison , un appentis pour les recevoir. C'est bien assez d'avoir sans cesse sous le nez ( lorsqu'ils sont à l'échelle ) le pot de peinture rempli d'arsenic ou de toutes autres choses aussi malfaisantes. Qu'ils ne craignent point que la mauvaise foi vienne leur ravir leur propriété, s'ils sont obligés de les mettre dehors de leur maison : en général, le paysan respecte la propriété de son voisin; ils n'auroient donc à redouter que les vagabonds, qui errent la nuit, et une vessie de peinture ne peut exciter la cupidité ; il vaudroit mieux encore qu'ils éprouvassent ce léger tort, que de s'exposer à souffrir des maux inouis par Fodeur de leurs peintures et de leurs huiles, et de causerie même mal à leur famille. Lorsqu'un peintre est requis pour exercer Bon métier, il faut qu'il se prémunisse contre ( i85 ) , le poison qu'il va répandre, qu'il se parfume de vinaigre anti-putride, et sur-tout -qu'il s'abstienne de prendre du tabac lorsque ses doigts seront salis par la peinture. J'ai vu des peintres frotter leurs doigts sur leurs tabliers imprégnés de céruse ou d'ar- senic, et puiser ensuite dans leur tabatière du tabac qu'ils respiroient avec délices, sans songer qu'ils s'inoculoient avec, le poison le plus subtil. Il est un proverbe qui dit, fou comme un peintre. Je suis convaincue que la folie est un des malheurs qui peuvent accabler les peintres : la poussière de l'arsenic, de la gomme-gut, de la céruse , s'évâporant facilement, il s'en in- troduit dans leur cerveau, qui doit affecter leurs fibres, et les porte même à des violences qui tiennent à la crispation des nerfs du cer- veau , et qui doivent à la longue être con- tractées par la force de ces poisons. Si les personnes qui sont dans Fusage de faire peindre leurs apparteraens, réfléchis- soient que leur luxe seroit aussi satisfait si elles ne faisoient pas peindre à l'huile, elles éviteroient aux malheureux qu'elles em- ploient, de s'exposer, pour gagner leur vie, à finir leurs jours dans les douleurs et dans la ( i84 ) misère qui assaillent l'ouvrier privé d'ouvrage. Eh ! que peut faire un homme malade? Assuré- nu nt, elles consentiroient volontiers à faire ce léger sacrifice, qui n'en seroit point un à bien prendre^ puisque la couleur dite en dé trempe, quand elle est bien faite, dure trois ou quatre ans. Quel est l'homme riche qui reste aussi long temps sans rafraîchir par de nouvelles peintures son habitation (î)? (1) Il est à peu près inutile de démontrer davan- tage les dangers où l'on s'expose en faisant peindre ses appartenons à l'huile. Néanmoins, comme on rencontre trop souvenL des incrédules, je vais citer le rapport du doeteur Gàrdane, chargé par le Mi- nistre de la. marine d'examiner les causes des ma- ladies qui accablent les équi-pages de mef, dans dçs voyages de long cours. « Les accidens qui caractérisent la colique des na« » vigaleurs, sont l'amertume delà bouche, la teinte » jaune de la peau, celle du visage sur-tout", et dès » yeux ; l'abattement, le vomissement de-matières » vertes et porracées, et des douleurs'inouies, qui » sont presque toujours accompagnées d'un hoqUet » fréquent. Le pouls est constamment petit et serré; » le ventre quelquefois libre ,-mais plus souvent » constipé. Les douleurs, au rapport des malades, » paroissent être le produit d'une contraction forte, » semblable à l'eff dlu serrement, d'une cordeVMal- » gré cela ; le ventre n'est ni tendu, ni douloureux ( i85) L'autorité du docteurGardane, que je rap- porte en note, doit être d'un grand poids dans » au loucher ; et les crampes et les petits mouve- » mens convulsifs dont cette maladie est ordinaire- » ment accompagnée , ne paraissent que par accès. » Quoique le vomissemeut semble diminuer l'in- » tensité des accidens, bientôt la scène recommence; » et, dans le retour des douleurs, le ventre se colle, » pour ainsi dire , à l'épine. La constriction est » telle, qu'on a vu des hernies anciennes dispa- » roître , toutes les fois que les douleurs et les efforts » pour vomir s'annonçoient. La paralysie des ex- » ti émités supérieures, se joint encore à tous les » symptômes. » Cette colique n'atfaque pas indistinctement tous » les navigateurs : différente des autres affections » des gens de mer, elle se manifeste parmi les offi- » ciers, et point du tout chez les matelots. Les sujets » mélancoliques, ou qui, par paresse ou par goût, » sortent peu de leur chambre , y sont plus exposés » que ceux qui aiment la dissipation , viennent la » chercher sur les gaillards : enfin , cette maladie se » déclare plus souvent vers la fin de la campagne, » qu'au commencement................ » Les Tables Nosologiques, que j'ai publiées dans » mes Recherches sur la Colique des Peintres, ve- » noient confirmer mes observations, puisqu'il ré- n suite du relevé des malades reçus pendant plusieurs » années à la Cbarité de Paris, pour y être traués de » cette colique, qu'il n'en est aucun qui n'eût plus ( i»6 ) l'esprit de ceux qui tiennen t encore à faire pein- dre leurappartement en huile. Ildémoutre que » ou moins employé le plomb et l'arsenic dans ses » ouvrages. » Quelque favorable que fût cette présomption, » elle ne pouvoit se réaliser que par des faits.Voyons » ceux que nous fournissent les travaux des ports. » L'usage établi pour l'armement des vaisseaux , » est de les peindre en dehors sur toutes les parties de » sculpture : en dedans, on se contente de peindre » les côtes et la seconde batterie, sans aller jusqu'à » la première où couche l'équipage, parce que ce » seroit une dépense superflue. » Il en est autrement du logement des officiers, » de la chambre du conseil, de la grande chambre : » on les peint toujours à neuf, à l'armem en I de chaque » campagne. Ainsi, il n'est aucun endroit desliué'à » recevoir l'élat-major, qui ne soit plus ou moins » infecté des émanations de la peinture. • » Assurément, il n'en faut pas davantage polir » produire la colique dont il est question-, et, quand » même, à la rigueur, ces symptômes pourroient » par d'autres circonstances dépendre de toute autre » cause, ce qui est contraire à l'observation, on ne » peut disconvenir que dans le cas présent, celle qui j) les produit ne réside entièrement dans les prépara» » rations saturnines, >» Mais sans chercher des témoignages étrangers i » mon sujet, je dirai que les officiers éprouvent dans » les vaisseaux, dès le commencement de la cam- ( i87 ) Fodeur de la peinture peut leur être très-nui- sible , même dans un espace de temps assez » pagne, une sécheresse de gosier et de l'intérieur du » nez, souvent même un mal de tête si violent, occa- » sionné par l'odeur de la peinture à l'huile, que m plusieurs d'entr'eux ont demandé que leurs cham- » hres fussent peintes à la colle. » Maintenant qu'il est démontré que la peinture » à l'huile, dans les appartenons même , après un » assez long temps, est cause d'accidens et de co- » liques, il est facile d'expliquer pourquoi les offi- » ciers en sont plus tôt attaqués que les matelots ; c'est » que ces derniers, couchant dans le dernier entre- » pont qui n'est point peint, doivent nécessairement » en être exempts ; tandis que les officiers, qu'elle » affecte plus tôt et plus gravement, sont toujours » ceux qui ont séjourné trop long-temps dans leurs » chambres, au lieu de venir prendre l'air sur le m gaillard : et, si l'on voit cette maladie se manifester m plus à la fin de la campagne qu'au commence- « ment, c'est qu'à cette époque, ennuyés par la » longueur de la navigation, ils se réunissent bien » plus souvent dans les lieux destinés à les rassem- » bler; et que, soit par la confusion des diverses ha- » leines, soit aussi par le nombre des bougies qu'ils r> tiennent allumées, sur-tout l'hiver, au défaut de » feu, expressément défendu, de manière ou d'autre, » la chaleur qu'ils excitent volatilise davantage les » molécules saturnines, dont le mauvais effet au- jt gmente en proportion. » ( i«8 ) long, puisqu'il assure qu'après une longue na- vigation, le danger est encore plus, grand. Je désire que cela convertisse les gens opulens, et qu'ils ne fassent peindre qu'en détrempe; leur santé s'en trouvera mieux, et celle des ouvriers ne sera point compromise. A la campagne, dit-on, la peinture à l'huile est nécessaire pour conserver les boiseries : c'est une grande erreur; la peinture en dé* trempe procure le même avantage, et n'a pas l'inconvénient de vous priver d'habiter votre maison pendant des années entières. J'ai vu un de mes voisins être obligé de déserter de sa campagne, le printemps qui suivit l'hiver où il avoit fait peindre ; et l'année suivante quand on alluma du feu , l'odeur étoit encore insupportable; peut-être cette peinture avoit- elle coûté la vie à l'ouvrier qui l'a voit faite. Depuis ma plus tendre jeunesse, j'habite la campagne, et jamais, chez mes parens ni chez moi, l'on n'a peint à l'huile, si ce n'est les portes de dehors et les treillages ; et j'ai souvent vu, lorsque le soleil dard oit sur les treillages, et que le vent renvoyoit l'odeur, être obligée de fermer les fenêtres pour n'être pas incommodée. Lgrsqu'on répare à la campagne les treilr ( i8g ) lages, assez communément les débris appar- tiennent au jardinier; assez souvent aussi, c'est l'hiver qu'on fait ce travail pour ne pas fatiguer les espaliers : le jardinier emporte dans sa maison ces treillages, et, en prenant son repas lui et sa famille, se réchauffent au feu de ce bois couvert de peinture verte; la fumée enveloppe les enfans qui sont assis dans les coins de la cheminée; ils peuvent à Finstant en être asphixiés. Rien n'est plus redoutable que les vapeurs vénéneuses de ces bois peints avec du vert-de-gris, et l'impul- sion en est très-forte et trés-tubite. Il faut se garder de brûler ces treillages dans les chemines, réservez-les pour chauf- fer les fours, mais pour commencer seule- ment , et, lorsque le four blanchit déjà , il faut y mettre d'autre bois pour chasser la vapeur qu'auroit -répandue le premier, et sur-tout ne pas laisser à la bouche du four des parcelles de treillages, qui, lorsque le four seroit fermé, repandroient une fumée qui pourroit lui communiquer des miasmes dan- gereux. En général, à la bouche du four, il ne faut laisser que de la braise qui est pur- gée de toute odeur de fumée quelconque. ( '9° ) CHAPITRE XVI. Du Danger des Sueurs forcées. D'un autre Danger de renfermer chez soi les Ma- tières propres à produire /'Asticot. De celui d'avoir des Fleurs la nuit, dans l'endroit où l'on se îivre au Sommeil. .L'on est toujours maître de prévenir le mal en en évitant la cause, et je ne saurois trop le répéter: mieux vaut avoir recours aux préservatifs qu'aux curatifs. Les femmes, à la campagne, sont imbues d'un préjugé qui coûte toutes les années la vie à beaucoup de personnes. Ce préjugé est que, lorsque leurs maris ont une légère incom- modité, il faut provoquer la sueur : et, en gé- néral , à la campagne, on est persuadé que presque toutes les maladies se guérissent avec une sueur forcée : pour l'établir, elles étouffent de couvertures l'homme qui n'a qu'une légère indisposition ; elles le privent absolument d'air, lui font boire des tisanes échauffantes, et transforment un léger mal- aise en une maladie mortelle. C 191 ) Mais quand il seroit aussi vrai qu'il Fest peu, que la sueur est utile au commencement d'une maladie, le moyen qu'elles emploient pour la procurer, n'en seroit pas moins dan- gereux ; car la chaleur factice des couvertures, la précaution d'empêcher que Fair frais n'en- tre dans la chambre, font que par cela même l'air est bien plus corrompu ; donc le poids des couvertures, l'air étouffé et mal-sain sont deux causes capables seules de produire dans, un homme sain, la fièvre la plus ardente. L'on devroit sans cesse répéter aux habi- tans des campagnes que le bon air est aussi nécessaire à notre conservation que l'eau l'est au poisson; qu'aussitôt que l'air cesse d'être pur, nous souffrons beaucoup, et que ce qui le corrompt le plus promptement, ce sont les vapeurs qui sortent du corps de plusieurs personnes renfermées. Ainsi, comme un paysan n'a souvent qu'une seule chambre pour lui et sa famille, sa femme, en suivant la maxime que je condamne, peut, elle et ses enfans, prendre la même maladie que ses soins mal-entendus et mal-dirigés donneront à son mari. Dans le cas que je viens de décrire, il n« faut point avoir recours à des herbes échauf» ( 192 ) fantes, telles que le vulnéraire suisse, le sa- fran et toutes autres choses de cette nature, parce que cela resserre et diminue les sécré- tions, ce qui est un mal très-grand ; il faut au contraire tenir le ventre libre , rafraîchir le sang, lui rendre sa fluidité par des bois- sons composées de miel et d'orge; si c'est l'hiver, se tenir le moins possible auprès du feu , renouveler Fair, et, si la saison n'est pas trop rigoureuse, s'efforcer de sortir : à bien plus grande raison si, l'été, on éprouve des mal- aises, faut-il s'abstenir d'étouffer de couver- tures et faire boire des tisanes échauffantes. L'on pourra peut-être objecter que souvent les maladies se guérissent par les sueurs, cela est vrai, dans certains cas ; mais il ne faut pas que la sueur soit provoquée aussi fortement, parce qu'alors elle donne de la sécheresse au sang ; et l'on peut s'en convaincre lorsqu'après deux ou trois jours d'une fièvre occasionnée par des boissons échauffantes, par l'air étouffé de l'habitation , l'on a recours au chirurgien, qui, dans ce cas, saigne toujours. Le sang qu'il tire est échauffé et privé du fluide qui est nécessaire à sa circulation (1). (1) Si la sueur est nécessaire, il ne faut pas s'y prendre mal pour la faire venir j car en échauffant le J'ai ( '93 ) J'ai souvent formé le vœu que les curés de campagnes sacrifiassent un jour de chaque se- maine, à donner des instructions aux paysans qui sont sous leur direction, et je pense que, si mon voeu étoit exaucé, il en résulteroit un bien général. Il faudroit que ces instructions fussent simples, à la portée des auditeurs ; ils per- suaderoient aisément : car du moment qu'on a l'air de prendre intérêt à des hommes , on est sûr de captiver leur attention. Je voudrois que les pasteurs leur indiquassent les moyens de prévenir les maux qui les ac- cablent, écartassent d'eux des préjugés qui les malade, on le met en feu , on allume une fièvre pro* digieuse , et la peau reste extrêmement sèche. Si les malades suent abondamment pendant un ou deux jours, ce qui leur procure un soulagement do quelques heures, bientôt ces sueurs finissent san» que la réitération des mêmes remèdes puisse les rappeler ; alors, on double les doses ; on augmente l'inflammation : le malade meurt dans des angoisses horribles. L'on attribue sa mort à ce qu'il n'a pa» assez sué, tandis qu'elle dépend réellement de ce qu'il a trop sué au commencement, et de ce qu'il a pris des remèdes sudorifiques. Le docteur Dapples. i ( ig* ) entourent, soit pour leur santé, soit pour la direction de leurs maisons; que ces pasteurs prissent la peine de leur faire la lecture des li- vres qui traitent des moyens de conserver leur santé, de ceux qui traitent aussi de l'admi- nistration de leurs maisons, de leurs terres, de la conservation de leurs bestiaux. De tels hommes qui consacreroient ainsi leur temps , seroient les consolateurs de leur pays. Dans les cantons avoisinant des étangs et des rivières, il existe une branche de com- merce à laquelle se livrent les paysans; le bé- néfice assez fort qu'ils en retirent, les y engage. Ce commerce n'a lieu que vers le milieu du printemps;, et encore plus dans les chaleurs de l'été : c'est la pêche des grenouilles. Pour attirer cet animal , ils amassent ce qu'on appelle de Y asticot. Pour s'en procurer , ils font magasin de chair d'animaux morts, et, lorsqu'ils n'en ont point, ils achètent chez les bouchers des intestins qu'ils étendent sur leurs planchers. Les mouches s'y atta- chent en quantité et ont bientôt engendré les vers qu'ils emploient pour appât. Ce n'est pas tout, ils partent de grand matin avec cette provision , laissent cette charogne dans leur demeure hermétiquement fermée. Le soir, ils ( 195 ) reviennent chargés de grenouilles qu'ils dé- pouillent à l'instant ( ne vendant que h train de derrière); ils mettent proprement la par- tie qu'ils destinent à la vente, et amoncèlent sur les charognes l'autre partie pour se pro- curer plus de vers et recommencer Je lende- main leur pêche. Qu'arrive-t-il ? cette cha- rogne, les débris de cet animal aquatique, donnent une odeur infecte, corrompent l'air, répandent des miasmes méphitiques snr la f partie destinée à être vendue, et toute une famille respire pendant un été entier cet air infect et pestiféré. A la fin de l'été ils sont accablés de fièvre, leur peau est livide; sou- vent il leur pousse des boutons scorbu- 1 tiques , et ces maux sont occasionnés par l'imprudence qu'ils ont commise de conserver dans leur habitation des choses dont la pu- | tréfaction peut occasionner une épidémie. Les j administrations devroient surveiller et s'op- posera ce que de pareilles choses se passassent chez des gens qui ne sentent pas la consé- quence du mal qu'ils peuvent faire, et s'y li- vrent eux-mêmes sans crainte. * A la campagne que j'habite, passant sou- vent devant la makon d'un de ces pêcheurs , je fus suffoquée de l'odeur; j'y entrai, et ne 12 ( '96 ) fus pas peu surprise de voir sous la huche où il renfermoit son pain, un amas de débris de grenouilles, mêlés avec des tripes fourmil- lantes de vers. Comme c'éloit nu de mes lo- cataires, je le menaçai de lui donner congé s'il conservoit dans sa maison cette charogne. La crainte de perdre ses vers et de déménager lui fit mettre son dépôt à la porte de la mai- son, et toute la rue en fut infectée. Le dan- ger étoit moins grand, parce qu'il y avoit un courant d'air; néanmoins il y en avoit en- core : le mal étoit à son comble chez cet homme imprudent, ses enfans étoient tous malades*, et un d'eux en mourut. Il seroit important que les administra- tions exigeassent que les débris de ces gre- nouilles fussent déposés sur les chemins qui conduisent aux étangs, aux rivières; les vers s'y engendreroient de même, et les pay- sans qui se livrent à cette occupation, ramas- seroient sur leur route l'appât dont ils ont besoin, et Fair de leur habitation ne seroit pas corrompu. C'est dans les pays plats que se trouvent les rivières et les étangs; consiquerament Pair y' est moins pur, plus épais, que dans ceux qmsontsur des hauteurs ou à mi-côte. Qu'o; 1 ( 197 ) juge à quel point les habitations deviennent mal-saines,si à la nature du sol on joint en- core des matières infectées qui corrompent l'air et le rendent insupportable à respirer. Combien on devroit avoir d'obligation à des hommes qui emploieroient leur temps à dé- montrer aux gens peu instruits, ce qui peut- nuire à leur santé, plutôt que de s'attacher à reconnoître quels sont les remèdes et les traitemens de toutes les maladies! De tels hommes seroient bien précieux; car, prévenir vaut mieux que guérir. L ne chose beaucoup moins répngnanîe que celle que je viens de décrire, mais qui est tout aussi dangereuse, ce sont lefi fleurs que l'on renferme la nuit dans l'endroit où l'on se livre au sommeil. Y pensez-vous, me dira-t-on? les habitans de la campagne ont-ils le temps de cueillir des fleurs et d'en orner leur chaumière ; cela même leur viendra-t-il à l'idée? Non pas les pères et mères ; mais les en- fans encore trop jeunes pour être employés à de grands travaux, vont au bois faire de l'herbe pour les lapins^ ils y rencontrent de l'aube-épine, des genêts, des chèvre-feuilles sauvages, des églantiers ; ils en font des fagots et lca emportent chez eux. Arrivés à le m de- (198) rfieure, s'ils n'ont pas de vases pour les con- tenir, ils. vont chercher de la terre qu'ils mouillent et réduisent presqu'en liquide; ils y fichent leurs brins d'épines, de genêts, etc.; ils font enfin ce qu'ils appellent un jardin, tant la nature a inculqué dans tous les coeurs l'amour qu'on doit lui porter, et le seul qui constitue le bonheur ! Le jardin des enfans est conservé parleurs pères et mères, de qui il récrée la vue et l'o- dorat ; ils craindraient même de les affliger en le leur détruisant ; les enfans se couchent avec satisfaction, les pères et mères avec sécurité, et la nuit ils pompent le poison des fleurs. Le chèvre-feuille des bois et le genêt sont deux somnifères subtils ; l'aube-épine porte une odeur qui affecte fortement le cer- veau : il est donc essentiel de faire connoître aux habitans des campagnes, les dangers qu'ils courent, en souffrant de ces fleurs dans leurs chaumières. Il est peu de personnes aujourd'hui tant îoit peu instruites, qui ne soient convain- cues que les fleurs, le jour, portent un par- fum qui rafraîchit Fair et le rend plus léger. mais qu'aussitôt que la nuit est arrivée, ces mêmes fleurs font plus de mal qu'elles n'ont procuré de bien. C 199 ) CHAPITRE XVII. De la nécessité de prendre des Rafraîchis- sans dans les commencemens du Prin- temps. Danger que Von court en curant les Puits couverts, et à pompe , ainsi que les Puisards. Moyen indiqué pour * s'en garantir. Il est d'usage au printemps, pour prévenir les maladies des bestiaux, de leur donner des herbages rafraîchissans; par ce moyen, on évite des saignées quelquefois meurtrières. Pourquoi les hommes ne suivroient-ils pas le même usage pour eux et leurs enfans?, Les hommes et les animaux sont sujets aux mêmes infirmités, aux mêmes accidens ; pour- quoi donc ne prendroient-ils pas les mêmes précautions? Mais l'homme insouciant sur lui-même, l'est beaucoup moins pour ses bestiaux ; il craindra de laisser boire son cheval s'il a trop chaud, et lui-même, étant en sueur, avalera un verre de bière , du vin à la glace, de l'eau de source même, s'il se trouve dans les chamrjs lorsqu'il est pressé ( 200 ) par la soif. Il en résultera le même mal pour lui que pour son cheval ; une maladie mor- telle peut être la peine de son imprudence. Les femmes qui sont spécialement chargées par la nature de veiller à la conservation de la santé de leurs époux et de leurs en- fans, devroient, au printemps,leur préparer des boissons rafraîchissantes, composées de miel et d'un peu de vinaigre, de chicorée sau- vage, des bouillons aux herbes avec force laitue et du cerfeuil; cela donneroitdu fluide à leur sang, les fortifieroit et les mettroit dans le cas de supporter les travaux auxquels la saison les force de se livrer. Il est incontestable qu'un homme qui aura passé une partie de la saison rigoureuse de l'hiver sans travailler, que l'ennui aura ac- cablé, qui aura peu ou point fait d'exercice, aura les humeurs épaissies, le sang beaucoup plus lourd; et que, le printemps le rappelant à ses travaux, il éprouvera nécessairement des mal-aises et des indispositions qui le for- ceront à se renfermer de nouveau dans sa chaumière. Eh bien, si la femme a prévenu ces accidens en lui donnant quelques bois- sons rafraîchissantes, en l'engageant à pren- dre quelques bains de pieds, elle préviendra ( 201 ) es accidens, et le reste de la saison, son mari pourra continuer ses travaux sans in- terruption. Les femmes qui sont assez heureuses pour être épouses et mères , doivent sans cesse veil- ler à la conservation de la santé de ceux que la nature a voulu qu'elles soignassent. Elles doivent au commencement du printemps , examiner la bouche de leurs enfans , pour s'assurer si elle n'offre rien d'inflammatoire; elles doivent aussi prendre garde si leurs yeux ne sont pas ternes, et si leurs urines sont trop claires ou trop épaisses ; s'ils se livrent moins à l'exercice, s'ils sont assoupis après les repas , s'ils sont en dégoût et s'ils sont tristes, tout cela doit leur inspirer de la défiance, et leur persuader qu'ils ont besoin de préservatifs pour éviter une maladie prête à Se manifester. Dans ces cas. il faut user de la plus grande propreté, laver souvent les pieds des enfans et même tout'leur corps; leur faire souvent respirer du vinaigre, leur en frotter les mains les aisselles; 1rs laisser moins manger que de coutume ; leur donner souvent du miel qui leur tiendra le ventre libre; leur composer une boisson de miel, et d'une ou deux cuillerées ï * ( 202 ) de vinaigre, selon la grandeur du vase qui la contient ; ne pas leur épargner les bois- «onsrafraîchissantes : et s'ils doivent avoir une maladie qui force d'avoir recours aux gens de Fart, les préservatifs ayant nétoyé le corps, diminueront sensiblement le mal s'ils ne le préviennent pas absolument. Dans le temps qu'on emploiera à pren- dre ces tisanes et bouillons rafraîchissans, il faut éviter de boire de la bière, ou toutes autres liqueurs fermentées, qui, dans le mois d'avril et de mai,, éprouvent une nouvelle fermentation ; souvent les incommodités qu'on ressent au printemps , ont pour principe Fusage de ces boissons. C'est ordinairement au printemps qu'on vide et nétoie les puits. Si ce sont des puits fermés et à pompe, prenez la plus grande précaution; il ne faut pas descendre dans le puits aussitôt qu'il aura été découvert, car nécessairement il en sort à cet instant des émanations dangereuses, et il n'est pas d'année qu'il n'arrive quelques malheurs, provenant du récurage des puits (1). Il est (1) Le Journal |de Physique rapporte que « un i> particulier d'Alais en LanguedoG, fit curer un » puits couvert^ et où l'on avoit mis une pompe: ( 203 ) donc de la prudence de laisser renouveler Fair dans un puits qui est constamment cou- vert, qui a une pompe. Il est aisé de con- cevoir que l'eau d'un puits couvert, devient pour ainsi dire stagnante , et que , lorsqu'on Fa ouvert pour parvenir à le curer, il en doit sortir nécessairement des miasmes mé- phitiques ; il est donc de la prudence de lais- ser un puits construit avec une pompe au moins vingt-quatre heures découvert avant d'entrer dedans, et l'on ne seroit pas accusé de trop de prévoyance, de jeter au fond, ainsi que plusieurs médecins Font recom- mandé, deux ou trois seaux de lait de chaux ; ilfaut même jeter au fond de la chaud vive, si l'on soupçonne que des animaux ont pu y tomber et y être putréfiés. » quand on eut remué les immondices, il s'éleva du j» fond une vapeur infecte qui fit périr l'ouvrier qui » y travailloit. Un second, voulant aller le secourir, » tomba mort sur le premier : un troisième, attaché » par une corde, et retiré le plus promptement pos- » sible, perdit l'usage des jambes et des bras, et m mourut ensuite. En 1737, cinq personnes pé- » rirent également dans un puits couvert, que l'on » faisoit nétoyer, au couvent des Ursuiines de Saint- » Denis. ». C ao4 ) Les puisards sont au moins aussi danse- reux à curer, même après les grandes pluies. M. Cadet de Vaux a donné l'explication la plus claire sur cela; et son Mémoire devroit être dans les mains de tous les propriétaires qui font faire de pareils ouvrages. Pour ga- rantir des émanations malfaisantes (i), les précautions ne coûtent pointa ceux qui ont assez d'humanité pour faire cas de la vie de leurs semblables. Lorsqu'un ouvrier sort d'un puits fermé, et à pompe, ou d'un puisard, il faut faire un bon feu, dans telle saison que cela soit, pour le sécher et évaporer les miasmes dont ses on 1 imprégnés ses vêtemens. (1) «Ces émanations sont l'air fixe, l'air inflam- » mable, l'air hépatique, tous tr'ès-dangereux par » eux-mêmes, et qui le deviennent infiniment da- » vantage par le dégagement de la putridité que )) fournit la corruption des substances animales. JL'ac- 3) cident arrivé dans l'égoût de la porte Saint-An- » toine, où quatre hommes ont péri, et où cinq » autres ont manqué d'être asphixiés, est l'effet du n concours de ces circonstances. Cet égoût recevoit » des eaux de blanchisseuses, du sang et des immon- » dices des boucheries ; et le mélange qui en est ré- » suite, pour y avoir séjourné un mement, avoit î> acquis une intensité étonnante de méphitisme. » (205 ) Les ouvriers qui se livrent à ces travaux, doivent avoir attention de ne po'nt les com- mencer à jeun, et sur-tout de ne point boire d'eau-de-vie. L'on croit que c'est un préser- vatif, et l'on se trompe fort. Il faut, avant d'entrer dans un puits de la nature de ceux que je viens de décrire, ou dans un puisard, qu'ils se remplissent légèrement l'estomac avec des choses arrosées de vinaigre; qu'ils se frottent le corps, les mains, les tempes avec du vinaigre anti-putride; qu'ils en aient une éponge imprégnée dans leur estomac, et qu'ils en aspirent le plus souvent possible. Avec cette précaution, ils éviteront les maux qui les accablent trop souvent, en faisant de tels ouvrages. C'est aussi dans les commence mens du printemps qu'on pêche dans les étangs; et pour y parvenir, on est quelquefois obligé de les mettre à sec. S'ils sont très-vaseux, le pois- son, pour échapper aux filets, s'introduit dans la vase, et il est rare qu'on retire tout ; cela n'est pas même de l'intérêt du propriétaire. Les enfans guettent cet instant pour aller chercher du poisson, et en emporter chez leurs parens : ce poisson, par lui même, n'est pas sain, s'il a séjourné dans la vase. 11 con- ( 206 ) serve même un goût désagréable qu'il ne perd pas toujours en le faisant dégorger: et comment le faire dégorger, s'il est mort ? Il y a du danger à manger de ce poisson; et il y en a encore un non moins grand , à laisser sécher sur le corps des enfans les vêtemens avec lesquels ils sont entrés dans cette vase. En général ^ les étangs corrompent l'air; et il est démontré, par les registres des sépultures de campagne, que dans les endroits où il y a des étangs, le nombre des morts est plus considérable que dans ceux qui en sont éloignés : en effet, ces amas dJeau stagnante étant multipliés, doivent rendre l'air mal- sain et maladif. _ Il seroit à désirer que le Gouvernement jetât un oeil protecteur sur ces campagnes, et qu'il fît rendre à l'agriculture les étangs qui sont inutiles, pour l'écoulement des eaux provenant des terres. ( 207 ) CHAPITRE XVIII. Du Danger de la Poussière de la Chaux 3 employée pour les Semences s et Moyen de s'en garantir. L'attention qu'on porte à se préserver des maux qui accablent tous les hommes, est ordinairement suivie des plus grands suc- cès ; et le père de famille qui a pris les pré- cautions nécessaires pour se maintenir en santé, qui en a fait contracter l'habitude à ses enfans, leur laisse après lui plus que de la richesse , puisqu'il leur aura montré le grand art de prolonger leur vie sans dou- leurs et sans accidens ; et de pourvoir à leur subsistance, sans être o"bligés de sacrifier les fruits de leurs travaux, pour se soulager dans leurs maladies. Que coûtera-t-il â un habitant de la cam- pagne pour conserver sa san té ? — Des soins, des précautions, quelques légers préserva- tifs qui ne le gêneront point dans les pro- duits de ses travaux. Qu'il fasse ensuite la comparaison de ces précautions, bien faciles ( 208 ) à prendre, avec le temps qu'il passeroit en maladie, pendant lequel temps il ne gagne- roit rien : de plus, la dépense pour les drogues et pour le chirurgien. Souvent, hélas ! une longue maladie réduit une famille à l'in- digence; ilfaut les plus grands sacrifices pour arracher à la mort le chef de cette famille ; et lorsqu'il est en convalescence, la misère l'as- saille; il est hors d'état de se donner les dou- ceurs nécessaires et indispensables pour ré- parer ses forces anéanties par le mal. Ses moyens sont insunisans : une langueursuit la maladie; et apiès avoir épuisé toutes ses ' ressources, il succombe"sous le poids de son infortune.Voilà le tableau , malheureusement. trop fidèle, de l'imprévoyance des hommes qui croient, en santé, que jamais la maladie ! ne pourra les atteindre ; et qui, faute de suivre des conseils salutaires , laissent prendre au mal tant d'empire sur eux, qu'il n'est quel- quefois plus possible de leur porter du sou- lagement. Les charretiers et les laboureurs sont ex- posés en automne, temps des semences, à gagner des toux opiniâtres , qui, quelquefois, dégénèrent en catarrhes. En voici la raison : De temps immémorial, on a chaulé" les ( 2o9 ; bleds; et de temps immémorial, les semeurs ont été exposés à en être incommodés. Le mot chauler vient de la chose même : on éteint de la chaux; on y trempe le grain qui s'imprègne de cette poussière ; on ensache le grain, et le semeur puise dans le sac, qu'il ne peut ouvrir sans être couvert de poussière de chaux. J'ai vu des semeurs, par de grands vents, avoir leur cheveux aussi poudrés que s'ils avoient remué de la farine. Je ne prétends pas détailler ici les désa- vantages de cette manière de chauler; j'ai traité ce chapitre dans mon Recueil d'Eco- nomie Rurale et Domestique ; et j'ai in- diqué une autre manière, que j'ai éprouvée avec succès depuis vingt-cinq ans; mais je veux démontrer aux cultivateurs à combien de maux ils exposent leurs semeurs, en s'obsti- nant à se servir de chaux. Rien n'est aussi mal-sain que la poussière provenant de la chaux; et dans le temps des semences, les vents sont presque toujours violens; consequemment la poussière delà chaux qui enveloppe le grain , s'échappe , entre dans le nez, dans la bouche, pénètre jusqu'aux, poumons; et souvent, quand un semeur a commencé à la première attelée, ( 210 ) qu'il rentre à onze heures pour diner , il a assez parcouru d'espace en face du vent, pour avoir avalé et respiré assez de chaux pour lui faire infiniment de mal. Comment parer à cet accident, me direz- vous? car enfin, comme vous le remarquez, de temps immémorial, on emploie la chaux pour préparer les grains. Et si je me refuse à gagner ma journée pour ensem-ncer la pièce d'un cultivateur, assez d'autres,moins crain- tifs, me remplaceront, et )'aurai manqué à gagner dans un temps où l'hiver, s'avançant à grands pas, vadou bler mes besoins. Je pense bien qu'on pourra faire cette ob- servation , tant que les cultivateurs s'obstine- •ront à chauler leurs grains, et que l'ouvrier aura besoin du cultivateur pour gagner sa jour- née ; mais, au moins, que le semeur prenne des précautions pour se garantir des maux que peut lui occasionner la poussière de chaux. Un ouvrier qui aura beaucoup d'arpens de bled à semer, peut faire la légère dépense d'un masque, ressemblant à ceux que les gens riches mettoient sur leur visage lorsqu'ils se fai- soient poudrer. Ce masque a des yeux de verre, et enveloppe le visage de manière à ce que la poussière ne puisse pénétrer. Qu'il l'emploie. (211 ) Ce seroit une dépense peu coûteuse ; et ce mas que pourroit servir plusieurs années de suite. A l'époque des semences, la température est assez froide pour que le semeur soit vêtu de sa veste, qui est toujours de laine. Alors, la poussière s'y attache; il rentre à la ferme sans s'être secoué ; il se met à table , rempli de chaux. Cette poussière, extraordinaire- ment fine, se répand sur son manger, entre dans son estomac avec les alimens, et lui fait beaucoup de mal. Il faut, pour éviter cela, qu'avec la précaution du masque, il mette une blouse par-dessus sa veste; et que, lors- qu'il aura fini ses semences, il la retire, se- coue bien ses cheveux, et se lave les mains, avant de manger. Cette précaution est bien peu de chose, et peut lui éviter une toux opi- niâtre et des douleurs de poitrine très-fati- gantes. Ce n'est jamais impunément qu'on introduit dans les poumons des corps étran- gers et malfaisans. ( "2 ) CHAPITRE XIX. Précautions à prendre lors du Rabatage des Maitres. Du Danger des Chan vrières. Moyen de s'en garantir. Lorsque l'hiver commence de bonne- heure, qu'il est pluvieux, et, qu'en raison de la mauvaise saison, les maitres dans les pièces de bled n'ont pu être rabattus, l'on profile d'un moment d'interruption de pluie pour les faire ; mais alors les terres sont molles, l'atmosphère est humide, et l'ouvrier qui est chargé de cette opération, revient à sa chaumière, trempé jusqu'aux os. Il faut, aussitôt qu'il a quitté les champs, qu'il change de vêtemens, s'il en a la possi- bilité ; et, si cela lui est impossible, qu'il n'attende pas que son souper soit prêt pour se coucher. Il est absolument nécessaire pour la conservation de sa santé, qu'il se mette au lit pour rétablir la transpiration insen- sible, que l'intempérie de la saison aura sup- primée, et qu'une chaleur douce lui fera recouvrer; sans quoi, il s'exposera à des ( ai3) . rhumes , que la dureté que le paysan a pour lui, rendra très-dangereux. J'en ai vu se refuser obstinément à boire de Feau miellée, qui auroit pu les soulager; et préférer pendant tout un hiver, de tousser, plutôt que de s'astreindre au moindre régime : aussi, au bout de deux mois, ils étoient exté- nués , et a voient la poitrine extrêmement fa- tiguée. Ce sont ces incrédules qu'il faudroit corriger. J'ai vu aussi des paysans, dans des hivers humides, temps où les bestiaux restent dans les étables , s'enfermer dans les écuries , y manger leur pain, et souvent après, s'ye n- dormir. La mauvaise manière qu'ont encore beau- coup de fermiers de laisser la litière sous les bestiaux, pour que les fumiers soient plus imprégnés d'urine; la chaleur consi- dérable des étables privées d'air , faisant corrompre promptement le fuinier, il s'en exhale bientôt des vapeurs putrides qu'on ressent, en y entrant, aux yeux, aux lèvres, et qui étant respirees avec les alimens, ne peuvent manquer d'être nuisibles, sur-tout dans les mauvais temps. II vaut mieux souffrir un peu du froid, qu© ( 2l4 ) de s'exposer, pour s'en garantir, d'aller pom- per un air aussi méphitique, qui, joint à l'inaction que la saison impose aux ouvriers, ne peut manquer de leur causer des mala- dies , qu'ils évitent dans une autre saison , par l'exercice auquel ils se livrent. Un danger qui entoure les habitans de la campagne, dont ils ne se doutent pas, et qui pourtant est en partie cause, dans les mois d'août et de septembre, des fièvres pour ainsi dire épidémiquesqui affligent les paysans; ce sont les ruisseaux , mares et petites riviè- res où ils font rouire le chanvre. Il n'est au- cune personne qui, passant près de l'endroit où du chanvre est mis à rouire , n'ait ressenti une odeur suffocante. Que seroit-ce pour l'ouvrier qui se plongeroit dans ce bourbier pour l'en retirer ? S'il ne prend pas de pré- caution , il peut lui en arriver beaucoup de mal. Il faut, lorsqu'on relire le chanvre de Feau, se parfumer de vinaigre anti-putride, avec la même attention que lorsqu'on cure un pui- sard; être absolument nu pour entrer dans Feau, et avoir un baquet plein d'eau pure, pour se bien laver lorsqu'on aura fini de ti- rer le chanvre ; se bien garder de porter les ( 215 ) / poignées de chanvre dans les maisons, avant qu'elles aient été assez frappées (Je l'air, pour que les émanations pestilentielles qu'elles ren- ferment soient évaporées. — Je Fai dit, et je ne cesserai de le répéter : le paysan, livré par état à un exercice continuel qui dissipe les humeurs , prolongeroit la durée de sa vie, et la passeroit sans douleurs, s'il vouloit pren- dre les précautions nécessaires pour y par- venir. CHAPITRE XX. Danger des Odeurs des Genêts et Roseaux enfermés. Moyen de s'en garantir. Dan- ger des Fourrages rentrés avant d'avoir jeté leur feu. Moyens d'y parer. U an s'les pays entourés de forêts, les pau- vres vont ordinairement y chercher leur chauffage de toute l'année. Il leur est ab- solument défendu , pour la conservation des bois, d'en couper de vert; mais les genêts et les roseaux des mares sont à leur dispo- sition : ils en font des fagots qu'ils enfer- ment dans leurs maisons, situées par-bas,- ( 216 ) et par conséquent dans une position humide. Le genêt, les roseaux des mares, entassés les uns sur les autres, fermentent et répan- dent une odeur qui est très-dangereuse la nuit. Qu'on s'en fasse une idée, comparati- vement aux bois déjà secs qu'on enferme dans les caves, et dont Fodeur corrompt le vin. Ces fagots, j'en conviens, sont d'une grande ressource pour les pauvres ; mais ils leur se- ront aussi utiles s'ils les laissent faner, soit dans leur cour , soit à la porte de leur habi- tation : ils en retireront même plus de bé- néfice lorsqu'ils seront séchés. Leur intérêt et leur santé exigent donc qu'ils prennent cette précaution, qui n'est pas bien pénible. Dès que nous avons appris à connoître par l'expérience et l'observation sur nous-mêmes, et par ceux qui nous entourent (etcela n'est ni long, ni difficile), les maux et les maladies qui résultent des exhalaisons malfaisantes des variations de l'atmosphère, du travail et du repos, de la trop grande quantité d'âli- limens et de boissons, de leur trop petite quantité et de leur mauvaise qualité ; nous pouvons, sans être médecins, prévoir ce qui peut nuire à notre santé. Tout C 217 ) Tout le monde sait que la trop grande chaleur fait éprouver des maux de tête, et un mal-aise universel, le relâchement des fibres entraînant une grande foiblesse. Joignez à cela les exhalaisons malfaisantes qui rendent Fair maladif; à plus forte raison, quand les vapeurs de notre corps se mêlent à ces odeurs putrides que nous renfermons dans nos maisons : et jugez si, à la fin de l'été, temps où les paysannes et leurs enfans vont chercher ces fagots de genêts et de ro- seaux , elles ne s'exposent point à se faire plus de mal , qu'elles ne se procurent de bénéfice ? Ce bénéfice sera le même , si elles s'abstiennent d'enfermer leurs fagots dans leurs chaumières; et le danger n'existera plus. On doit sentir que le mal sera plus mar- qué , plus violent, pour des gens qui viennent de travailler fort; qui sont fatigués, et qui vont respirer un air corrompu en sortant du grand air : ce mal sera plus subit et plus grave si l'on est en sueur. Les chaumières, par leur construction , par leur peu de fenêtres, qui ne permet pas que l'air s'y renouvelle continuellement, sont plus exposées à recevoir les impressions & ( ai» ) du mauvais air, produit par les odeurs fortes et les vapeurs émanées des corps. J'ai, dans un précédent chapitre, rendu compte des dangers auxquels on s'exposoit en se livrant au sommeil dans des pièces de trèfle; mais bien plus grand encore est celui que courent les pauvres des campagnes, qui s'occupent, eux et leurs enfans, lors de la récolte des prairies, d'aller glaner le fourrage échappé au râteau du propriétaire. L'on sait que du foin, rentré dans les gre- niers avant d'avoir jeté son feu, entraîne avec lui les plus grands accidens : outre celui de s'échauffer, démettre le feu, il répand encore une odeur d'une force étonnante ; et cependant, ce foin, ce trèfle, cette lu- zerne, sont dans des greniers aérés : que sera- ce, quand, sans avoir eu le temps de les faner, ce foin, cette luzerne etc., seront apportés par bottes, et "entassés dans des maisons où toute une famille passera la nuit? Je suis encore à concevoir comment il n'arrive pas de plus grands malheurs, avec aussi peu de prévoyance. Le danger d'enfermer ces fourrages dans les demeures est imminent, quand le temps est beau; et il n'a point de nom, quand la ( 219 ) saison pluvieuse rend la fanaispn difficile. Comment parer à cet inconvénient, pour ceux qui ne possèdent qu'une seule pièce, où ils sont obligés de loger toute leur fa- mille, qui, étant nombreuse, aura plus tra- vaillé , et ramassé plus de fourrage ? Les en priver, c'est leur ôter une ressource pré- cieuse ; ne pas leur en montrer le danger, c'est les exposer à une asphixié mortelle. Je ne connois qu'un seul moyen , le voici : Dans tous les villages, il se trouve des ter- rains vains et vagues, des pièces de gazon même, où les mégissiers font sécher leur laine ; ces laines restent exposées la nuit, et sont respectées : le foin du pauvre de- vroit l'être encore davantage. Chacun pourrait adopter un canton pour mettre son fourrage faner et jeter son feu. La conservation de sa santé le lui prescrit; son intérêt l'exige, parce que ce foin, qui ne sera point échauffé, ne prendra point de mauvais goût; et il sera sûr de le vendre aussi cher que celui du cul- tivateur, ce qui n'arrive jamais; le glanis , en raison de ce qu'il n'a pas été frappé par Fair, ayant une odeur qui rebute les bestiaux ; et ceux qui l'achètent, faisant entrer cette con- sidération dans le prix qu'ils en donnent. k s ( 220 ) Deux avantages réels résultent du moyen que je propose : conservation de la santé et produit plus considérable. C H A P I T R E*X X I. De la Petite-Vérole , et de la Vaccine comme préservatif. L'on est maintenant bien convaincu qu'il vaut mieux prévenir le mal que de l'atten- dre ; et le succès qu'a obtenu la vaccine, depuis quelque temps, a démontré jusqu'à l'évidence qu'il n'y avoit point de maladies, si affreuses qu'elles fussent, qu'on ne par- vînt, avec des soins, à détourner. Il est peu d'enfans qui ne soient atteints de la petite-vérole; et, dans une nombreuse famille, si l'un prend cette maladie, tous les autres en sont bientôt attaqués. L'habitude qu'ont les gens de la campagne d'étouffer leurs enfans, de les priver d'air, de ne leur donner que des choses échauffantes, f it que cette maladie devient toujours dangereuse. La vaccine est reconnue comme le meilleur préservatif contre cette maladie; et l'on ne ( 221 ) sauroit trop la recommander aux villageoi- ses , qui n'ont ni le temps, ni la possibilité de soigner leurs enfans pendant le long inter- valle de la petite-vérole, du jour où elle se manifeste, au jour où l'on est en convales- cence. Lorsqu'un enfant est vacciné, il n'est incommodé tout au plus que trois ou quatre jours; et encore, n'est-on pas obligé de le garder au lit. J'en ai vu qui ont été guéris de maux d'yeux, de boutons si opiniâtres, qu'ils pouvoient dégénérer en maladie de peau dan- gereuse. Maintenant, il n'est pas un chirurgien de village qui ne possède du vaccin ; et l'opéra- tion est si facile, qu'avec la moindre adresse j on peut y réussir. Outre l'intérêt de la santé, l'économie de la bonne ménagère y trouvera son compte : assurément, il lui en coûtera plus de temps et d'argent pour soigner ses enfans malades de la petite-vérole," qu'elle ne t dépensera pour les faire vacciner*. Les inconvéniens qu'on avoit craints dans * les premiers momens où la vaccine fut intro- duite, ont tous été détruits par les résultats Jieureux qu'elle a produits; et les plus fameux. * médecins ont prouvé victorieusement l'avan- tage de cette découverte. Voici comment le ( S2â ; docteur Decarro s'exprime sur les heureux effets de la vaccine. « Je n'ai pas encore observé la moindre » chose contraire à la propriété reconnue » de la vaccine ; et toutes les opinions que )) j'ai eu occasion de former à son égard, se » confirment de plus en plus : en un mot, je » suis convaincu qu'il n'existe aucun principe » en médecine , aussi régulier et aussi inva- » riable que celui de la faculté anti-vario- » lique de la vaccine; que tous les rapports » qu'on entend débiter à son désavantage )) sont faux et dépourvus d'authenticité; et )> que les cas où la petite-vérole est surve- » nue, ne sont dus qu'au manque des connois- » sances nécessaires aux vaccinateurs. La » multitude des observations que m'a four- » nies cette pratique, me les fait considérer )) comme fort étendues ; et je regarde comme .» » une témérité impardonnable de s'en mêler » sansenconnoître à fond tous les principes, m ( 223 ) CHAPITRE XXII. Danger du Feu , et Moyen de s'en garantir. Lj'on ne sera point surpris, je pense, de trouver dans cet ouvrage un préservatif con- tre le feu, car après les moyens de se conser- ver en santé , celui de conserver sa propriété doit marcher de suite. M. Sonnini , dont les travaux ont été tou- jours utiles à son pays, a donné dans le journal Physico - Economique , un moyen de préserver les chaumières des incendies, et de conserver pendant cinquante ans les toitures en chaume: des procédés aussi utiles devroient être répandus avec profusion, et les habitans des campagnes devroient les sa- voir tous. Mais, hélas ! ce ne sont pas de pau- vres villageois qui achèteront des livres ; il faut que des amis de l'humanité prennent la peine de leur indiquer les choses qu'il est d'une urgente nécessité qu'ils sachent. L'es - poir que j'ai que mon ouvrage pourra tomber entre les mains des personnes qui doivent ( 224 ) e'tre utiles à leurs semblables, m'a déterminée à indiquer le moyen que M. Sonnini indique; il est peu dispendieux, et l'habitant de la chaumière y trouvera la sécurité et l'écono- mie : je m'empresse de le communiquer de nouveau , les bonnes choses ne pouvant être trop connues. Le voici : « Personne n'ignore de quel usage est le » chaume dans les bâtimens rustiques, mais )) l'on sait aussi que cette matière, très-sus- » ceptible d'être enflammée par la plus lé- ); gère étincelle, occasionne souvent les plus )) terribles incendies; avec quel plaisir n'ap- » prendra-t-on pas que des plantes très- » communes offrent un moyen sûr d'empê- •» cher ces fâcheux accidens , en rendant en » même temps les toitures en chaume infi- » niinent plus durables. Une mousse, la fon- » tinale incombustible ( fonlinalis anti- » pyrilica) plante qui croît abondamment » dans les étangs, les fontaines, sur les » pierres des torrens, etc. , préservera le )) chaume des atteintes du feu, de quelque )) manière qu'il y soit apporté, il suffit de » l'étendre en couche de deux pouces d'é- v paisseur. Une autre mousse, espèce de » bry {tortula barbula ruralis 111 w., 5, / ( 225 ) » briyum rurale Dillers) , qui se trouve )) en grande quantité sur les arbres, étant w étendue sur le chaume, donne le même » résultat et lui procure une durée de cin- » quante à cent ans, au lieu de quinze à-vingt, » durée ordinaire de ses sortes de toitures. » Sans être précisément incombustible , » ajoute M. Sonnini _, cette plante brûle très- » difficilement. Les Lapons s'en servent pour )) garantir les parois de leurs cheminées en » boi3, afin de les empêcher de prendre feu; » il n'y a point de doute qu'une couche de » foriHnale incombustible ne puisse préser- )> ver les toitures de chaume, des incendies w que des étincelles ou des flammèches qui » y tomberoient, ne manqueraient pas d'y » occasionner. » Les villageois ont sous leurs mains ce pré- servatif, et je crois rendre service à cette classe intéressante et laborieuse, que de lui indiquer de nouveau un moyen qui présente de grands avantages et aucuns inconvéniens. R* ( 226 ) C H A P I T R E X X I I I. De la Piqûre des Vipères. De la Morsure des Chiens enragés ; et Moyens de se préserver des Suites. j_jors de la fanaison, et sur-tout de celle des bas prés, les paysans sont exposés à être piqués d'animaux malfaisans, tels que la vi- père; et souvent aussi, ils peuvent rencon- trer dans les champs, sur-tout dans les grandes chaleurs, des chiens enragés. Il n'y a point de préservatifs contre ces accidens, que la fuite, qui souvent devient inutile. C'est donc là le cas d'avoir recours aux cutatifs ; et je crois que celui que je vais indiquer sera d'une grande utilité aux habi- tans des campagnes, qui sont sans cesse dans les champs, et qui, lors des travaux, y restent très-tard, et y retournent de grand matin. Les plantes qui composent ce remède , naissent sons leurs pas, ainsi que beaucoup d'autres, qui leur sont pareillement incon- nue s. Voici ce remède : u Dès que le chardon rolant 3 l'herbe ( 227 ) » aux vipères, et la mélisse de Crète com- » mencent à monter en graines , on les » arrache et on les fait sécher à l'ombre ; » ensuite, on pulvérise les deux dernières )) en leur entier, et la racine seule de la pre- » mière. On passe ces trois poudres au ta- » mis ; on les mélange par tiers, et on les » conserve ainsi dans un flacon, bouché her- » métiquement. # )) La dose , pour les hommes, est depuis » un demi-scrupule jusqu'à un scrupule; et, » pour les animaux, depuis un demi-drachme » jusqu'à un drachme. w Immédiatement après la morsure ou pi- » qûre, il faut administrer au blessé cette » poudre, en observant les doses indiquées, n et continuer » soir et matin pendant neuf » jours de suite. » Rien n'oblige le malade d'observer une » diète exacte. » Le véhicule dans lequel on lui fait pren- » dre la poudre, est aussi très-indifférent. )> Les habitans de Hoga de Castilla, en » Espagne, connoissent ce remède, depuis » un temps immémorial, comme spécifique i) contre la morsure des vipères; et il a été )) employé avec succès contre la morsure des C 228 ) » chiens enragés, d'après les conseils du cé- » lèbre botaniste Cavanilles. Des personnes î) qui ont fait usage de cette poudre, aussitôt » la morsure ou piqûre reçue, ont été par- » faitement guéries, et, depuis huit ans , » n'ont ressenti aucun effet de leur accident ; » au lieu que celles qui n'en ont pris que » quelques jours après, sont mortes le qua- )> rantième joûY, avec tous les symptômes » de la rage. » Les, mêmes expériences out été répé- » tées, avec le même succès, sur des ani- » maux. )> La simplicité de ce remède, la facilité de se le procurer, et les résultats heureux qu'il a opérés, doivent engager les habitans des campagnes à recueillir avec soin les plantes qui le composent. Exposés par le genre de leurs travaux, aux accidens que je viens de décrire, ils seroient coupables de ne point se prémunir contre les suites dangereuses aux- quelles les exposent la morsure et la piqûre des animaux malades ou malfaisans. ( 229 ) CHAPITRE XXIV. Des Affections de l'Ame, et de l'Influence qu'elles ont sur la Santé. J_i es différens conseils que j'ai donnés dans cet ouvrage, démontrent jusqu'à l'évidence, qu'avec des précautions l'on peut prolonger le cours de sa vie et jouir d'une bonne santé. Dans les villes, il est mille motifs qui peuvent troubler les affections de Famé et déranger l'homme physique dans toutes ses fonctions ; les mêmes dangers n'existent pas pour les habitans de la campagne, dont les affections de Famé sont moins vives, parce que les occasions qui donnent l'essor aux passions , sont moins fréquentes. Les sentimens qui peuvent le plus influer sur le physique des habitans des champs, sont la joie et la tristesse; le sentiment de la joie leur est même plus familier. L'homme qui est sans cesse occupé n'a, si je puis le dire, pas le temps de se livrer aux chagrins qui accable si souvent les citadins. Si l'on examine la différence dûs effets ( s3o ) respectifs de la joie et de la tristesse, on se convaincra de l'avantage qu'il en résulte pour la santé, d'avoir le coéursatisf lit et Famé sans inquiétude. Il est indubitable que le chagrin épaissit les humeurs, et devient par consé- quent la source féconde des plus cruelles maladies. Le chagrin produit la phthisie et toutes les espèces d'obstructions. Les per- sonnes mélancoliques et accablées de peines sont sujettes à cette foule de maux. « Jetez les yeux, a dit un homme con- » sommé dans la connoissance du cœur hu- )> main, sur cet infortuné dont le cœur est » tristement abreuvé de fiel. Voyez comme » ses membres sont arides . comme son teint » est livide et pâle ; ses yeux renfoncés dans » leur orbite, ne semblent-ils pas être en- » tièrement éteints? Que sa peau, que sa y» carnation est jaune! que tout son corps » est exténué! Ce ne sont là cependant que » de foibles symptômes extérieurs des maux » affreux que l'intérieur recèle, » Les habitans de la campagne, ainsi que je l'ai dit, par leur manière de vivre, sont moins exposés aux chagrins violens, mais ils sont sujets à la colère, et la colère outrée peut causer la mort à l'instant, ou laisser des ( 23l ) traces qui vous font mener une vie pénible et douleureuse et abrègent la durée de vos jours. Des exemples funestes sont toujours la preuve de ce que j'avance. Les hommes de- vroient sans cesse avoir devant les yeux cette maxime : Frugalité, prudence et tempé- îence, conservent la santé. A la campagne, il n'est pas encore heu- reusement de mode de se marier quaad l'âge des passions est écoulé ; les pa}rsans ne savent point encore « qu'il faut filer les beaux jours » de la vie sans esclavage. » II est à désirer qu'ils l'ignorent toujours ; car un paysan n'est heureux, n'est au dessus du besoin que quand il a une femme pour avoir soin de son ménage, et des enfans pour l'aider dans ses travaux. Les mariages tardifs ne donnent point aux pères et mères l'espoir de vivre assez long-temps pour veillera l'éducation de leurs enfans. Les enfans qui viennent lard sont de bonne heure orphelins, dit un proverbe espagnol. C'est une réflexion triste à faire pour ceux qui s'engagent dans les lois „ de l'hymen après l'âge prescritpar la nature, au lieu qu'à ceux qui sont « mariés au matin » de la Yie, leurs enfans sont élevés et établis ( 202 ) » dans le monde à midi, et leurs affaires à » cet égard étant achevées, ils ont un après )) midi et une soirée de loisir agréables. » Il est de fait qu'un homme qui se marie de bonne heure, qui étudie soigneusement ce qui peut avoir rapport à sa profession, qui est laborieux et économe , deviendra riche ; et s'il est frugal et tempérant, il se conservera en santé. Cette conduite peut au moins permettre qu'on en augure ainsi. Il n'en n'est pas moins vrai que dans quel- que situation que soient placés les hommes, ils peuvent y avoir des désagrémens et des inconvéniens, mais la raison est là pour les aider à supporter les contrariétés de la vie, ils doiventse dire : « Danstelle société quenous » allions , nous trouverons des personnes et » une conversation plus ou moins aimables ; à » quelque table que nous nous asseyons, nous )) pouvons rencontrer des mets et des bois- » sons d'un meilleur ou d'un plus mauvais » goût ; dans quelque pays que nous demeu- » rions , nous aurons du beau et du mauvais » temps; quelque soit le gouvernement sous » lequel nous vivrons, il peut y avoirde # )> bonnes et de mauvaises lois, et ces lois » peuvent être bien ou mal exécutées. » (233 ) Si l'on faisoit ces réflexions, souvent l'on s'affecteroit beaucoup moins.L'homme raison- nable peut maîtriser les affections de soname. II est "certain qu'il est des individus qui, étant, par caractère, disposés à faire leur bonheur, ne considéreront que ce qu'il y a d'agréable dans toutes les choses ; et que par opposition, celui qui aura un caractère mé- lancolique observera le contraire, et ne s'en- tretiendra que de choses .toujours propres à augmenter sa douleur. J'ai vu des paysans rentrer dans leurs chau- mières, ne penser qu'aux maux attachés à leur position, se plaindre de leurs fatigues , voir avec chagrin leur femme et leurs enfans, tandis qu'ils alloient faire un repas qui pouvoit rani- mer leurs forces, rafraîchir leur sang, et que les embrassemensde leur femme, les caresses innocentes de leurs enfans dévoient répandre un baume consolateur dans leur ame. Il faut que l'homme se dise sans cesse, la nature ma placé dans telle position, mon bonheur dé- pend de moi ; s'il me survient des contrariétés, je leur opposerai le courage, je chasserai loin de moi le noir chagrin qui peut altérer m'a santé et me forcer à cesser mes travaux, la seule ressource de ma famille; leur existence ( 234 ) est dans mon travail ; continuons ce travail pour leur bonheur et pour le mien ; pour le mien, parce que toujours en paix avec moi- même, mon ame n'éprouvera point de sen- sation douloureuse et que ma santé n'en souf- frira point : car il est bien démontré qu'il règne entre les deux parties qui composent notre être, le spirituel et le matériel, un ac- cord si parfait, que Fon devient à l'instant malade aussitôt que le moral s'affecte au point de déranger le physique dans ses fonc- tions animales. Telles sont les invariables lois de la nature, qui a voulu que l'union de ces deux substances constituassent l'homme, et que l'une, quoique commandant à l'autre, ne lui en fût pas moins subordonnée. Ces mystères profonds de la nature sont impénétrables pour les humains; ils connois- sent seulement, trop souvent par expérience, les effets funestes que peuvent opérer les pas- sions mal ordonnées. II est donc de la prudence de maîtriser les passions dès leur naissance, de conserver la paix de Famé, la seule chose qui puisse faire supporter les maux et les contrariétés aux- quels l'homme peut être exposé dans le cours de sa vie. Ceux qui sont toujours mécon- ( 235 ) tens ne s'entretiennent jamais d'autres choses, et par leurs tristes remarques, ils troublent les plaisirs des sociétés où ils se trouvent. Si cef esprit malade leur étoit donné par la nature, ils seroient dignes de pitié; mais la disposition à se plaindre, à tout blâmer, commence par être une imitation et finit par être une habitude. Il est donc essentiel de s'en défaire, lorssp^on est convaincu qu'elle nuit à notre repos et peut influer sur notre santé. Il faut si peu de chose pour assurer le bonheur, que l'homme est bien coupable de ne pas faire ce peu de chose ! Au moral, on est heureux quand on est juste envers tous, et qu*on fait le bien qui est en son pouvoir. Il n'est pas nécessaire d'être riche pour faire du bien et être utile; l'homme,même pauvre, peut servir ses semblables en ne leur donnant que de bons exemples. En suppor- tant sa misère avec courage et résignation, il forcera ainsi celui qui sera moins pauvre que lui à comparer son sort au sien, et à se trouver heureux. Eh! quel bienfait peut être comparable à celui-là! La frugalité, pour le bonheur physique, est ( 236 ) une des principales causes. Jamais un intem- pérant ne'digère bien ; son sommeil est sans cesse troublé par des rêves effrayaris ; loin de se reposer, il fatigue plus que lorsqu'il veille; il pourroit éviter cette fatigue en étant frugal, en ne se nourrissant que de choses saines; au lieu de cela, il a recours à des boissons attrayantes, mais meurtrières, à des mets recherchés qui Féchauffent, qui le dé- rangent dans ses fonctions animales ; est-il malade, il s'en prend aux variations de l'air, à l'intempérie de la saison, et lui seul est la cause de ses maux. Ses maux physiques absorbent son moral : le moral, chez lui, dérange le physique^ tant la chaîne qui lie l'homme a de rapports dans tous ses anneaux. Les pères et mèves doivent apporter la ' plus scrupuleuse attention à ne pas souffrir que leurs enfans soient emportés et mé- dians ; s'ils ne sont pas repris dans leur jeunesse, lorsqu'ils auront atteint l'âge viril, ces passions les maîtriseront, ils seront co- lères et vindicatifs, et ces deux vices influent tellement sur la santé, qu'on ne sauroitpren- dre trop de précaution pour s'en garantir. „ L'homme sage qui a contracté l'heureuse habitude de dompter ses passions, coule ( 237 ) des jours tranquilles, ne craint ni les extra- vagances de la joie, ni les suites d'un pro- fond chagrin. Sain de corps et d'esprit , il parvient à un âge avancé, sans souffrance et sans remords, et si au calme de son ame il a joint la douce satisfaction de faire du bien, il aura fixé le bonheur auprès de lui ; car l'homme qui jouit d'une réputation de bonté et de bienfaisance, est parvenu à tout ce qu'il peut raisonnablement désirer dans le voyage de la vie. Dans tous les villages, l'on a maintenant établi des maîtres d'écoles , et l'on peut avoir l'espoir que l'ignorance ne sera plus, comme par le passé, le partage de la classe peu fortunée; l'homme des champs qui aura reçu un peu d'instruction, pourra la com- muniquer à ses enfans , leur lire dans les lon- gues soirées d'hiver des ouvrages dont la saine morale fera la base; il leur communiquera les moyens à prendre pour conserver leur santé, et les meilleurs sont sans contredit, la tempérance, l'ordre et l'économie. L'éco- nomie les rendra tempérans, l'ordre assurera leur bien-être, et chassera loin d'eux le trouble et les tourmens que la gêne en- traîne après elle. ( 238 ) Je desirerois que dans les écoles on fît lire aux enfans les œuvres morales de Franklin traduites par M. Castéra y ils y puiseroien t des principes de sagesse qu'il seroit à souhaiter que tous les hommes eussent dans le cœur; ils se convaincraient qu'avec de l'ordre, de l'économie , de la frugalité et l'amour pour le travail, on parvient à tout ce qui peut flatter l'homme : la considération est une longue vie exempte d'infirmités. Franklin avoit un style simple qui est entendu de tout le monde. Assurément quand Franklin dit que l'air corrompu nuit à la santé, et qu'il vaut mieux dormir à l'air que dans une chambre qui en est privée, il est compris par tous ses lecteurs ; mais pour les con- vaincre encore davantage, il leur raconte l'aventure de Mathusalem qui, « ayant vécu )> plus long-temps qu'aucun autre homme, » devoit avoir mieux conservé sa santé; il » dormoit, dit-on, toujours en plein air; et » quand il eut déjà vécu cent cinquante ans, » un ange lui dit : — Lève-toi Mathusalem, » et bâtis-toi une maison, car tu vivras en- » core cinq cents ans. —Mais Mathusalem » répondit : Si je ne dois vivre que cinq cents » ans de plus, ce n'est pas la peine que je me ( =3g ) » bâtisse une maison ; je veux dormir à Fair » comme f ai toujours eu coutume dele faire.» Assurément ce récit, amené naturellement, peut convaincre que Fair est nécessaire à la santé. Dans une autre circonstance, il rapporte un conseil qui lui fut donné par un ancien ami de son père; conseil, dit-il, qui m'a été très-utile dans bien des circonstances de ma vie, tant sont fortes les impressions de la jeunesse ! « J'élois , continue-t-il, avec cet u ami qui me conduisoit par un petit pas- » sage étroit et traversé par une poutre peu » élevé. Il conversoit avec moi en m'accom- » pagnant,et je me tournois de temps en temps » vers lui ; tout-à-coup il me dit : baissez- » vous : baissez vous ! mais je ne le compris pas » bien et ma tête heurta contre la poutre. » Cet ami ne laissoit jamais échapper l'oc- » casion de donner de bons conseils : aussi » quand ma tête eut heurté contre la poutre, » il me dit: vous êtes jeune et vous allez par- i> courir le monde; sachez vous baisser à » propos et vous éviterez beaucoup de mal. » Cet avis resta au fond de mon cœur, et » m'a été souvent utile. Je me le suis rappelé » toutes les fois que j'ai yu l'orgueil humilié ( 24o ) » et le malheur des gens qui avoit voulu » porter la tête trop haute. » Ses préceptes sur la frugalité, sur le tra- vail , ne peuvent qu'être très-utiles aux jeunes gens, ils leurs apprendront à se conduire dans toutes les circonstances de la vie, à être bons et humains. « Gardez-vous, disoit cet excellent hom- » me, de croire que tout ce que vous pos- » sédez est à vous, et de vivre en consé- » quence : épargnez vos revenus oulespro- » duits de votre industrie, afin de pouvoir » aider les autres; et n'oubliez jamais que » la frugalité épargnera votre bourse et con- » servera votre santé: en outre, votre assi- » duité au travail montre que vous vous » ressouvenez des obligations que vous avez » contractées, et cela vous fait paroître aussi » soigneux qu'honnête homme. » Pour être heureux et conserver sa santé, il est deux choses essentielles à suivre; celui qui s'en écarte absorbe ses forces physiques et nuit à l'avancement de sa fortune. Ces deux choses sont l'assiduité au travail et la sobriété. Ne prodiguez jamais le temps , ni Fargent que vous recevez de vos peines, parce qu'il peut se passer un, deux, plusieurs jours enfin ( 24l ) enfin sans que vous puissiez travailler; alors n'ayant pas ménagé les jours où vous deviez gagner, le besoin vous assaillira, et quand le corps est mal à son aise, Famé en est trou- blée; toutes sortes d'idées désagréables en deviendront la conséquence naturelle ; alors vos forces diminueront en raison de ce qu'il vous manquera pour les réparer, et à l'ins- tant les maladies vous accableront: tandis que si vous eussiez usé sobrement de votre gain, jamais le besoin ne seroit venu vous accabler, le chagrin n'auroit point flétri votre ame et ruiné votre santé. « Celui qui gagne, a dit un auteur arabe, tout ce qu'il peut gagner honnêtement, et qui épargne ce qu'il gagne, à l'exception des dépenses nécessaires, doit certainement vivre content et espérer qu'il amassera des richesses. » Cet Arabe avoit bien raison. Le temps est de l'argent pour celui qui sait bien l'em- ployer. L'emploi raisonnable du temps,pour l'homme qui travaille, tient le corps en mou- vement, et le mouvement facilite la digestion; la santé n'est point altérée, Famé est en paix ; et la prospérité de l'homme sans cesse en acti- vité , fait son bonheur et celui de sa famille. Je ne prétends pas, par mes observations, ( 2I2 ) mettre au jour des vérités, elles sont connues de tous ceux qui ont fait quelqu'attentionaux événemens de la vie; mais j'ai rassemblé ces vérités éparsps, j'ai dit ce qu'on savoit, j'ai appris à mettre en pratique ce qu'on savoit aussi, afin ^'engager à conserver sa santé, et de vivre heureux. J-*e bonheur d'un père de famille est d'assurer celui 4© ses enfans, et il ne le peut qu'en les conseillant, qu'en leur fai- sant apercevoir les dangers auxquels ils s'ex- posent, en ne maîtrisant pas leurs passions, parce que les passions entraînent après elles tous les malheurs, que le moral et le physique sont attaqués à la fois, et que le bonheur fuit pour toujours celui de qui Famé n'est point en paix. ^coûtons ce que dit Charon sur les pas- sions, et snr-tout sur celle de la colère, qui en quelques minutes pent causer la mort: j'en ai vu des exemples si funestes, que je redouterois aujourd'hui d'impatienter quel- qu'un , dans la crainte que son impatience ne dégénérâten colère, et que je ne fusse la cause immédiate des maux qui en résulteraient. « Pour devenir sage et mener une vie plus » réglée et plus douce, il ne faut, dit Char- » ron , point d'instruction, d'ailleurs, que de C 243 ) m nous. Si nous étions bons escholiers , nous » apprendrions mieux de nous que de tous » les livres. Qui remet en sa mémoire et re- » marque bien l'excès de sa colère passée, jus- » qu'où cette fièvre Fa emporté, verra mieux » beaucoup la laideur de cette passion et en » aura unehaine plus juste que de toutce qu'en u dient Aristote et Platon : et ainsi de toutes » les autres passions et de toutes les branches » et mouvemens de son ame. » Qui se souviendra de s'être tant de fois » mesconté en son jugement, et de tant de » mauvais tours que lui a fait sa mémoire, » apprendra à ne s'y fier plus. Qui notera » combien de fois il lui est advenu de penser » bien tenir et entendre une chose jusqu'à » la vouloir pleuvir (1) et en répandre à au- » truy et à soi-même, et que le temps lui a » puis fait voir du contraire, apprendra à se » deffaire de cette arrogance importune et » querelleuse présomption, ennemi capital » de discipline et de vérité. » Qui remarquera bien tous les maux qu'il » a courus, ceux qui Font menacé, les lé- » gères occasions qui Font remué d'un état (1) Soutenir. h a ( 244 ) » en un autre, combien de repentirs lui sont » venus en la teste, se préparera aux muta- » lions futures et à la reconnoissance de sa » condition, gardera modestie, se contiendra » en son rang, ne heurtera personne, ne » troublera rien, n'entreprendra chose qui » passe ses forces, et voilà justice et paix » par-tout. Bref, nous n'avons point de plus » beau miroir et de meilleurs livres que nous- » mêmes, si nous y voulions bien étudier, » comme nous devons, tenant toujours l'œil » ouvert sur nous > et nous épiant de près..... » Qui ne connoît ses défauts, ne se soucie » de les amender; qui ignore ses nécessités, » ne se soucie d'y pourvoir; qui ne sent son » mal et sa misère, n'advise point aux ré- » parafions et ne court aux remèdes.....« Du moment que l'homme se connoît bien (ce qui malheureusement n'est pas commun ), il ne doit pas se borner à étudier ses fautes en détail; il faut, aussitôt qu'il les recon- noît, qu'il tâche de les réparer, pour ensuite en venir à la réformation générale de sa con- duite. Les pères et mères auront une grande consolation dans leur vieillesse, si, dès le jeune âge de leurs enfans, ils se sont appli- ( 245 ) qués à leur faire connoître les foiblesses hu- maines et à s'en garantir ; ils assureront leur bonheur propre, et descendront au tombeau avec la douce espérance que leurs conseils auront préservé leur famille des passions qui affectent Famé et ruinent la santé. Il faut bien se persuader que si un homme étoit abandonné à lui-même, sans conseil et sans guide, il deviendroit le jouet de la va- nité qui s'empareroit dev lui, de la foiblesse qui constitue son être et l'entraîne à la pa- resse ; de l'inconstance qui le porte à tout désirer, à tout entreprendre; et il finiroit par être le plus misérable des mortels. Alors tous les vices Fassailliroient, les passions les plus basses aviliroient son ame, et le moral et le physique, ainsi que je l'ai dit, se gou- vernant l'un par l'autre, il éprouveroit pour punition de ses fautes les maux les plus cuisans, traîneroit une vie languissante et douloureuse, et sans cesse appelleroit la mort- à son secours pour terminer sa pénible exis- tence. Tous ces maux peuvent être prévenus. C'est sur-tout l'homme des champs qui a le plus besoin qu'on lui mette sans cesse ces tableaux effrayans, mais vrais, devant les yeux. En C 246 ) général, le paysan veille peu à la conduite de ses enfans ; jusqu'à l'âge où ses forces le mettent à même de l'aider dans ses travaux, il ne s'occupe de lui que pour sa subsistance. C'est encore une réforme à faire, digne d'un Gouvernement dont la moralité veut assurer le bonheur des hommes. Les enfans des pay- sans sont aussi les enfans de la patrie ; et si dès l'enfance on ne les arrache pas aux vices qui entourent le berceau- de l'homme, ils deviendront l'opprobre de cette mère-pa- trie qu'ils auroient pu honorer par des ac- tions d'éclat, par des actes de bienfaisance , s'ils eussent été guidés dans leurs premiers ans, et qu'on eût maîtrisé leurs passions. L'ambition même au village commence à établir son empire, c'est une des passions les plus dangereuses ; l'homme qui s'y laisse entraîner n'est jamais satisfait, le bonheur de son voisin fait son tourment ; s'il réussit aujourd'hui dans une opération , demain il voudra en entreprendre une autre qu'il croira plus avantageuse; il échouera, et les chagrins les plus poignans s'empareront de son ame; rien ne le flattera; ce qui lui étoit le plus cher lui deviendra indifférent; ses alimens se transformeront en poison ; sa santé s'al- (247) térera, et il succombera sous le poids des maux qu'il aura accumulés sur sa tête, parce qu'il se sera laissé entraîner à une passion désordonnée ! j'ai vu des effets si funestes de l'ambition, que je frémis quand je vois un homme s'y livrer sans mesure, et sans aucune raison qui puisse justifier ses tentations. Un père de famille qui auroit pu être heu- reux dans l'état où le sort l'avoit placé, jalousant un de ses voisins qui venoit d'hériter d'un herbage où il engraissoit des bestiaux, eut l'ambition d'avoir une pareille propriété. Il engagea les terres qu'il avoit reçues de ses pères, pour se procurer un herbage, et faire, comme son voisin, le commerce de bœufs. La première année il réussit complettement et me fit part de ses succès ; je lui conseillai de purger son bien des sommes dont il l'a- voit gi «vé, avec le produit de ses bœufs : il n'écouta point mon conseil, et voulut au contraire, avec Fargent qu'il avoit gagné, augmenter son troupeau. L'ambition de sur- passer son voisin l'aveugloit au point de tout entreprendre pour y parvenir. Une épizootie affreuse vint affliger le canton : il perdit son troupeau. Son bieu, qu'il avoit engagé, fut vendu ; la misère vint l'accabler, et le cha- ( 248,) grin le canduisit au tombeau. Ses enfans, à qui il auroit pu laisser assez de terre pour exister, furent obligés de quitter leur pays natal pour aller chercher leur existence sur une terre étrangère. Voilà où mènent les passions : elles nous accablent de maux, abrègent nos jours, et rendent màMteureuxtout ce qui nous entoure. La vanitéw l'ambition perdent les hain.-^ mes. Ces de® pissions ont fait plus-de mal, à elles seules^ qfcé la peste et toutes les autres calamités qui tiennent aux combinaisons de la nature. ^■■■/- /«,*■-'■■ y M, « La vanité; a dit Charron-, donne créances » et espérances- vaines ; et tout ceci n'advient » pas seulement lorsque nous n'avons rien à ?• faire et que sommes engourdis d'oisiveté, » mais souvent au milieu des plus forte» af- » faires, tant est paissante la vanité,, qu'elle m nous arrache des mains de la vérité, soli- )) dite et substance des choses, pour nous » mettre au vent et au rien, v L'homme vaniteux paroît heureux ou feint de l'être ; et ceux qui ne l'examinent point d'assez près pour regarder dessous le masque qui le couvre, l'imitent en croyant fixer le bonheur* L?homme vaniteux meurt; Fillu^ . ' ( '^ ) sion qui Fentouroit entre.dans la tombe avec lui; ceux qui l'ont imité rougissent de leur ■erreur, et voudroient se corriger : désirs inu- tiles ! le mal est fait ; la passion qu'ils ont en- censée a pris un tel empire sur leur ame, 1 qu'ils croiroient que tous les hommes auroient ' les yeux ouverts sur eux, et remarqueroient qu'ils ont moins de faste.- Ilsyont honte de Vdevenir raisonnables, et ne l$ntpas de sa- crifier leur fortune, leur honiiéùr, poursou- / feafr cette vanité, qui entraîne après elle la ? ruine de leur famille. Ils succombent enfin, après avoir épuisé toutes les ïtessources pour ;": nourrir leur vanité : la misère et le déses-' *jsoir sont le seul héritage qu'ils laissent à leurs . enfans. Ce ne seroit rien encore que la mi- sère,, si l'exemple de leurs pères n'influoit ■ pas sur eux, et ne les empêchoit de 6e livrer i à des travaux qui assureroient leur existence; mais cette vanité, dont ils ont hérité, leur - fait -regarder toute profession comme fort au dessous d'eux. Ils imitent leurs pères, et, t comme eux, meurent de chagrin, de misère. Voilà où mène cette passion. L'ambition n'est pas moins dangereuse. -Parce qu'un génie favorisé des cieux aura - réussi dans ses entreprises, il ne faut pas, î. * ( *0> ) pour cela, penser que tous ses contempo- rains y seroient parvenus comme lui. J'ai vu des gens consumer leur santé et leur fortune en cherchant des moyens de s'agran- dir et de s'enrichir; et je les ai vus, ayant épuisé les deux, mourir accablés de chagrin et de misère; leur sort ne corrigeant point leurs enfans, tant l'exemple que reçoit la jeunesse est terrible. « L'ambition a sa semence et sa racine na- » turelleen nous. Il y a un proverbe qui-dit » que : Nature se contente de peu; et un » autre, tout contraire, que Nature n'est » jamais saoule ni contente. Toujours désir » veut monter et s'enrichir, et ne va pas seu - » lement le pas, mais court à bride abattue, » et se rue à la grandeur et à la gloire ; et » de force qu'il court, souvent se rompt le » col, comme tant de grands hommes, à la » veille et sur le point d'entrer et jouir de » la grandeur qui leur avoit tant coûté. C'est » une passion très-puissante et qui nous » laisse bien tard , d'où quelqu'un l'appelle » la chemise de l'aine y car c'est le dernier » vice duquel elle se dépouille. » L'ambition est la plus forte et puissante î> pa.csion : sa force et puissance se montrent { 251 ) » en ce qu'elle maîtrise et surmonte toutes » choses, et les plus fortes du monde. Toutes » autres passions et cupidités, même celle » de l'amour, qui semblent toutefois con- » tester avec celle-ci, comme nous voyons » en tous les grands, Alexandre, Scipion, » Pompée et tant d'autres, qui ontconstam- » ment refusé de toucher les plus belles dames » qui étoient en leur puissance ; brûlant au » reste d'ambition : mais quand l'amour et » l'ambition seroient en balance, l'ambition )) emporteroit le prix. » L'ambition n'a point de bornes : c'est w un gouffre qui n'a ni fond ni rive ; c'est le » vide que les philosophes n'ont encore pu » trouver en la nature ; un feu qui s'augmente » avec la nourriture que l'on lui donne, en » quoi elle paie justement son maître; car » l'ambition est juste seulement en cela, » qu'elle suffit à sa propre peine, et se met » elle-même en tourment. La roue d'Ixion » est le mouvement de ses désirs, qui tour- » nent et retournent continuellement de haut w en bas, et ne donne aucun repos à l'esprit. » J'ai donc raison de dire, d'après Charron, qu'on peut citer comjne autorité, que la va- nité et l'ambition font à elles seules la grande ( 252 ) partie des maux qui accablent les hommes. Même au village, la vanité a pénétré : le paysan a perdu de sa simplicité. Il veut être plus paré que son voisin; il ambitionne la perche de terre qu'il a de plus que lui ; il rêve sans cesse aux moyens de se la procu- rer. Il n'est plus content de sa médiocrité ; le chagrin s'empare de lui ; sa santé dépé- rit; il est obligé de suspendre ses travaux* La misère, qu'il a toujours éloignée de lui par le travail, vient l'accabler : il n'a plus de force contr'elle, il succombe ; tandis que s'il eût maîtrisé ses passions, son ame eût été toujours en paix, sa santé robuste, et il n'eût point connu le malheur. Il est incontestable que les passions in- fluent sur la santé, et qu'on ne sauroit pren- dre trop de précaution pour s'en garantir. Il en est une encore aussi pernicieuse, que les parens doivent réprimer dès sa naissance: c'est l'oisiveté. De tout temps, l'on a été convaincu qu'elle étoit la mère des vices: L'homme enclin à l'oisiveté, même avec de la fortune, finira .par en être privé., parce qu'il n'aura pas le courage de rien faire pour la conserver. Celui qui est né sans fortune, et qui se ( 253 ) laissera entraîner à l'oisiveté , languira dans la misère. Aucune main secourable ne lui sera tendue; il gémira inutilement sur son sort; il n'inspirera pas même le sentiment de la pitié. Alors, le désespoir s'emparera de lui ; son imagination s'enflammera; il combinera tous les moyens propres pour sortir de l'état affreux où il se trouve. Le travail ne viendra jamais à sa pensée, il est trop subordonné à son vice; mais la faim le poigne : il est nu, sans asile. Il voit passer un homme laborieux et riche, il envie son sort; il cherche à l'in- téresser à son malheur. L'homme vertueux qu'il aborde , lui remontre son vice : il s'aigrit de la remontrance, l'attaque, le vole, l'assas- sine même, et va pourvoir à ses besoins. Son crime est ignoré, et consequemment impuni. Quand ses ressources sont épuisées, l'occa- sion d'un nouveau crime se présente : il la saisit,peut-être avec quelques remords, mais ce sera les derniers; tous les crimes lui de- viendront familiers. La justice éternelle mettra un terme à ses attentats; il terminerasa carrière sur un échafaud, sera l'opprobre de sa famille, et, en mourant, il maudira la foiblesse de ses parens, qui n'auront pas ré- primé le vice qui Fa conduit à la mort. ( 254 ) Les pères et mères, pour s'excuser de leur foiblesse, disent : Nous avons eu le malheur d'avoir un enfant qui étoit d'un naturel vicieux. Cette excuse ne sera jamais reçue, parce qu'il est possible de corriger les vices de l'enfance. Charron, en parlant des vices naturels, et qui n'ont point été corrigés, s'exprime ainsi ; et l'on peut prendre Charron pour modèle : « Pour rabattre tout ceci, dit-il,.aucuns rap- » portent toutes ces choses à une inclination » naturelle, servile et forcée ; mais outre que » cela ne peut être, ni entrer en imagina- » tion, encore ce dire se retorque contre )> eux. Par cette opposition d'instinct natu- » rel, ils veulent aussi priver leurs enfans » d'instruction et discipline tant actives que » passives : mais l'expérience les demêt, car » ils la reçoivent, témoins les pies, perro- » quets, merles, chiens, comme a été dit, » sont susceptibles d'instruction; et quant » à cette faculté de l'esprit dont l'homme se » glorifie tant, qui est de spiritualiser les » choses corporelles, il doit l'employer à » connoîlre et à corriger les vices qui en- » tourent son berceau. » Il est inutile au village de peindre Fava- ( 255 ) rice avec toute sa laideur, le paysan n'ayant pas de quoi thésauriser ; mais ceux qui l'en- tourent, qui peuvent l'aider de leurs con- seils , doivent éviter tous les vices, et celui de l'avarice est aussi affreux au village que dans les cités, car souvent les habitans des campagnes ont autant besoin de secours que de conseils. Je ne me fais pas l'illusion de penser que la majeure partie de ceux pour qui j'ai en- trepris cet ouvrage me liront; mais j'ai l'es- poir que, dès qu'ils auront le bonheur d'ha- biter leur domaine, ils auront assez d'huma- nité pour communiquer à leurs concitoyens les moyens dêtre heureux en conservant leur santé, ce qui leur procurera l'avantage de ne point interrompre leurs travaux, et d'éloigner, par une activité soutenue, la mi- sère qui accable l'homme paresseux. J'ai l'espoir aussi que ces mêmes hommes leur feront voir les vices dans toute leur lai- deur, leur démontreront combien les pas- sions affaissent Famé et influent sur la santé. Les hommes qui se consacreront au bonheur de cette branche intéressante de la société, auront peut-être l'avantage d'être père, et ils auront besoin de se prémunir contre la ( 266 ) tendresse que leurs enfans leur inspireront, d'écarter de leur berceau des vices qui fe-* roient leur tourment et celui de toute leur postérité. L'avarice est au nombre des passions qui affaissent Famé; elle étouffe le germe de la bienfaisance et prive de la jouissance de faire des heureux. L'homme enclin à l'avarice, sacrifiera tout pour satisfaire cette passion ; le plaisir d'amasser de l'or sera pour- lui le suprême bonheur ; il le poussera jusqu'à se priver du nécessaire ; il refusera à sa fa- mille les choses de première nécessité, et ne se déterminera jamais à tirer un écu de son trésor, quand ce seroit même pour sauver la vie' à un de ses enfans. Ce vice est le plus hideux de ceux auxquels les hommes sont portés ; et tous les auteurs qui se sont appliqués à met- tre devant les yeux des hommes les passions qui les déshonorent, se sont exprimés sur celle-ci avec énergie. Charron , le disciple de Montaigne, qui, ainsi que son maître, se fera lire dans tous les temps, en parle ainsi : « Avarice est passion vilaine et lasche des » sots populaires qui estiment les richesses » comme le souverain bien de l'homme, et, » craignant la pauvreté comme son plus ( s57 ) )) grand mal, ne se contentent jamais des » moyens nécessaires qui ne sont refusez à » personne ; ils pèsent les biens dedans la » balance des orfèvres 5 tandis que nature » nous apprend à les mesurer à l'aulne de » la nécessité. Mais quelle folie que d'adorer » ce que nature mesme à mis sous nos pieds » et caché sous terre comme indigne d'être » vu, mais qu'il faut fouler et mépriser? » Ce que le seul vice de l'homme a arraché » des entrailles de la ferre et mis en lumière » pour s'entretuer, la nature semble en la » naissance de l'or avoir aucunement présagé » la misère de ceux qui le dévoient aimer : » car elle a fait qu'es terre où il croît, il ne » vient ny herbes, ny plantes, ny autre chose » qui vaille comme nous anonçant qu'es es- » prits où le désir de ce métail naîtra, il ne » demeurera aucune scintille d'honneur ni » de vertu; que se dégrader jusques-là, que )> de servir et demeurer esclave de ce qui » nous doit être sujet; car l'avare est aux » richesses, non elles à lui. )) Les passions entourent l'homme, et s'il ne les maîtrise point, elles causent sa ruine et énervent sa santé, et le rendent l'opprobre de la nature. ( 258 ) L'envie, l'ambition, l'avarice sont des vices affreux, mais la colère est encore plus terrible par les suites qu'elle entraîne après elle ; cette folle passion nous met hors de nous-mêmes, nous fait commettre des actions basses et qui nous font rougir quand nos sens sont appaisés. Ce n'est que par foiblesse d'esprit que nous nous laissons entraîner à la colère, et la preuve en est dans les vieillards, les en- fans et les personnes malades qui y sont beau* coup plus sujettes. Il est des personnes qui pensent montrer du courage en se mettant en colère! Dans quelle étrange erreur ils sont ! Il n'y a rien qui montre plus de foiblesse qu'un mouvement déréglé; c'est une maladie de l'esprit qui le rend aussi sensible aux coups qu'on lui porte comme les parties du corps affectées de quel- ques maux. Les suites de la colère, ainsi que je l'ai déjà dit, peuvent causer ou la mort subite, ou une mort lente et douloureuse; j'en ai vu deux exemples frappans. Un porte-faix étoit assis rue du Mont- Blanc, regardant son enfant se jouant avec ses camarades ; un des joueurs jette uns ( *59 ) pierre à la tête de son fils, et le renverse à terre; le sang coule et l'enfant perce l'air de ses cris. Le père se lève avec fureur, court sur l'enfant qui avoit blessé le sien ; il n'est pas assez leste pour l'atteindre ; la colère s'empare de lui ; il tombe mort au milieu de la rue ; on le porte à un hospice, où il fut ouvert, et l'on vit qu'il s'étoit cassé un vais- seau dans la poitrine et que le sang l'avoit étouffé. Une autre personne, par une plus violente colère, s'est donné un anévrisme à la gorge, et après six mois de souffrances inouies, elle a péri, comme Tentale, au milieu des eaux, mourant de soif et ne pouvant boire, tour- mentée par la faim et ne pouvant manger, et maudissant à chaque instant son existence. « Les effets de la colère, a dit Charron, » sont grands, souvent bien misérables et » lamentables : la colère premièrement nous » pousse à-l'injustice, car elle se dépite et » s'éguise par opposition juste et par la con- )) noissance que l'on a de s'être courouce » mal à propos ! Celui qui est ébranlé et » courroucé sous une fausse cause, si l'on luy » présente quelque bonne deffense ou ex- » cuse, il se dépite contre la vérité et Fin- ( a6o ) » nocence. L'exemple de Pison sur ce pro- » pos est bien notable, lequel excellent d'ail- » leurs en vertu meu de colère en lit mou- » rir trois injustement, et par une trop su- » bite accusation les rendit coupables pour )) en avoir trouvé un innocent contre sa pre- » miére sentence. » De pareils exemples devroient être mis souvent devant les yeux des hommes en- clins à l'emportement; ils se convaincroient alors que cette passion peut les conduire à la mort, ou les porter, comme Pison, à com- mettre des injustices qui sont toujours suivies des remords les plus cuisans ; et un homme à qui il reste quelque sentiment d'honneur, de- vient malheureux aussitôt qu'il s'est mis dans le cas d'avoir des remords. La colère est donc une passion qui cause au moral et au physique les plus grands maux. Au physique, elle cause la mort ; au moral, elle vous rend méprisable à vous-même, et donne naissance dans votre ame à un autre sentiment non moins dangereux, qui est la haine. A combien de maux cette dernière passion ne nous entraîne-t-elle pas ? elle est une de celles qui nous tourmentent le plus ; la vue de celui ( »6i ) que nous haïssons nous afflige et nous agite l'esprit. En veillant, en dormant, nous nous le représentons avec dépit, et déjà nous rece- vons la peine du mal que nous lui souhaitons. A quoi nous sert de nous tourmenter ainsi ? Celui que nous haïssons ignore nos senti- mens ; il dort en paix, tandis que nous nous agitons sans cesse pour trouver les moyens d'assouvir notre haine. L'homme haineux ne connoîtra plus le bonheur, il- a fui de lui pour toujours; il se sera fait beaucoup de mal et celui qui lui aura inspiré cet affreux sen- timent, n'en sera pas même troublé. C'est donc en vain que nous nous faisons des maux aussi cruels et qui peuvent avoir contre nous les résultats les plus cuisans. J'ai vu un homme, tourmenté de haine, ne pouvoir entendre prononcer le nom de celui qu'il haïssoit, sans entrer en fureur ; j'ai vu ce même homme tomber malade, et mourir de regret de n'avoir pu faire ressentir les effets de sa haine à celui qu'il regardoit comme son ennemi. La haine doit sa naissance à l'envie ; c'est l'envie du bien , des honneurs que possèdent des autres, qui nous les font haïr, et le mal retombe toujours sur nous; car, tandis que ( 262 ) nous nous occupons d'envier leur sort et de chercher les moyens de leur prouver notre haine, nous oublions nos propres affaires et le mal que nous voulions leur faire nous at- teint plus tôt qu'eux; ne pouvant réussir à assouvir notre passion, notre santé s'altère et nous succombons à nos maux. Il est donc nécessaire, et démontré néces- saire, de détruire les passions dès leur nais- sance , si l'on veut mener une vie heureuse et exempte d'infirmités; caries passions in- fluent tellement sur la santé, qu'elle devient languissante aussitôt que nous nous laissons entraîner à* un vice qui affaisse et tourmente l'âme. La jalousie diffère un peu de l'envie, mais ses résultats sont les mêmes; l'on a vu des enfans périr de jalousie, et des personnes d'un âge mûr en perdre la tête. Un jaloux n'a plus un moment de tranquillité, les actions les plus innocentes sont interprêtées par lui de manière à augmenter son mal. Nous jalou- sons moins le bien des autres que nous ne craignons qu'il s'empare du nôtre; voilà en quoi la jalousie diffère de l'envie dans les af- fections qu'elle cause ; mais elle est absolu^ ment semblable dans ses résultats. Un jaloux ( 263 ) est toujours en défiance ; il prend le respect pour dédain, les caresses pour tromperies , et plus vous vous occupez de prendre des précau- tions pour le calmer, plus il se persuade qu'on cherche à le tromper ; ses meilleurs amis, ses enfans même lui deviennent suspects. Cette affection de Famé énerve son physique, il perd l'appétit, se refuse à prendre de l'exercice, parce qu'il faudroit qu'il sortît de chez lui, et qu'il pense que tandis qu'il sera absent tout se réunira pour le tromper : le chagrin s'empare tellement de son ame , que ses forces l'abandonnent, et qu'il succombe à ses maux sans avoir eu la consolation de croire que ceux qui l'entourent sont ses amis et incapables de le tromper. La jalousie est un des défauts qu'il est es- sentiel d'étouffer dès sa naissance, et les pères et mères ne sauroient y apporter trop d'atten- tion; ils pourront y réussir plus sûrement, en piquant l'amour-propre de leurs enfans, en leur démontrant que celui qui se laisse en- traîner à cette passion, fait penser qu'il ne se croit pas assez de mérite; qu'il est mal d'être en défiance de soi-même, que cela n'engage pas les autres à nous juger favora- blement ; il faut enfin leur persuader qu'un ( 264 ) jaloux n'inspire aucune pitié, parce qu'il est atteint d'un mal dont il peut se guérir en réfléchissant aux maux qu'il accumule sur lui, maux qui le rendent incapable de s'oc- cuper d'autres choses que de sa chimère, et que, lorsqu'il leur a laissé prendre trop d'em- pire , sa santé en est affoiblie au point qu'il n'y a plus de remède. La jalousie fait naître la vengeance contre celui qui nous inspire ce pénible sentiment, et la vengeance est une des passions les plus lâches que puisse atteindre l'homme ; la ven- geance n'appartient qu'aux âmes foibles et basses: examinez ceux qui s'y livrent, et vous vous convaincrez que les personnes les plus vindicatives sont celles qui ont le moins d'é- nergie : jamais vous ne verrez une ame grande et généreuse se laisser entraîner à cette pas- sion , parce qu'elle se sentira beaucoup au dessus de l'injure qu'on aura voulu lui faire ; et qu'au contraire elle comblera de bien même celui qui aura cherché à lui faire du mal. Celui qui se laisse entraîner à la vengeance devient injuste à l'instant; le désir de perdre son ennemi est cdmbattu dans son ame par la crainte d'être découvert; il a recours à l'artifice pour le faire tomber dans le piège qu'il lui tend ; ( 265 ) tend; la joie, cette fille du ciel qui a été donnée à l'homme pour le consoler de ses peines, est bannie de son cœur : il ne jouit plus d'aucun repos; le désespoir de n'avoir pas réussi à assouvir sa vengeance, et le re« mords d'avoir réussi, se combattent dans son esprit, et il, devient le plus malheureux de tous les hommes. Il faut, pour éviter que cette passion ne maîtrise l'homme dès sa plus tendre jeunesse, lui faire entrevoir le danger de s'y livrer, et l'estime qu'il-acquerra, en ayant la généro- sité de pardonner au méchant qui voudroit lui faire du mal : il faut lui mettre sans cesse sous les yeux que la vengeance rend cruel; que les gens cruels sont ordinairement lâches, poltrons, tyrans et sanguinaires; qu'ils s'at- taquent à tout, même aux femmes ; que mal- gré ce sentiment de fureur, ils craignent tout ce qui les entoure, semblables aux chiens poltrons qui déchirent dans la maison les peaux des betes qu'ils n'ont osé aborder dans les champs. L'homme cruel n'attaque que dans l'ombre; mais tôt ou tard il est connu, méprisé, haï; et avant de s'être attiré ces sentimens, les remords les plus cuisans et la tristesse la plus profonde se sont emparé ( £66 ) de lui , il n'a pas un ami qui compatisse h ses peines, et sa mort sera pour ceux qui l'entourent, un bienfait de la nature. lia conservation de la santé exige qu'on prenne la plus grande attention à maîtri- ser ses vices et ses passions. Les passions donnent des mouvemens violens à Famé, ces mouvemens échauffent et altèrent la santé ; il faut donc les réprimer pour être en paix avec spi-même et pour jouir de la vie sans mala- dies et sans infirmités. Les affections douces constituent le bon- heur, et les affections violentes produisent des maux incalculables. L'on peut comparer ces affections différentes aux rayons du sojeil qui, se répendant librement, donnent la vie à toute la nature, et qui, lorsqu'ils sont recueillis dans le creux d'un miroir, brûlent et consument ce qu'ils ont vivifié. Dès l'instant que nous nous laissons maî- triser par les passions, au point d'affaisser notre physique et de nous accabler de maux, la crainte d'y succomber vient encore augmen- ter nos tourmens. Combien est différent le sort de l'homme qui a eu le bonheur d'avoir des parens qui, dès son enfance, ont réprimé ses pas- ( a67 ) sions ! chéri de ses amis, considéré de tout son canton, il mènera une vie heureuse et tranquille; la paix de son ame influera sur sa santé, rien n'altérera son sommeil, aucune mauvaise pensée ne viendra troubler l'ordre établi par la nature dans ses fonctions ani- males ; la joie sera sa compagne ridelle ; la concorde, la paix régneront dans sa maison; la confiance et l'estime de ses voisins seront sa récompense%. S'il est riche, il fera partager ses richesses aux indigens, et jamais ne s'é- norgueillira d'avoir plus d'opulence que son voisin. C'est encore une grande faute de se croire au dessus des autres, parce que le sort nous aura favorisés de ses dons.Celui qui secroi t un mérite transcendant à cause de sa fortune prouve sa sottise; il n'inspire que la pitié aux gens raisonnables, et l'envie et la jalousie aux âmes vulgaires. Celui qui veut être aussi sage que les im- perfections de la nature le permettent, ne doit pas suivre la pente qui l'entraîne vers telle ou telle chose; il doit examiner ce qui est bon, libéral, et non ce qui est le plus usité : car souvent, hélas! ce que Fon est le plus en usage de faire dans le monde, n'est pas ce qui conduit à la sagesse et au bon- m 2 ( 268 ) heur ; et quand bien même on lui observeroit que tout le monde croit ou dit telle chose, sans heurter l'opinion, il doit examiner dans son esprit si l'erreur n'a point accrédité cette croyance ; car les hommes sont plus tour- mentés par les opinions qu'ils ont des choses que des choses mêmes. L'on ne peut sepersuader raisonnablement que la vérité perce toujours au milieu du monde; car s'il en étoit ainsi, tout seroit reçu de la même manière, puisque ce seroit la vérité qui présenteroit ces choses. Cette incertitude de sa présence faisoit demander à Périclès, que l'on applaudissoit un jour tout haut; et qui étoit fatigué de la louange : Est- ce qu'il me seroit échappé, sans y penser, quelque sottise ou quelque lâche et mé- chante parole, que tout ce peuple ici m'ap- prouve ? Périclès faisoit pourtant cas de l'opinion publique , mais il savoit qu'un rien la donne, et qu'un rien la ravit, et il estimoit beaucoup plus l'opinion isolée des sages, par- ce qu'ils ne Faccordoient qu'à la vertu, et ne se laissoient point entraîner par les acclamations populaires. Une chose essentielle à inculquer dans l'es- prit de la jeunesse, c'est la reconnoissance. ( 269 ) Un cœur ingrat n'est pas éloigné de sacrifier son bienfaiteur, s'il pense que celui à qui il le sacrifiera pourra lui rendre des services ; et du moment qu'il a oublié ceux qu'il a reçus, il est vicieux et méprisable. Il faut aussi accoutumer les jeunes gens à respecter et écouter la vieillesse, à qui Inex- périence donne le droit de dicter des leçons ; il ne faut pas pourtant leur parler toujours favorablement de la vieillesse, en opposition avec les fautes indispensables de la jeunesse; car ces comparaisons, loin de les persuader, no feroient que les aigrir, et souvent leur feroient dire avec Montaigne : En vieillissant l'on a autant de rides en l'esprit qu'au visage*, et ne se voit point, ou peu, d'ames qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi4 avec le corps Vesprit s'use et s'empire , et vient enfin en enfantillage. Le respect qu'on imprimera aux jeunes gens, ne sera qu'un prêt â usure qu'ils feront, car le proverbe qui dit, si tu as été bon, respectueux, soumis envers tes parens , tes enfans te rendront au centuple ce que tu auras fait pour eux, est bien exact. Le bonheur fuit pour toujours celui qui, sain pudeur, manque aux égards et aux soins ( 270 ) qu'il doit à Fauteur de ses jours ; tandis que celui qui a rempli avec joie ses devoirs, jouit constamment d'une prospérité que rien ne peut altérer, parce qu'elle est la récompense due à ses vertus. Les devoirs des époux sont réciproques, la nature les indique', mais la nature a besoin d'être guidée, et ces devoirs sont ou peu sui- vis ou inconnus à beaucoup : je vais faire en sorte de les démontrer du mieux qu'il me sera possible, afin que ce lien qui doit faire le bonheur, ne devienne point une chaîne insupportable. L'état du mariage est le plus ancien, le premier et le plus important, comme faisant le fondement de la société humaine. t Les pères et mères qui font des mariages de convenance , ont à se reprocher d'avoir sacrifié le bonheur de leurs enfans ; car si les fortunes se conviennent, les caractères sont opposés : alors, l'indifférence prend la place de l'amitié; et la confiance, qui fait le charme des unions, étant bannie, il faut une vertu plus qu'humaine pour supporter un joug où tout est peine, et rien n'est plaisir. Dans ce cas, la femme est plus à plaindre que l'homme. Retenue par état dans sa mai- ( 271 ) son, subordonnée aux préjugés qui sont la sauve-garde de l'honneur des familles, elle n'a d'autre consolation que dans la stricte observation de'ses devoirs. Elle y trouvera la récompense des sacrifices qu'elle fera : la continuité d'une bonne conduite forcera son époux à lui rendre justice ; et l'estime publique dont elle se sera entourée, assu- rera son bonheur. Si elle est assez heureuse pour être mère, elle doit redoubler de soins et de prévoyance, et sur-tout tâcher que les tracasseries qui pourroient lui être suscitées par son époux , soient toujours ignorées de ses enfans, qui doivent respecter également les auteurs da leurs jours. Les mariages ne devroient pas se traiter avec tant d'indifférence; car il faut considé- rer qu'il en résulte ou un grand bien, ou tin grand mal, un doux repos, ou un grand trouble, un enfer, ou un paradis. Dans ce dernier cas, c'est encore à la femme qu'est réservée la gloire de fléchir la barbarie ou la méchante humeur de son mari. Les lions s'apprivoisent par de bons traitemens ; pour- quoi les hommes seroient-ils plus difficiles à dompter? Mais toujours de bons procédés ( 272 ) doivent être employés si l'on veut réussir ; car mieux vaut douceur que rudesse. Si, d'aventure, c'est la femme qui a un caractère acariâtre, le mari doit se dire, comme Socrate, quand on lui opposoit la mauvaise tête de sa femme : « Je fais un » apprentissage et un exercice familier et )) domestique ; j'apprends dans ma maison à » être content par-tout ailleurs, et a trou- » ver douces les contrariétés de la vie. » Lorsque les époux sont bien assortis, c'est un des liens les plus agréables de la vie ; mais, ainsi que je l'ai dit, cette chaîne est beau- coup moins pesante pour l'homme que pour la femme, la nature et les lois lui ayant donné un pouvoir très-étendu pour réprimer les défauts de sa compagne. Les Romains, d'après les lois de Romulus, pouvoient même faire mourir leurs femmes dans les cas d'adultère, de supposition d'en- fans, et pour avoir bu du vin. Les mœurs étant devenues plus douces, le droit de vje et de mort n'a plus été confié qu'aux ma- gistrats , organes des lois ; mais la puissance maritale n'en est pas moins encore très- étendue; et si le mari a la foiblesse de laisser commettre des fautes graves par sa femme, ( 273 ) il est repréhensible, puisque les lois lui ont assigné les moyens d'y remédier. Avant d'a- voir recours aux lois, il doit épuiser tous les moyens de persuasion amicale, par res- pect pour l'union qu'il a contractée; et encore par respect pour le public, qui ne voit ja- mais la désunion des époux sans improuver la conduite de l'un ou de l'autre, et quel- quefois même celle des deux. Il est rare que des époux dont les liens ont été resserrés par la naissance de plusieurs en- fans, en viennent à l'extrémité de se sépa- rer, à moins qu'il* n'aient, chacun de leur côté, des vices qu'ils auront long-temps sup- portés, ayant besoin réciproquement de se cacher, pour ne pas indigner leur famille ou ceux qui, ne les connoissant point à fond, ont pu leur accorder quelque confiance. Ce n'est pas à ceux-là que j'adresse des consejls, leur ame est trop corrompue pour les écouter ; ce seroit un motif de haine que je leur donne- rois; car l'homme vicieux écoute avec colère celui dont la conduite contraste trop fort avec la sienne. Ces individus, qu'un sentiment do cupidité aura unis, ne pourront jamais s'es- timer ; ils seront privés de la paix de Famé; les reproches les plus sanglans seront les / ( 2?4 ) seules paroles qu'ils s'adresseront; leurs jours seront marqués par de nouvelles peines, et ils périront de remords, juste punition d'une union si mal assortie. Cet affreux récit n'est, hélas! que trop vrai. J'ai vu un mariage, contracté d'après ces sentimens, et j'ai vu les deux époux punis de leurs fautes, que je serois tentée de nommer crimes. J'ai vu leur fils, quoique d'un âge où la raison n'a point encore pris d'empire sur l'homme, s'exprimer avec une sorte de mé- pris sur le compte de ses parens , même en présence de l'un et (Te l'autre; et j'ai vu ces mêmes parens, loin de blâmer cette conduite, y applaudir. Quelle honte pour les mœurs ! Ecartons de nos regards un tableau aussi hi- deux , et consolons notre ame en traçant celui d'une union que la confiance et la vertu ont formée. C'est plus particulièrement à la campagne que l'on jouit du plaisir de voir des époux bien unis, et dont les moindres désirs tendent à consolider le bonheur de l'un ou de l'autre; où la femme, esclave de ses devoirs, les rem- plit cependant avec joie ; où le mari consacre ses jours, son travail pour l'existence de sa ( 275 ) famille. Entrez dans leur maison , vous y voyez la paix régnant au milieu d'eux : un geste, un regard sont interprétés à l'instant pour satisfaire le désir qui vient de naître. Toutes les vertus leur sont familières : l'hos- pitalité y est exercée avec cette franchise qui annonce la pureté de Famé ; la bienfaisance y règne; les enfans ne reçoivent que de bons exemples; ils s'accoutument à chérir, à respecter leurs parens , et, en les imitant, à fixer le bonheur. Jamais la paix de Famé n'est troublée dans une union aussi bien assortie : ils parcourent une longue carrière, adorés de leurs enfans, respectés de leurs amis; l'estime les suit au- delà du tombeau. Les larmes de la reconnois- sance affectent délicieusement ceux qui, long- temps après qu'ils ont quitté la terre , parlent encore de leurs vertus. Quelle jouissance, pour des enfans, d'entendre louer à Fenvi leurs pa- rens ! Quel exemple ils leur ont laissé, et quelle satisfaction ne doivent-ils pas espérer en les imitant! Que ces deux tableaux engagent les pa- rens à ne point sacrifier leurs enfans à une cupidité mal entendue, ou à des convenances qui contrarient la nature. Pour l'union de fes ( 376 ) enfans, il faut chercher une famille où les mœurs auront toujours été respectées ; une famille où les mères , sans cesse occupées à conduire leurs enfans dans le sentier de la vertu, auront écarté dès leur jeunesse, les vices qui, dans un âge plus avancé, font le malheur de leur vie , énervent leur ame, la resserrent, les livrent ensuite aux remords, aux chagrins qui affectent leur santé, et les rendent aussi misérables au physique qu'au moral. Dans les villes, à peine un jeune enfant sait-il parler, que l'on fatigue sa mémoire de choses qui ne peuvent en aucun temps assurer son bonheur. Les parens, pour rendre leurs enfans très- instruits , font une grande dépense, et les enfans prennent une grande peine : qu'en ré- sulte-t-il? L'âgé des passions arrive; on leur a appris des choses auxquelles ils n'étoient point propres, et l'on a négligé leurs mœurs. L'on a prisé les talens agréables, et l'on a négligé de former leur cœur à la vertu. On les a menés dans des sociétés, où leurs foibles talens ont été admirés : ils se sont crus ca- pables de fixer une opinion favorable sur leur compte, parce qu'ils ont appris à pi- .* C 277 ; rouetter, à fredonner un air, à accompagner sur un instrument quelconque l'ariette du jour : ils se croient, dis-je, des hommes, et ne peuvent cependant pas supporter l'exa^ men du sage ; car rien de ce qui est juste et bon ne leur aura été appris : ils savent que pour être considérés dans la société des fri- voles , ils ont suffisamment acquis de sciences, cela leur suffit ; ils veulent seulement être aimables, et s'embarrassent peu d'être aimés. Ce n'est pas aux enfans qu'il faut adres- ser des reproches, c'est aux parens qui ont mal employé leur jeunesse, qui n'ont pas calculé que les talens frivoles passent avec l'âge, et que la sagesse les fera considérer davantage et plus long-temps que les talens éphémères qu'ils leur auront donnés , et qui auront consommé tout leur temps. Les sciences frivoles sont bien stériles au- près de la sagesse : les siences frivoles ne sont nécessaires qu'à ceux qui en veulent exercer la profession. Ceux-là doivent y employer tout leur temps, puisqu'elles serviront à leur subsistance ; et encore , quoiqu'on destine un enfant à tel ou tel talent, il faut encore examiner si ses dispositions le permettent. Je préférerai toujours un habile menuisier, % ( 27B ) ou tout autre métier, à un médiocre mu- sicien , ou un mauvais sauteur. Il faut dans ces talens atteindre à la perfection pour ac- quérir une sorte de considération; et pour y parvenir, quinze ans né suffisent pas quel- quefois. Quinze ans employés à si peu de choses, n'est-ce pas une honte! Encore, si l'on voyoit que ces gens à talens fussent heu- reux dans leur vieillesse, cela feroit pardon- ner la perte du temps qu'ils ont employé; mais la majeure partie, quand l'âge les a atteints, sont sans ressources et même sans talens; car il ne faut pas se dissimuler qu'un vieux danseur ne cause plus de plaîsir; que la voix d'un vieux chanteur est trembloltanfe et aigre ; qu'un vieux violon n'a plus la même souplesse dans les doigts. Ils sont souf- ferts encore quelque temps par une espèce de souvenir de leurs talens passés; mais les gens habitués aux plaisirs des sens ont peu de souvenir du passé ; le moment présent est la seule chose qui les flatte. Cependant, mal- gré leur frivolité, ils accordent une considé- ration bien différente à l'homme instruit qui aura sacrifié ses veilles à communiquer ses lumières à ses concitoyens; qui aura puisé dans les anciens auteurs des préceptes de mo- ( 279 ; raie et de sagesse pour les leur transmettre, et tacher de les rendre meilleurs : ils savent, dis-je, établir la différence entre ces hommes frivoles, qui meurent avec leurs talens, et ces hommes dont, l'exemple et les vertus passent a la postérité : ils sont convaincus que l'hom- me sage et tempéré parcourt une longue car- rière, exempte d'infirmités; que son ame est toujours en paix ; que sa fortune suffit à ses besoins , parce qu'il a eu la sagesse de modé- rer ses désirs , et qu'il s'endort du dernier sommeil , sans douleur et sans remords. L'homme , livré, dès sa jeunesse aux ta- lens frivoles, réglera sa conduite et ses dé- penses sur le plus ou moins d'accueil que ses talens lui attireront. Il consumera jour par jour le produit qu'il en tirera, sans s'occuper de l'avenir; et cet avenir l'attend pour Facca- bler. Privé de ressources, abandonné de ceux qui l'avoient le plus encensé, l'illusion s'é- chappe ; il ne lui reste que les regrets et l'in- digence ; il a passé sa vie à exercer des talens inutiles, il la terminera dans la douleur et la misère. Éprouvez ces deux hommes dans une as- semblée publique où l'on discutera les inté- rêts de l'État : l'homme à talens frivoles sera ( *8o ) étonné; il rougira, pâlira de honte de ne sa- voir que dire; ou, s'il parle, il fera de longs discours insignifians. Écoutez, à côté de lui un homme sage , un négociant probe et ins- truit , ils opineront mieux, et donneront des avis salutaires à leurs concitoyens. Ce tableau , malheureusement trop vrai, devroit engager les parens à réfléchir plus qu'ils ne font, lorsqu'il est question de donner un état à leurs enfans, et se bien persuader que « celui qui se conduit selon la sagesse, » fait tout avec mesure et proportion ; bref, » que la sagesse est la règle de Famé, et que » celui qui manie cette règle distribue à cha- )) cun ce qui lui appartient. La sagesse, enfin, » agit sur tout et gouverne tout. » (c II ne faut pas, dit Montaigne, s'amuser » à retenir et garder les opinions et le savoir » d'autrui pour puis le rapporter et en faire » montre et parade, ou pour profit sordide » et mercenaire ; mais il les faut faire nôtres. » Il ne faut pas les loger seulement dans notre » ame, mais les incorporer et transubs- » lanlier ; il ne faut pas en arroser Famé, )) mais il faut la rendre essentiellement » meilleure , sage , forte , bonne et cou- )) rageuse. » ( 28l ) Cette maxime de Montaigne devroit être gravée dans tous les esprits. Les devoirs des pères et mères envers leurs enfans, et des enfans envers leurs pères et mères, quand ils sont bien remplis, sont une des bases les plus essentielles du bonheur pu- blic; l'on doit donc s'attacher à démontrer la nécessité de les remplir, afin que chacun , en les suivant, assure ce bonheur. Les dif- férens pays et les différens climats font la différence de caractère; de cette diversité naissent non-seulement les différences cor- porelles , mais encore les différences d'esprit et de caractère. « Les Iwmmes de la ville haute d'Athènes, dit Plutarque, étaient d'une différente humeur que ceux du port du Pyrée. » Mais la morale doit être la même par toute la terre , parce que la mo- rale est puisée dans la vérité, et que la vérité se montre à nu à qui veut la reconnoître. Ceux qui désirent être éclairés n'ont besoin que d'un flambeau qui marche devant eux; ils le suivront volontiers. Il en est d'autres qu'il faut qu'on prenne par la main et qu'on force de suivre le droit chemin; ce sont ceux-là qui ont besoin de toute la complaisance et de tous les soins de ( *S2 ) leurs parens; la nature ayant été avare en- vers eux, il faut réprimer en eux les vices et faire éclore les vertus. La subordination des enfans envers leurs pères et mères, doit être entière; sans cela les pères et mères ne pourront jamais les élever dans les bons principes, parce que des médians,beaucoup trop souvent, détruisent par leurs conseils pernicieux, tout le bien qu'auroient pu faire les avis et douces remon- trances des parens. Un père de famille doit être souverain dans sa maison, et ses enfans doivent lui êtie sou- mis ; sans cela, l'harmonie qui fait la paix des familles est détruite. Un sage étoit interrogé, pourquoi larépu- blique de Sparte étoit si florissante, et si c'étoit parce que les magistrats commaudoient bien? «Non, répondit-il, c'est parce que les » citoyens obéissent bien. » C'est donc premièrement par l'obéissance que les enfans doivent prouver à leurs parens la reconnoissance qu'ils leur doivent; l'obli- gation et le devoir des parens et des enfans, elle est à la vérité réciproque; mais celle des enfans doit être plus forte, en ce que ce sont leurs pères et mères qui leur ont donné le ( 283 ) jour. Les parens, à leur tour, doivent appor^ ter la plus grande attention à donner debonne heure de bons principes à leurs enfans. Ce sont ces bons principes qui assureront leur félicité, quand bien même ils devroient éprou- ver leur ingratitude ; « car il n'advient, » dit Plutarque, point tant de mal au pu- » blic de l'ingratitude des enfans envers leurs » parens , comme de la nonchalance des » parens en Finsiruction des enfans; dont à » Lacédémone y avoit punition et amende » contre les parens, quand les enfans étoient » mal complexionnés par Famé et par le » corps, m Platon disoit aussi : « Qu'il ne savoit pas en )) quoi l'homme devoit apporter plus de soins » et de diligence qu'à faire un bon fils. » Et Cratès s'écrioit, en colère : « A quel » propos d'amasser des biens et ne se soucier » à qui les laisser ? C'est comme se soucier » du soulier, et non de son pied. Pourquoi » des biens à un qui n'est pas sage et n'en » sait user? » L'on a reconnu de tous les temps l'obliga- tion des parens d'instruire leurs enfans, et de » leur inspirer l'amour des vertus. Plus les mœurs se sont relâchées, plus l'obligation est ( 28i ) devenue grande. Quel bonheur pour un père de famille de pouvoir dire : Par mes soins et mon exemple, j'ai fixé la sagesse dans ma maison. Je laisserai à mes enfans un héritage bien précieux, l'amour du bien et celui de leurs semblables. Je puis descendre en paix dans la tombe ; car j'ai, si je puis m'exprimer ainsi, cultivé ma terre et celle du public tout ensemble. En effet, des en- fans élevés dans des principes moraux et probes, élèveront de même les leurs. L'exem- ple qu'ils donneroient à leurs concitoyens, finiroient, n'en doutons point, par leur faire désirer d'être aussi considérés par leurs ver- tus , et les générations futures deviendroient meilleures. Ce sont les pères et mères qui pourroient opérer ce grand bien, en cultivant avec soin ces jeunes plantes confiées à leurs soins par la nature. L'éducation, a dit Jean-Jacques, doit commencer au berceau. Un enfant, je l'ai déjà avancé et ne cesserai de le répéter, prend avec le lait de bonnes ou de mauvaises impulsions. Il pourra être colère, si l'on n'a pas pris le soin de le secourir dans les impatiences que la douleur lui cause, et qu'il ne peut encore exprimer que par des cris : ( 285 ) même dans le sein de sa mère, il doit déjà être considéré; car si l'on ne croit plus que les marques que la nature imprime sur tel ou tel enfant sont le résultat de l'imagination, il est incontestable que des affections doulou- reuses et fortes influent sur le fœtus ; et que si la mère, pendant le temps de sa grossesse, s'est laissée emporter à des passions, elle les communiquera à son fils, et il aura ensuite dans sa jeunesse beaucoup de peine à les ré- former. Assurément, ce temps de la forma- tion des enfans a souvent autant de part au bien et au mal, tant de leur corps que de leur esprit, que l'éducation qu'on leur donne quand ils ont acquis l'âge de s'ins- truire. Une femme, dans le temps de sa grossesse, donnera à son fils, si elle prend les précau- tions nécessaires, un tempérament robuste, qui la mettra à même de commencer de bonne heure à luidonner autant d'énergie dansl'ame, qu'elle lui aura donné de force physique. Je ne mets aucun doute à croire que si les hom- mes ne s'unissoient qu'avec des femmes dont les mœurs seroient pures, les actions mesu- rées , au lieu de rencontrer des hommes peu sains de corps, et vicieux d'esprit, on ne ( 286 ) verroit que des enfans robustes, sains et sages. Les soins que la nature exige jusqu'à l'âge de quatre ou cinq ans, appartiennent entière- ment à la mère, qui doit déjà néanmoins avoir préparé ses enfans à recevoir l'instruction qui doit assurer leur existence, et la consi- dération dont ils jouiront dans le monde. Aussitôt que la mémoire et l'imagination se développeront dans un enfant, il faut s'em- parer de toutes ses pensées, ne lui donner que de bons exemples et de bonnes leçons. Cette première teinture ne s'effacera jamais de son esprit : les impressions de la jeunesse meurent avec nous, et les premières impres- sions parviennent souvent à vaincre la nature même ; car, nourriture de Vame , dit le pro- verbe, passe la nature. Licurgue en donna la preuve par deux pe- tits chiens nés de la même mère, mais diffé- remment élevés ; et le bon Lafontaine, en expliquant dans sa fable de VÉducation, la dif- férence que produisent les soins qu'on donne aux enfans, a peint dans quatre vers (îj, (1) On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père : r Le peu de soins, le temps, tout fait qu'on dégénère, Faute de cultiver la nature et ses dons. O combien de Césarg deviendront Laridons ! ( 287 ) combien étoit puissante sur les âmes l'édu- cation.première. Les Lacédémoniens attachoient tant de prix à l'éducation première, que, lorsqu'An- tipaler leur demanda cinquante enfans pour otages , ils lui répondirent qu'ils aimoient mieux donner deux fois autant d'hommes faits, dont les principes étoient trop affer- mis pour craindre la corruption. Mais à Lacédénïone , les magistrats sur- veilloient les parens dans l'éducation qu'ils jlonnoient à leurs enfans; et aujourd'hui, les législateurs de tous les peuples policés se sont appliqués à faire des lois pour réprimer les Yices , et pas une pour les prévenir. Il devroit y avoir des écoles publiques, où les parens seroient obligés d'envoyer leurs filles (je dis leurs filles, parce que c'est aux femmes que l'on confie l'éducation première) : dans ces écoles , on leur inspireroit l'amour des vertus ; on leur feroit le récit des belles actions de ceux qui, dès leur enfance, ont reçu de bons principes ; et, par opposition , on leur montrerait à quel degré de misère et d'opprobre est réduit celui qui se laisse entraîner par les passions. Un Gouvernement qui feroit des lois ïux ( a88 ) Féducation, assureroit le bonheur des géné- rations à venir ; et quelle gloire plus grande peut espérer un Gouvernant, que celle de faire des heureux? Il est des mères qui, dans des momens, ont une foiblesse extrême pour leurs enfans ; et qui, dans d'autres , les traitent avec une rigueur outrée. Certes, c'est un grand tort. Il faut accoutumer les enfans à la douceur et à la patience; et pour cela, il faut toujours les reprendre avec aménité, afin de leur ins- pirer la confiance qu'il est nécessaire qu'ils aient en leurs parens , qui, plus expérimen- tés , les guideront et les préserveront des écueils qui entourent la jeunesse. Il faut toujours craindre de frapper un en- fant; car on ne peut le faire sans un mou- vement de colère, et c'est un exemple ter- rible à donner à un enfant ; la colère , ainsi que je l'ai dit, pouvant eau séria mort. En gé- néral, les manières impérieuses et rudes ne peuvent qu'inspirer la haine, le dépit; et la passion de la haine produit de si grands maux, qu'on ne sauroit trop prendre de précautions pour éviter de l'inspirer. a II y a, dit Montaigne, je ne sais quoi » de servile et de vilain en la rigueur et con- » trainte ( 289 ) V> trainte, ennemies de l'honneur et de la li- » berté. Il faut tout au rebours grossir le » cœur d'ingénuité, de franchise, d'arrhnîr 9 » de vertu et d'honneur ; les coups sont » pour les bêtes qui n'entendent point la )> raison, les injures etcrieries sont pour les » esclaves. )> Il est des personnes qui pensent que de tenir de certains caractères avec rigueur, est nécessaire, et que l'on parvient enfin à le9 rompre; elles sont dans une grande erreur: la rudesse aigrit, effarouche un enfant, le dépite, lui ôte le courage et le rend servile et bas. Un enfant maltraité ne fera rien qui vaille ; s'il se livre au travail, à l'étude, ce sera par crainte ; s'il fait une faute, par la crainte d'un châtiment trop sévère, il aura recours au mensonge, il réussira dans une première menterie, évitera la punition et s'accoutu- mera à être fourbe, chose plus affreuse que la légère faute que la crainte ne lui aura pas permis d'avouer. Mais, me dira-t-on, il est des enfans dont le caractère acariâtre révolte à un tel point, qu'il est presque empossible de ne pas se laisser aller à des importemens contre eux. Je répondrai, ce n'est point à l'enfant N ( sgo ) qu'il faut s'en prendre, mais à la mère qui, dans le «mps de sa grossesse, de l'allaite- ju^Kt , se sera laissée emporter à ses pas- sions , et les aura inoculées à son enfant. Il n'en faut pas moins faire tous ses efforts pour réprimer ces défauts ; et, si l'on n'y par- vient point, l'on aura au moins devers soi la consolation d'avoir fait son devoir. Ce sont ces individus qui donnent la preuve que les passions qui maîtrisent l'homme, influent sur sa santé; enclin à la colère, au mensonge, à l'envie, à la haine, à la jalousie (car un enfant qui voit cares- ser celui qui fait bien, quoiqu'il sente que les mêmes caresses ne lui sont pas dues, n'en, concevra pas moins une jalousie qui fera son malheur ), il n'aura ni paix, ni tranquillité ; le moral tuera le physique, et il périra dans le» angoisses de la douleur. Celui qu'on aura accoutumé aux mauvais. Iraitemens, ne vaudra jamais rien ni pour lui, ni pour les autres ; car il ne faut pas se dissimuler qu'on réussira beaucoup moins en employant la rudesse et la force -que la rai-*- son et la persuasion : et celui qu'on aura élevé avec douceur et modération, à qui l'on aura mis souvent devant les yeux le tableau C 291 ) des belles actions, à qui l'on aura fait le récit d'actes de bienfaisance et d'humanité, met- tra tout en œuvre pour imiter les hommes vertueux qu'on lui aura dépeints. Je ne prétends pas, en conseillant les moyens de douceur pour l'éducation des en- fans , qu'on en induise qu'il faut avoir de la foiblesse et les gâter; je suis loin d'ap- prouver cette indulgence mal placée que des pères et mères ont pour leurs enfans ; c'est une extrémité aussi dangereuse. On peut com- parer les mères qui gâtent leurs enfans au lierre qui tue et rend stérile l'arbre qu'il embrasse, et au singe qui étouffe ses petits à force de les embrasser. Les enfans gâtés dès leur enfance ne pour- ront , dans l'âge viril, se livrer à de forts travaux, parce que la mollesse de leur pre- mière éducation aura énervé leurs membres. Ils seront aussi incapables d'actions grandes et généreuses , parce qu'on aura engourdi l'essor de leur pensée, qu'on aura négligé d'élever leur ame ! Quels remords les pères et mères s'apprêtent, lorsque leurs enfans auront atteint Fâge de la réflexion, qu'ils fréquenteront des jeunes gens dont Féduca-* tion aura été soignée, et qu'ils se compare-» ( 292 ) ront à eux! ils éprouveront de leur part les reproches les plus sanglans; ils ne conser- veront pas même dans leurs plaintes le res- pect que des enfans bien élevés ont pour Ipurs parens ; ils croiront les punir de leur foiblesse en se livrant à tous les excès, et leurs pères et mères n'auront pas même la consolation de mourir avant ces enfans gâtés, parce que les passions auxquelles ils se lais- seront entraîner, termineront leur carrière avant l'âge prescrit par la nature. Je crois qu'il est bien démontré que des par rens pour leur bonheur et celui de leurs enfans, doivent s'appliquera les rendre bons, sages et tempérans. Si vous apprenez à vos en- fans à être sages , si vous les convainquez que la sagesse est la reine du monde, qu'elle est un bien utile à tous et universellement respectée; qu'elle doit gouverner et régler leurs actions dans toutes les circonstances de la vie, ils se souviendront de ces préceptes ; ils s'abstiendront des débauches qui avilis- sent l'homme, des jeux qui les déshonorent en les ruinant ; la modération fera la base de leur conduite, et jamais les passions ne vien- dront troubler l'harmonie qui doit régner entre le moral et le physique : cette harmonie ( sgS ) une fois interrompue , il n'est plus pour l'homme ni joie, ni bonheur. Dès la plus tendre jeunesse des enfans, il faut ne leur faire voir que des hommes probes et instruits, et les accoutumer de bonne heure à écouter avec plaisir des conversations qui les amusent et les instruisent, vous leur donnerez ainsi l'amour et le désir de la science. Il faut, disoit Charron , frotter sa cervelle contre celle des hommes instruits , afin d'attraper un peu de leurs sciences. Les enfans sont imitateurs, il faut donc éviter de faire devant eux une chose que vous serez forcé de rép ri mer dans un autre temps. Du moment que la nature vous a confié le soin de vous reproduire, toutes vos pensées, toutes vos actions doivent tendre au bonheur de celui à qui vous avez donné le jour ; et ce bonheur ne sera point durable, *si vous avez négligé d'éclairer son ame, de lui inspirer la sagesse qui mène à la pratique de toutes les vertus. L'exemple, je le répèle, est la chose la plus utile et la plus pernicieuse. J'approuve fort les Lacédémoniens qui, pour faire horreur de l'ivrognerie à leurs enfans, faisoient enivrer leurs serfs et leurs esclaves, et les laissoient se livrer à tous les excès. Quand ( 294 ) des enfans aperçoivent des vices ou dans leurs camarades ou dans leurs voisins, il faut leur remontrer les résultats affreux qu'ont ces vices, et leur opposer l'estime et la con- sidération dont jouissent ceux qui mènent une conduite sage et exempte de reproches; ceux-là seuls peuvent prétendre aune pros- périté certaine, car ce bien qui nous arrive par suite de notre bonne conduite, est plus pssuré et moins envié que celui qui nous ar- rive par protection ou faveur. Il faut aussi prémunir les enfans contre l'orgueil que leur inspireroit un bonheur constant; cela est d'autant plus essentiel, qu'il n'en est point dans la nature; et si nous nous y sommes trop accoutumés, lorsqu'il nous arrive quelques contrariétés, il nous est impossible de les supporter avec courage. J'en ai vu un exemple bien frappant dans un homme à qui tout avoit ri : un bonheur de quelques années consécutives Fa voit si bien persuadé qu'aucun chagrin ne pouvoit l'at- teindre, qu'au moindre petit revers son cou- rage Fabandonnoit, tout lui devenoit insup- portable ; sa femme, .ses enfans, ses amis les plus chers a voient beau s'épuiser en raison- nemens pour diminuer sa douleur , la pros- ( 2g5 ) , périté des autres ajoutoit à son tourment j et cet homme marchant jadis la tête haute, le regard fier, prompt à décider une affaire majeure, étoit devenu d'une timidité et d'une incertitude d'autant plus alarmante pour ses amis, qu'il ne s'occupoit plus de ses affaires, qu'il n'éprouvoit plus le sentiment de l'ami- ^ tié pour personne, et qu'il n'a voit pour V compagne que la douleur; son physique af- faibli faisoit craindre pour sa santé j voilà où mènent les passions (1). -Il faut souvent répéter aux enfans : «N'es- » timez guère toutes sortes de prospérités et (1) « Il n'est pas possible de douter que, parmi » les sentimens divers dont notre ame se pénètre ; » parmi tous les transports auxquels nos cœurs se li* » vrent, les uns nous sont [-«a salutaires, et les » autres nuisibles. Un joie modérée augmente les » forces et soutient la santé ; qu'une douce espe- » rance soulage les peines de l'esprit ; tandis que la » colère, araaée^e torches et de poignards, que 1» » terreur et le chagrin , dont les impressions s'ef- » facent si difficilement de nos cœurs, portent à nos » corps de cruelles atteintes. La différence des effets » que produisent sur nous ces affections diverses, » répond toujours aux différens degrés d'activité » qu'elles ont. » Geoffroi, trad. par Pslavnjiy, ( *96) » de bonne fortune, et par ainsi ne les de- » sirez aucunement : si elles arrivent de leur » bonne grâce, les recevoir tout doucement » etalégrement, mais comme choses étranges » et nullement nécessaires, desquelles on se )) fût bien passé, dont il ne faut faire mise » ny recette, ne s'en hausser ny baisser. » Il ne suffit pas d'élever vos enfans dans la pratique des vertus et de la sagesse, il faut en même temps que vous leur éleviez Famé, fortifiez leur corps, et vous vous persuadiez bien que le moral et le physique sont si étroi- tement liés , qu'il est impossible de né- gliger l'un sans affoiblir l'autre. Il faut chasser loin des enfans la mollesse, les accoutumer au froid et au chaud, les nourrir alternativement de mets délicats et de mets grossiers, les exposer quelquefois au vent et à la pluie , pour leur fortifier les muscles, leur faire supporter la douleur avec patience et courage , afin qu'elle n'affecte point le moral; enfin, faire tout pour que leur corps soit vigoureux et capable de suppor- ter les plus grandes fatigues ; cela servira non-seulement à leur santé, mais les rendra propres à tous les emplois. L'on prétend qu'il est dans la nature que ( 297 ) les enfans aiment moins leurs pères et mères que leurs pères et mères ne les aiment, et l'on se sert, pour le prouver, de cette asser- tion , qui est que celui qui donne et fait du bien , aime plus que celui qui reçoit et doit; que le père consequemment aime plus quil n'est aimé. Cette assertion ne me séduit point, et je suis convaincue que des enfans dont les pères et mères auront pris le soin de former Famé , seront reconnoissans. Ce n'est pas pour l'existence que nous rece- vons de nos pères et mères, que nous devons leur être attachés, c'est pour les peines qu'ils ont prises, d'élever notre enfance, de nous guider dans le sentier de la vie, de nous inspirer des sentimens bons et humains, de nous met- tre à même de donner de bons avis, de bons exemples à nos concitoyens et à nos enfans. Quand nous aurons rempli le vœu de la na- ture, c'est alors que l'amour que nous por- tons à nos enfans nous fera apprécier celui que nos pères et mères ont eu pour nous, et que le sentiment de la reconnoissance pour leurs soins et leurs bontés, deviendra encore plus fort dans notre coeui>. Pères et mères élevez vos enfans dans les principes de la sagesse, si vous voulez ( 29* ) couler vos derniers ans dans la joie et dans le bonheur ; par de bons principes vous écarterez pour toujours les passions de leurs âmes, et vous les rendrez parfaitement heu- reux, puisqu'il vous est démontré que les passions énervent Famé et ruinent la santé. FIN. TABLE Des Chapitres contenus dans ce Volume. Chap. Ier. Aperçu des Causes qui rendent peu saines les Habitations des Gens dé la Campagne, Page l Chap. IL De l'Air. Du Repos après le Travail. Des différentes espèces d'Ali- mens , et du Temps des Repas. 1 o Çhap. III. Du Sommeil. De la nécessité et de l'abus de l'Exercice. Danger de sup- primer la Transpiration insensible. 5o Chap. IV. De la Nourriture. Des Boissons. ges Dxhalaisons malfaisantes. 4i Chap. V. De l'Allaitement. Des Soins à prendre, lors de l'Accouchement, pour la Mère et pour l'Enfant. Du Maillot et du Temps du Sevrage. 69 Chap. VI. Des Soins à donner aux En- fans après le Sevrage. Du Repos après les Repas. Des Précautions à prendre pour la conservation des Dents. Des Dangers d'avoir recours à Veau froide, dans le cas d'une Entorse. De la néces- sité des Bains de vapeur. 71 ( 3oo ) Chap. VII. De la Conduite à tenir danè l'âge de Puberté , pour conserver sa Santé , et pour se prémunir contre les Passions. De l'usage de l'Eau, De J'usage des Vins, des Liqueurs. De VExercice du Corps.^ De l'usage des Bains ordinaires. Du Mariage. Pag. 92 Chap. VIII. Du Danger de se livrer au « Sommeil dans les Champs. Dangers que l'on - court par l'usage des Vases de plomb et de cuivre. Maux qui peuvent résulter d'une Habitation nouvellement 4 Bâtie. ! ! 3 Chap. IX. De l'Asphixié et des Moyens de s'en garantir. Du Danger de fusage des Chaufferettes. ~ 12 3 Chap. X. Danger de laisser des Alimens dans des Vases d'étain ou de plomb. Des maux occasionnés par le Plomb et la Litharge dans le Vin, l'Eau-de-Vie, la Bière et le Cidre. 135 Chap. XI. Danger des Vêtemens mouillés. Moyens pour se garantir des Maux qu'ils peuvent occasionner. Eau de Mer qui prévient ces Maux. Bains d'Air. 141 Chap. XII. De la Natation et de son uti- lité. Temps où il est dangereux de se ( Sot ) livrera cet Exercice. Moyens faciles d'apprendre à Nager. Pag. i4y V> h.a P. XIII. Moyens de prévenir les Dan-' gers auxquels sont exposés les Ouvriers qui pilent et broient les Couleurs. Du Danger des Odeurs fortes. i54 Ç'Rkv. XIV. Du Danger de se nourrir de la Chair d'Animaux morts de maladie. Précautions à prendre pour dépouiller ces Animaux. Accidens occasionnés par la consommation de la Chair du Cochon attaqué de ladrerie. 16 4 Chap, XV. Danger des Farines échauf- fées , et des Huiles falsifiées pour la Nourriture. 172 Çiiap. XVI. Du Danger des Peintures, et des Bois que l'on brûle après qu'ils ont été peints en vert. 180 Çhap. XVI bis. Du Danger des Sueurs forcées. D'un autre Danger de renfer- mer chez soi les Matières propres à produire /''Asticot. De celui d'avoir des Fleurs la nuit, dans l'endroit où l'on se livre au Sommeil. 190 Chap. XVII. De la nécessité de prendre $es Rafraîchissans dans les commen- cement <$u Printemps. Danger que Von ( 302 ) court éfi curant les Puits couverts , et à pompe, ainsi que les Puisards. Moyen indiqué pour s'en garantir. Pag. 199 Chap. XVIII. Du Danger de la Pous- sière de la Chaux , employée pour les 1 Semences ; et Moyen de s'en garantir, j 207 Chap. XIX. Précautions à prendre lors du Rabatage des Maitres. Du Danger des Chanvrières. Moyen de s'en ga- rantir. 21 a Chap. XX. Danger des Odeurs des Genêts et Roseaux enfermés. Moyen de s'en garantir. Danger des Fourrages rentrés • avant d'avoir jeté leur feu. Moyens d'y parer. 215 Chap. XXI. De la Petite-Vérole, et de la Vaccine comme préservatif. 220 Chat. XXII. Danger du feu, et Moyen * de s'en garantir. 223 ! Chat. XXIII. De la Piqûre des Vipères. De la Morsure des Chiens enragés; et Moyens de seprèserver des Suites. 226 ' Chap. XXIV. Des Affections de l'Ame, et.de l Influence qu'elles ont sur la santé. 229 Fin de la Table des Chapitres. vW :«. m&Mss v"j.--n ■>■.% %' \M